L'idiot
Fedor Dostoïevski
Un hiver en Russie
Livre de poche, 1963.
Le prince Mychkine est un être fondamentalement bon, mais sa bonté confine à la naïveté et à l'idiotie, même s'il est capable d'analyses psychologiques très fines. Après avoir passé sa jeunesse en Suisse dans un sanatorium pour soigner son épilepsie, il retourne en Russie pour pénétrer les cercles fermés de la société russe, sans sou ni attache, mais avec un certificat de noblesse en poche. Il se retrouve par hasard mêlé à un projet de mariage concernant Nastassia Filippovna (wikipedia.org).
C'est à l'université de Lettres que j'ai lu Dostoïevski pour la première fois. Il s'agissait d'un roman étrange qui m'a profondément marquée : Le double. J'avais aimé l'ambiance, la plume passionnante et vibrante de Dostoïevski et les dernières lignes m'avaient totalement fascinée. Puis, il y a eu L'éternel mari, moins marquant mais tout aussi agréable à lire et intelligent. Depuis, plus rien. Pourtant, Crime et châtiment, Les frères Karamasov, et bien d'autres de ses romans me font de l'oeil depuis un bout. Il a fallu attendre Un hiver en Russie pour que j'ouvre de nouveau Dostoïevski. Et il s'agit de L'idiot.
Ce livre est profondément riche. Je crois que ce terme ne s'est jamais aussi bien appliqué à un roman. Il est riche en personnages, riche en rebondissements, mais également en analyses psychologiques. Ce point fut le plus lumineux pour moi. Dostoïevski a peint une galerie de portraits d'une minutie incroyable. Les personnages sont d'une complexité extraordinaire, ils ne font jamais ce qu'on avait imaginé, passent de cruels à humains, d'émouvants à antipathiques, de spirituels à comiques. Je suis à genou devant le travail monstre et le génie de Dostoïevski. Le talent de cette grande plume de la littérature russe n'a plus rien à me prouver. C'est intelligent et profondément fouillé.
Le personnage de Michkine m'a totalement séduite. Je ne lui ai trouvé aucune idiotie (en comparaison d'autres personnages). Il est humain, naïf comme un enfant, tendre et honnête. Certaines de ces tirades m'ont envoûtée, je pense notamment au début du roman où le prince évoque la peine de mort et son horreur. Glaçant. Sublime. J'étais scotchée.
L'histoire, quant à elle, m'a totalement captivée durant toute la première partie, ainsi que durant la quatrième (et dernière) partie. En plus du génie de Dostoïevski, j'ai goûté chaque instant de cette histoire passionnante (j'ai trouvé les premiers chapitres presque addictifs). Mais durant la seconde et troisième parties, bien que le talent était toujours bien présent, mon intérêt a un peu diminué. Certains passages étaient, avouons-le, un peu longs. Parfois Dosto se lance dans des digressions qui n'en finissent pas. Ces passages restent très intéressants, mais je voulais savoir la suite de l'histoire de Nastassia Filippovna, d'Aglaia et du prince. Je bouillais d'impatience, mais Fédor a aimé me voir mijoter.
Une drôle de sensation m'a accompagnée durant tout le roman. Une sensation de malaise, de trouble. J'étais partagée entre le rire et les larmes. Les personnages sont excessifs dans leurs sentiments. Certains, comme Lébédev ou Ferdychtchenko, m'ont faite rire, mais ils sont aussi tellement pathétiques et grotesques que le rire devient rapidement jaune, douloureux, culpabilisant. Ce roman est noir. Dans le rire, dans l'amour, dans le beau, dans la naïveté. J'ai ri, mais mon sourire était toujours accompagné d'un étrange sentiment de mal être.
Autre point et pas le moindre, on s'interroge, on se questionne en lisant L'idiot. Dostoïevski ne nous laisse pas tranquille, le bougre. J'ai passé plusieurs heures à m'interroger sur le pourquoi du comment, sur le caractère de Nastassia Filipovna, sur les réactions et les vrais sentiments d'Aglaïa, sur le coeur du prince Michkine. Un roman "hanté" un peu!
Cette oeuvre monstre m'a donnée envie de relire Dostoïevski, de découvrir d'autres de ses textes. J'ai compris son génie. Malgré quelques longueurs, ce classique de la littérature russe a su me toucher et m'éblouir.
" Par une matinée de fin novembre, vers neuf heures, en plein dégel, le train de Varsovie approchait à toute vapeur de Pétersbourg. L'humidité et le brouillard étaient tels que le soleil avait peine à percer à dix pas, à droite et à gauche de la voie, il était difficile de discerner quoi que ce fût par les fenêtres du wagon. Parmi les voyageurs, certains revenaient de l'étranger ; mais les compartiments de troisième, les plus pleins, étaient remplis de gens de condition modeste se déplaçant pour affaires et ne venant pas de loin. Naturellement, tous étaient fatigués, transis, les yeux alourdis par l'insomnie, les visages blêmes, d'un jaune de brouillard. Dans un compartiment de troisième, deux voyageurs s'étaient trouvés face à face, depuis l'aube, près de la fenêtre. Jeunes tous les deux, au visage assez marquant, ils n'avaient presque pas de bagages et étaient vêtus sans grande recherche."
(L'idiot, F. Dostoïevski, Livre de poche, 1963, p 15)
(Source image : Boris Kustodiev. weblapiras.wordpress.com)