Le pays du dauphin vert
Elizabeth Goudge
(Défi Le nom de la rose 2008)
Phébus, 2007.
Marianne, Marguerite … William Ozanne a toujours eu tendance à confondre ces deux prènoms depuis le jour où un coup de vent fit apparaître dans le couloir de sa maison, rue du Dauphin-vert, le chapeau de Marguerite, puis Marguerite elle-même, rose et rieuse, suivie de sa sœur aînée. Les demoiselles Le Patourel.
Voilà pourquoi, bien des années plus tard, devenu exploitant de bois dans une île de Nouvelle Zélande, il voit débarquer non pas la fiancée qu’il attend, mais l’élégante et laide Marianne. La pitié n’est pas toujours bonne conseillère, et le cœur de William se serre à l’idée de ce qui arriverait s’il lui disait qu’il s’était trompé de prénom quand il a écrit de venir le rejoindre.
Peut-on bâtir une vie heureuse sur pareil quiproquo ? William en tente la gageure. Les débuts sont durs, mais Marianne ne manque pas de courage, et sa volonté la soutient au fil des multiples aventures de cet ample roman situé dans le cadre poétique des îles anglo-normandes et de la Nouvelle-Zélande. (Edition livre de poche, 1970).
En refermant ce livre, j'étais si enthousiaste et si passionnée que je me suis précipitée sur l'ordinateur en me disant que j'avais mille choses à vous dire. Mais en fait, arrivée devant l'écran ... trou noir. J'avais tant sur le coeur que je ne savais pas par quoi commencer. Entre envie dévastatrice de parler de ce superbe roman et cerveau totalement embrumé, le vainqueur fut à ma grande honte, mon cher cerveau (lâcheur!). Mais bon, une bonne nuit de sommeil plus tard (et une journée bien fatiguante, oups!), je vais peut-être réussir à vous en parler ...
Comment raconter Le pays du dauphin vert ? Je dirai, certes de façon basique mais si vraie, que l’on ne peut pas raconter un roman qui se vit avec autant de passion. Car oui, j’ai vécu au pays du dauphin vert, j’ai voyagé sur des voiliers et j’ai lutté pour ma survie au milieu du peuple maori. Même si à l’heure actuelle je ne sais pas comment je vais pouvoir vous « raconter » ce roman, je vais tout de même essayer de le faire le mieux possible.
Tout d'abord, parlons de l'écriture. Même si ma Pearl Buck reste inégalable dans la description de la beauté de la vie, de la sérénité des paysages et le bonheur des petits riens de l'existence, Elizabeth Goudge a également la palme d'or. Une plume délicate, optimiste, joyeuse et vive. Un petit bonheur!
Il y a aussi le sublime style de cette auteure. Cette façon de mêler la magie à l'existence est sublimissime. Les romans d'Elizabeth Goudge sont réalistes, l'histoire, ici, se passe au XIXème siècle dans des lieux connus et pourtant, les enfants croisent des fées, les légendes et les contes jalonnent l'île du dauphin vert et les personnages sont décrits toujours de façon étrange : " C'est alors que lui étaient apparus dans un petit canot qui se balançait calmement sur les eaux brillantes du port, William et Marianne, un magnifique garçon aux cheveux clairs et aux joues roses, dans un costume bleu déchiré et un menu brin de fille, habillée de vert comme une petite fée."(p341).
Le récit. Que dire? A travers les îles anglo-normandes fouettées par le vent en passant par la sauvage Nouvelle-Zélande, ce roman m'a faite vivre tant de choses. La peur, l'amour, l'angoisse, l'amitié, la jalousie. Ce roman est humain, c'est ce qui le rend puissant. J'ai pleuré, j'ai souri. J'ai véritablement "vécu" ce livre. A la fois roman d'aventure avec des marins, des naufrages, des attaques de maoris et des mises à mort, mais aussi, roman psychologique, roman fantastique, ... et tant d'autres choses.
Les personnages. Aaah! Marguerite la joyeuse et heureuse blonde joufflue ; Marianne, l'insatisfaite parfois énervante, mais si touchante, digne, qui nous fait pleurer toutes les larmes de notre corps ; William, mari faible, homme fort et père touchant ; Le capitaine O'Hara, le vieux loup de mer si atypique ; Tai Haruru, magnifiquement sensuel et envoûtant, et Nat, Samuel, Old Nick le perroquet, Véronique .... Une galerie de personnages incroyables, tous humains et touchants, hauts en couleur et qui m'accompagneront encore longtemps dans ma vie.
Et puis, les descriptions, les falaises balayées par l'air vif, les forêts luxuriantes néo-zélandaises, les plages mystérieuses, les grottes étranges. Les paysages sont sublimes, ils m'ont bouleversée. Les scènes sont toutes mythiques. Tout est bouleversant.
Juste quelques mots pour finir : Lisez-le!
Edit du 12 à 09h53 : Là je relis mon avis et je suis frustrée. J'aurai tellement de choses à dire en plus, mais rien à faire, je n'arrive pas à les formuler. Bref! Je suis muette d'admiration. Vous ne pouvez pas savoir tout ce que contient ce roman, c'est fou! L'histoire, certes attirante, ne laisse pas imaginer la profondeur du récit. Bon allez! Je me tais!
Nb : Petites choses à noter! Ce roman fut écrit en 1944 et l'on se doute aisément que la connaissance du monde était plus vague qu'aujourd'hui. Elizabeth Goudge en a conscience et invite le lecteur à être indulgent quant à ses connaissances sur la Nouvelle-Zélande et le peuple Maori. Je trouve cela important car je doute de certaines choses écrites dans le livre, mais cela n'entâche en rien ce sublime roman.
"Papa et elle avaient deux mondes merveilleux dans lesquels ils vivaient ensemble, deux mondes qui étaient réels pour eux, et décidement plus agréables que le monde dans lequel ils mangeaient, s'habillaient, allaient au lit et se levaient, faisaient des bêtises et étaient grondés par maman, et ne se sentaient jamais en sécurité à cause des Maoris. Lorsqu'elle était au lit, papa racontait à Véronique des histoires qui se passaient dans ces deux mondes, mais ce n'était pas le seul moment où ils y vivaient. Ils étaient réellement toujours dans l'un ou dans l'autre, dans leurs rêves, la nuit, ou dans les rêveries auxquelles ils s'abandonnaient, papa lorsqu'il travaillait dans la forêt, et Véronique lorsqu'elle travaillait à son canevas sous les yeux de maman. C'est ainsi que bien qu'ils fuissent presque toujours séparés, ils étaient spirituellement toujours réunis. Même pendant les mois où Véronique avait été à Wellington, elle n'avait pas eu l'impression s'être séparée de papa; elle n'avait qu'à courir vers l'un ou l'autre de ces mondes : elle était sûre de l'y trouver."
(Le pays du dauphin vert, livre de poche, 1970, p 412)
(Image : cinemovies.fr "La veuve de Saint Pierre")