La promenade au phare
Virginia Woolf
Le livre de poche, 2009.
Fera-t-il beau demain pour la promenade au phare? Cette question plane sur la famille réunie un soir de mi-septembre dans la grande maison de vacances des îles Hébrides. Tout au long du livre s'insinue la pulsation de la mer. L'eau entrave les pensées. La vie se déverse et la mort surprend. Les années passent. La maison est abandonnée. Demeurent les petits miracles quotidiens, ces « allumettes inopinément frottées dans le noir ». Ce sont eux qui donnent un sens aux choses, un mouvement à la vie.
Ma première rencontre avec Virginia Woolf fut en partie loupée. Il faut dire que j'ai lu Mrs Dalloway sur la côté méditerranéenne pleine de touristes, de la famille tous les jours, des sorties, une chaleur étouffante, ... bref! pas l'idéal. J'avais trouvé l'écriture magnifique mais la monotonie de l'ensemble me faisait décrocher régulièrement.
Après cette intro, je peux enfin vous avouer que je me suis réconciliée avec Virginia Woolf. La promenade au phare est une petite merveille. Il ne s'y passe presque rien et pourtant, j'ai dévoré ce roman. C'est beau. Voilà, tout est dit. C'est un roman sur le temps qui passe, sur ce qu'on pense mais qu'on ne dit jamais, sur la vie, sur la mort. Il y a très peu d'échanges réels entre les personnages. Ce roman est basé sur leurs pensées. Le lecteur connaît leurs sentiments, mais est le seul. C'est un roman des non-dits. Virginia Woolf a une écriture sublime. Elle décrit à merveille ces petites (et parfois grandes) idées, pensées qui traversent notre esprit. Elles cheminent, se croisent, se mêlent, se contredisent, se réunissent. Un bijou! Elle décrit également comme personne ces petites sensations qui viennent nous assaillir quand on ne s'y attend pas. Comme cet extrait où je me suis totalement retrouvée : " … de même qu'un voyageur dans un train express lève les yeux de la page qu'il est en train de lire et voit dans une ferme, un arbre, un groupe de chaumières, l'illustration, la confirmation du texte imprimé auquel il revient satisfait et fortifié ... " (p53). Elle rentre dans la tête de ses personnages pour nous faire entendre cette petite voix qui est en chacun de nous.
" Il était maintenant nécessaire de franchir une étape. Un pied posé sur le seuil de la porte, elle demeura un instant encore dans une scène de sa vie qui s'évanouissait pendant le temps même qu'elle le considérait; puis lorsqu'elle avança et quitta la salle à manger au bras de Minta, cette scène changea, altéra sa forme; Mrs Ramsay, lui donnant un dernier regard en tournant la tête, savait qu'elle était déjà devenue le passé. " (p151). Cette oeuvre est saisissante. L'évocation du temps qui passe, ces sublimes scènes où Lily Briscoe revit les choses passées à travers le tableau qu'elle peint, tout ça prend aux tripes. Il plane une certaine nostalgie, une tristesse, une envie de retenir le temps qui s'écoule.
Un très très beau moment. J'ai adoré parcourir les mots de Virginia Woolf durant ces premiers jours de printemps. Un régal! La promenade au phare me donne envie de découvrir d'autres textes de cette plume envoûtante, humaine et si touchante.
" Et c'est fini!" dit-elle. Puis elle vit dans les yeux de son fils, au moment où s'éteignait l'intérêt suscité par l'histoire, quelque chose d'autre qui en prenait la place : une sorte d'étonnement pâle, semblable à la réflexion d'une lumière, qui donnait à son regard comme un émerveillement immobile. Elle se tourna et voici qu'en effet, de l'autre côté de la baie, elle aperçut la lumière du Phare qui envoyait régulièrement par-dessus les vagues, d'abord deux éclairs rapides, puis un long faisceau fixe. On l'avait allumé. "
(La promenade au phare, Virginia Woolf, livre de poche, 2009, p88/89)