vendredi 30 mars 2018

Des rencontres

Marya, une vie
Joyce Carol Oates

Le livre de poche, biblio, 2014.

Orpheline de père, abandonnée par sa mère, Marya Knauer est confiée à son oncle et sa tante. Élève brillante mais solitaire, confrontée à la peur et à la cruauté, elle se plonge avec passion dans les études. Dans ce livre aux forts accents autobiographiques, Joyce Carol Oates donne à voir de façon magistrale comment la littérature peut changer une destinée.

Ma première et seule lecture de Joyce Carol Oates remonte à 6 ans. Il s'agissait de Nous étions les Mulvaney que j'avais adoré. En une lecture, cette auteure américaine s'est glissée dans la liste de mes écrivains favoris. Depuis, j'ai acheté et reçu en cadeau plusieurs de ses romans (Blondes, Petite sœur mon amour, Bellefleur et La fille du fossoyeur). Mais il m'a fallu 6 ans avant d'en rouvrir un. 
Marya, une vie n'a pas le génie de Nous étions les Mulvaney. Cependant, sa finesse et sa retenue rendent fidèlement compte du talent d'Oates. Si je n'ai pas réussi à m'attacher au personnage de Marya (qui fait tout pour qu'on ne s'attache pas elle d'une certaine façon), j'ai totalement embarqué dans cette tranche de vie particulièrement marquante. Les premières pages restent pour moi les meilleures. La jeunesse de Marya dans ses grandes fermes américaines parsemées de carcasses de voitures est très bien rendue. La suite du roman se découpe en chapitre évoquant chacun une rencontre marquante dans la vie de Marya. 
Je suis une grande amoureuse des "campus novels" et j'avoue avoir savouré les pages parlant d'université, de cours, de thèses et de soutenances. Marya se réfugie dans les études, se noie dans les livres, les essais en tout genre. Sa culture s'étoffe, tandis que son cœur s'interroge, doute, se perd. 
Le génie de Joyce Carol Oates réside dans le fait qu'elle ne dit pas tout. Comme dans Nous étions les Mulvaney, les sentiments des personnages ne sont pas tous expliqués. Tout n'est pas commenté ou analysé. Oates laisse place à l'interprétation, à l'imagination. Si certains lecteurs peuvent se sentir déstabilisés, de mon côté cette façon d'écrire rend les personnages plus humains et vrais, si bien qu'on les emmène avec nous même le roman fermé. 
Même si Marya, un vie n'est pas un coup de cœur, il m'a confirmé l'amour et l'admiration que je ressens pour Oates, ainsi que mon intérêt de plus en plus grand pour la littérature américaine. Je compte bien ne pas laisser 6 ans entre deux romans d'Oates. 
" Schopenhauer, Dickens, Marx, Euripide, Oscar Wilde, Henry Adams, sir Thomas More, Thomas Hobbes. Et Shakepeare - bien sûr. Elle lisait, prenait des notes, rêvait. Elle était parfois troublée par le fait qu'aucun de ces livres n'avait été écrit par des femmes (sauf Jane Austen, cette chère Jane, si féminine!), mais dans son arrogance elle se disait qu'elle changerait tout cela".(Marya, une vie, Joyce Carol Oates, Livre de poche, 2014, p203/204)
(Photos : Romanza2014)

dimanche 18 mars 2018

Impossible?


Le mystère de la chambre jaune 
Gaston Leroux

Le livre de poche, 1965.

La porte de la chambre fermée à clef « de l'intérieur », les volets de l'unique fenêtre fermés, eux aussi, « de l'intérieur », pas de cheminée...
Qui a tenté de tuer Mlle Stangerson et, surtout, par où l'assassin a-t-il pu quitter la chambre jaune ?
C'est le jeune reporter Rouletabille, limier surdoué et raisonnant par « le bon bout de la raison, ce bon bout que l'on reconnait à ce que rien ne peut le faire craquer », qui va trouver la solution de cet affolant problème, au terme d'une enquête fertile en aventures et en rebondissements.


Voilà un classique de la littérature que je n'avais encore jamais lu et qui trône depuis longtemps dans ma bibliothèque. J'ai eu un peu de mal à rentrer dans l'histoire pour tout dire. Le style très simple et oral de Gaston Leroux m'a quelque peu décontenancée. Je dois aussi avouer que j'étais encore très (trop) imprégnée d'Anna Karenine et de la Russie. Les premières pages passées, je me suis prise au jeu et j'ai lu avec un grand plaisir ce texte vif et prenant
Rouletabille est un personnage très sûr de lui, original et sympathique. Je l'ai suivi avec joie dans son enquête. Il est impossible de trouver la solution de l'énigme de "la chambre jaune", mais j'avoue ne pas avoir beaucoup essayé de trouver. Je me suis laissée aller dans cette histoire palpitante. J'étais surtout impatiente de connaître le secret de Mlle Stangerson. Gaston Leroux a eu une très belle idée en imaginant toute cette machination. En toile de fond, c'est la position de la femme qui est critiquée. Mlle Stangerson, femme intelligente et cultivée, n'en est pas moins soumise au bon vouloir des hommes. 
Le mystère de la chambre jaune est un roman simple et captivant, très bien écrit et agréable. Je lirai avec joie Le parfum de la dame en noir dans quelques temps. 
"- C'est un système bien dangereux, monsieur Fred, bien dangereux, que celui qui consiste à partir de l'idée que l'on se fait de l'assassin pour arriver aux preuves dont on a besoin !... Cela pourrait mener loin... Prenez garde à l'erreur judiciaire, monsieur Fred ; elle vous guette !..."
Le mystère de la chambre jaune, G.Leroux, Livre de poche, 1965. 
(Photos : Romanza2018)

mardi 6 mars 2018

" Pourquoi ne pas éteindre la lumière quand il n'y a plus rien à voir, quand le spectacle devient odieux? "

Anna Karenine
Léon Tolstoï
(Relecture)

Folio, 2004.

Anna Karénine est une jeune femme mariée à Alexis Karénine, fidèle et mère d'un jeune garçon, Serge. Anna Karénine se rend à Moscou chez son frère Stiva Oblonski. En descendant du train, elle croise le comte Vronski. 
En parallèle à leur aventure, Tolstoï brosse le portrait de deux autres couples : Kitty et Lévine, et Daria et Oblonski (wikipédia.org).

Je viens donc de relire Anna Karenine, l'un des romans qui a le plus marqué ma vie de lectrice (ma vie tout court devrais-je dire). Ce fut une expérience étrange pour moi qui ne relis normalement jamais. Mais ce fut surtout une expérience merveilleuse et délicieuse que je compte bien renouveler plus souvent. Rouvrir ce roman qui m'a tant bouleversée, qui me hante encore presque 15 ans après sa découverte, fut une émotion littéraire très forte. Cette seconde lecture n'a fait que confirmer tout l'amour que je porte à ce roman.
Ma lecture d'Anna Karenine sera toujours associée pour moi à une période de ma vie où la Russie me fascinait et était presque une obsession. Au lycée, j'avais une amie passionnée de littérature comme moi. C'est une des premières "toquées" que j'ai rencontrée (non, il n'y avait pas que moi qui sniffais les livres, les collectionnais et les caressais avec amour). Alors que j'avais choisi "italien" en 3ème langue, mon amie faisait du "russe". Je ne compte plus nos interminables discussions sur ce pays, nos futurs voyages dans ces froides contrées et nos débats sur la littérature russe. Peu de temps après le lycée, je découvrais enfin Anna Karenine, puis plus tard encore, la Russie. Tout ce prélude pour dire que la relecture d'Anna Karenine m'a plongé dans une nostalgie d'une rare intensité et que j'en suis encore toute bouleversée. J'ai attendu chacune des scènes aimées avec un mélange de joie et de crainte. J'ai eu la chance de ne jamais avoir été déçue. J'ai parfois été surprise, mais jamais désappointée. Mon admiration depuis 15 ans avait bel et bien raison d'exister. 
Dès les premières pages, ce fut un torrent de souvenirs. Les premières scènes avec ce gai-luron de Stiva furent un enchantement. J'ai dégusté chaque page. Je trouve ce roman extrêmement rythmé et j'ai du mal à comprendre que l'on puisse s'ennuyer à sa lecture. Les chapitres courts et dynamiques s'enchaînent et ils apportent tous leur lot d'émotions. 
Lors de cette relecture, j'ai porté plus d'attention à Kitty et Levine que lors de ma première lecture. Obnubilée par Anna et Vronski, je gardais au final peu de souvenirs de Kitty et Levine. J'avais seulement quelques flashs. Le passage où Kitty se soigne et rencontre Mlle Varinka m'avait laissé un fort souvenir. Leur histoire est touchante car elle sonne vraie. Nous ne sommes pas dans la passion destructrice et vouée à l'échec comme celle d'Anna et Vronski. Non, leur relation est celle que de nombreux couples connaissent. On peut se retrouver dans leur histoire d'amour à la fois belle, douce et simple. Leur mariage m'a énormément émue. Cette scène est humaine, tendre. La maladresse des mariés est touchante. Je suis, par contre, tombée des nues lors de la deuxième demande en mariage de Levine. J'étais persuadée qu'il faisait sa demande à l'aide de dés, alors qu'il le fait avec des craies. Mon souvenir aurait-il été parasité par une adaptation cinématographique? C'est possible. 
J'ai aimé la personnalité de Kitty. C'est une jeune femme pleine de caractère, qui s'affirme tout au long du roman. Levine, quant à lui, m'a surprise. Je ne me souvenais plus qu'il pouvait être aussi énervant par moment. Ses doutes permanents finissent par agacer. J'avais le souvenir d'un homme doux et spirituel (un peu comme Pierre dans Guerre et paix), j'ai retrouvé un jeune homme sceptique et caractériel. Cependant, je l'aime avec ses défauts. J'ai adoré les pages où il fauche avec les paysans et retrouve les plaisirs simples de la vie. 
Autre point d'étonnement (sûrement du à mon aveuglement pour Anna il y a 15 ans) : la place de Daria dans le roman. La touchante Dolly tient un rôle important, ce dont je ne me souvenais pas vraiment. J'aime cette femme. Elle aussi est humaine, vivante, vibrante, pleine de défauts, mais si sensible et vraie. 
Quant à Anna, j'ai ressenti pour elle une empathie qui m'a obsédée comme lors de ma première lecture. Je sais que certains lecteurs ne s'attachent pas à elle ou même ne l'apprécient pas. Quant à moi, je l'aime profondément et j'ai le cœur lourd dès que je pense à elle. Je suis maman désormais (je ne l'étais pas lors de ma découverte de l'oeuvre) et la relation d'Anna avec son fils Serguei m'a chamboulée. Leur dernière rencontre dans le lit de Serguei tôt le matin m'a serré le cœur. Et que dire de sa terrible fin? J'ai été plus terrifiée encore qu'il y a 15 ans. Toutes les scènes qui précédent son geste fatal sont imprimées dans mon cœur et mon esprit. Son errance en calèche, ses questionnements, ses doutes, son désespoir. Et puis ce rêve qu'elle fait sans cesse, celui du vieux tapant au marteau et fouillant dans son sac. Il m'a toujours terriblement effrayée. Encore aujourd'hui, je frissonne en y repensant.
J'ai été étonnée et agréablement surprise par Vronski. Allez savoir pourquoi, je le voyais frivole et presque cruel parfois envers Anna. Je l'ai retrouvé touchant. J'ai pris conscience de sa souffrance et de sa culpabilité. Certes, Vronski n'est pas exclu du monde et isolé comme Anna, mais il se sent responsable de la mise à l'écart de sa maîtresse et souffre comme s'il s'agissait de lui. Anna est comme "sa femme". Il la défend et la protège. C'est vrai que parfois il doute et confesse l'aimer moins, mais il ne peut vivre sans elle. Je me suis rendue compte que l'histoire d'Anna et Vronski aurait pu exister et se poursuivre tranquillement même une fois la passion passée. Il ne s'agit pas uniquement d'une passion foudroyante, sans avenir. Ils s'estiment, se respectent. Ce sont les autres qui les détruisent. Lorsqu'ils sont seuls en Italie, ils sont heureux. Ils finissent par se consumer à cause de la société. Le regard des autres les précipite dans le drame. Tout comme Jude et Sue
J'ai été plus indulgente qu'à l'époque envers Karenine, le mari d'Anna. Je ne l'avais pas compris jusqu'à maintenant. Même si je n'excuse pas tous ses actes, j'ai pris en pitié cet homme qui pensait contrôler sa vie au millimètre près. Tolstoï nous offre un personnage extrêmement complexe et travaillé. 
Ce roman mérite des pages et des pages d'analyse. Chaque personnage demanderait à être fouillé et décortiqué. Je ne réussis pourtant qu'à vous jeter, de manière décousue, des sensations, des émotions. Je m'en excuse. 
Lisez ce roman! C'est une merveille. On ri parfois, on a la gorge serré et le souffle court souvent. C'est un ouragan d'émotions. Monsieur Tolstoï est décidément un génie. Je signe pour une troisième lecture sans hésitation. 
" Vronski suivit le conducteur ; à l'entrée du wagon réservé il s’arrêta pour laisser sortir une dame, que son tact d’homme du monde lui permit de classer d’un coup d’œil parmi les femmes de la meilleure société. Après un mot d’excuse, il allait continuer son chemin, mais involontairement il se retourna, ne pouvant résister au désir de la regarder encore ; il se sentait attiré, non point par la beauté pourtant très grande de cette dame ni par l'élégance discrète qui émanait de sa personne, mais bien par l’expression toute de douceur de son charmant visage. Et précisément elle aussi tourna la tête. Ses yeux gris, que des cils épais faisaient paraître foncés, s'arrêtèrent sur lui avec bienveillance, comme si elle le reconnaissait ; puis aussitôt elle sembla chercher quelqu’un dans la foule ". 
Anna Karenine, Tolstoï, Folio, 2004.
(Photos : Romanza2014)