Comme un roman
Daniel Pennac
Folio, 2001.
LES DROITS IMPRESCRIPTIBLES DU LECTEUR:
1- Le droit de ne pas lire.
2- Le doit de sauter des pages.
3- Le droit de ne pas finir un livre.
4- Le droit de relire.
5- Le droit de lire n’importe quoi.
6- Le droit au bovarysme ( maladie textuellement transmissible ) .
7- Le doit de lire n’importe où.
8- Le droit de grappiller.
9- Le droit de lire à haute voix.
10- Le doit de nous taire.
J'ai lu Comme un roman il y a plus de 10 ans lors d'un séjour à la campagne. J'étais jeune étudiante en Lettres. Vendredi soir, j'ai eu une envie folle de me replonger dans ce sublime éloge de la lecture.
Je n'ai jamais eu de difficulté avec la lecture. Je suis tombée dans la marmite quand j'étais petite et la magie n'a jamais cessé. J'ai attendu avec impatience le CP pour déchiffrer les lettres par moi-même, je me délectais des lectures imposées en classe tandis que mes camarades soupiraient pour la plupart de désespoir et j'ai vécu mes années de fac' de Lettres comme une illumination quotidienne. Je ne ressemble pas aux lecteurs en panne sèche que décrit Pennac dans Comme un roman. Mais en tant que lectrice compulsive, j'aimerai que tout le monde connaisse cette joie de tous les jours, cette source inépuisable d'émotions, que tout le monde comprenne ce qu'apporte la lecture dans une vie. Daniel Pennac casse les mythe, brise le pédantisme entourant la littérature, il brise les barreaux et montre que tout le monde peut lire, n'importe quand, n'importe quoi, n'importe comment. La littérature, c'est la liberté.
" Les bons et les mauvais, pendant un certain temps, nous lisons tout ensemble. Insensiblement, nos désirs nous poussent à la fréquentation des « bons ». Nous cherchons des écrivains, nous cherchons des écritures; finis les seuls camarades de jeu, nous réclamons des compagnons d’être. L’anecdote seul ne nous suffit plus. Le moment est venu où nous demandons au roman autre chose que la satisfaction immédiate et exclusive de nos sensations.Une des grandes joies du « pédagogue », c’est – toute lecture étant autorisée – de voir un élève claquer tout seul la porte de l’usine Best-seller pour monter respirer chez l’ami Balzac. " (p182/183)
J'ai lu différemment Comme un roman lors de cette seconde lecture. La première fois, j'ai aimé qu'on me parle du pouvoir des mots, qu'on me raconte des anecdotes de lecture, qu'on me parle de mes chers et tendres écrivains. Cette fois-ci, je l'ai lu en tant que mère. J'ai commencé à lire des histoires à mes enfants dès leur premier jour de vie, confortablement (ou presque ... hum!) assise sur le lit de la maternité avec mon tout petit en peau à peau. Il ne se passe pas un jour sans que Romanzino ou Romanzina lisent, regardent, écoutent, sentent, manipulent un livre. Les paroles de Daniel Pennac sur l'importance de continuer à partager ce moment de lecture avec son enfant même lorsqu'il sait lire seul m'ont beaucoup touchée. Lire à deux, lire seul, se taire ou lire à voix haute. Les livres font partis de l'éducation, du partage, de la transmission.
Les pages parlant des romans qui me sont chers tels que Guerre et paix, Madame Bovary, ... sont sublimes. En tant que lectrice, rien ne me délecte plus qu'un livre qui parle de livres.
J'ai aussi apprécié qu'il évoque "le temps de lire". J'ai beaucoup de personnes autour de moi qui me disent souvent : " J'aimerai lire mais je n'ai pas le temps". Je dois avouer ne pas être toujours très compréhensive lorsque j'entends ça. C'est vrai qu'il y a des périodes où je lis moins que d'autres, mais je lis tous les jours ... même si ce n'est que 4 malheureuses pages. Je pense que c'est tout simplement une question de priorité.
" Où trouver le temps de lire?Grave problème.Qui n'en est pas un.Dès que se pose la question du temps de lire, c’est que l’envie n’y est pas. Car, à y regarder de plus près, personne n’a jamais le temps de lire. Ni les petits, ni les ados, ni les grands. La vie est une entrave perpétuelle à la lecture.-Lire ? Je voudrais bien, mais le boulot, les enfants, la maison, je n’ai plus le temps.-Comme je vous envie d’avoir le temps de lire !Et pourquoi celle-ci qui travaille, fait des courses, élève des enfants, conduit sa voiture, aime trois hommes, fréquente le dentiste, déménage la semaine prochaine, trouve t-elle le temps de lire, et ce chaste rentier célibataire, non ?Le temps de lire est toujours du temps volé (...) " (p136/137)
Un plaidoyer pour la liberté de lire ... et de ne pas lire. Un livre qui prône le choix et non la soumission. Je ne veux pas lire parce que je n'en ai pas envie et non parce que je suis nul en français, que je n'ai jamais aimé lire en classe, etc ... Lire est à la portée de tous. Il faut que ça redevienne un plaisir et non une obligation. Titiller l'imagination d'un enfant, partager un moment de lecture avec son ado, laisser les livres toujours et encore accessibles, les laisser lire quand ils veulent et où ils veulent.
Un texte culte.
" C'est Kafka lisant contre les projets mercantiles du père, c'est Flannery O'Connor lisant Dostoïevski contre l'ironie de la mère («L'Idiot? Ça te ressemble de commander un livre avec un nom pareil!»), c'est Thibaudet lisant Montaigne dans les tranchées de Verdun, c'est Henri Mondor plongé dans son Mallarmé sous la France de l'Occupation et du marché noir, c'est le journaliste Kauffmann relisant indéfiniment le même tome de Guerre et Paix dans les geôles de Beyrouth, c'est ce malade, opéré sans anesthésie, dont Valéry nous dit qu'il «trouva quelque adoucissement ou plutôt, quelque relais de ses forces, et de sa patience, à se réciter, entre deux extrêmes de douleur, un poème qu'il aimait». Et c'est, bien sûr, l'aveu de Montesquieu dont le détournement pédagogique donna à noircir tant de dissertations: «L'étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts, n'ayant jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture ne m'ait ôté.»
Mais c'est, plus quotidiennement, le refuge du livre contre le crépitement de la pluie, le silencieux éblouissement des pages contre la cadence du métro, le roman planqué dans le tiroir de la secrétaire, la petite lecture du prof quand planchent ses élèves, et l'élève de fond de classe lisant en douce, en attendant de rendre copie blanche… "
(Comme un roman, Daniel Pennac, Folio, 2001, p 91/92)