samedi 16 avril 2011

« … une éponge imbibée d'émotions humaines. »

La promenade au phare

Virginia Woolf


Le livre de poche, 2009.

Fera-t-il beau demain pour la promenade au phare? Cette question plane sur la famille réunie un soir de mi-septembre dans la grande maison de vacances des îles Hébrides. Tout au long du livre s'insinue la pulsation de la mer. L'eau entrave les pensées. La vie se déverse et la mort surprend. Les années passent. La maison est abandonnée. Demeurent les petits miracles quotidiens, ces « allumettes inopinément frottées dans le noir ». Ce sont eux qui donnent un sens aux choses, un mouvement à la vie.

Ma première rencontre avec Virginia Woolf fut en partie loupée. Il faut dire que j'ai lu Mrs Dalloway sur la côté méditerranéenne pleine de touristes, de la famille tous les jours, des sorties, une chaleur étouffante, ... bref! pas l'idéal. J'avais trouvé l'écriture magnifique mais la monotonie de l'ensemble me faisait décrocher régulièrement.

Après cette intro, je peux enfin vous avouer que je me suis réconciliée avec Virginia Woolf. La promenade au phare est une petite merveille. Il ne s'y passe presque rien et pourtant, j'ai dévoré ce roman. C'est beau. Voilà, tout est dit. C'est un roman sur le temps qui passe, sur ce qu'on pense mais qu'on ne dit jamais, sur la vie, sur la mort. Il y a très peu d'échanges réels entre les personnages. Ce roman est basé sur leurs pensées. Le lecteur connaît leurs sentiments, mais est le seul. C'est un roman des non-dits. Virginia Woolf a une écriture sublime. Elle décrit à merveille ces petites (et parfois grandes) idées, pensées qui traversent notre esprit. Elles cheminent, se croisent, se mêlent, se contredisent, se réunissent. Un bijou! Elle décrit également comme personne ces petites sensations qui viennent nous assaillir quand on ne s'y attend pas. Comme cet extrait où je me suis totalement retrouvée : " … de même qu'un voyageur dans un train express lève les yeux de la page qu'il est en train de lire et voit dans une ferme, un arbre, un groupe de chaumières, l'illustration, la confirmation du texte imprimé auquel il revient satisfait et fortifié ... " (p53). Elle rentre dans la tête de ses personnages pour nous faire entendre cette petite voix qui est en chacun de nous.

" Il était maintenant nécessaire de franchir une étape. Un pied posé sur le seuil de la porte, elle demeura un instant encore dans une scène de sa vie qui s'évanouissait pendant le temps même qu'elle le considérait; puis lorsqu'elle avança et quitta la salle à manger au bras de Minta, cette scène changea, altéra sa forme; Mrs Ramsay, lui donnant un dernier regard en tournant la tête, savait qu'elle était déjà devenue le passé. " (p151). Cette oeuvre est saisissante. L'évocation du temps qui passe, ces sublimes scènes où Lily Briscoe revit les choses passées à travers le tableau qu'elle peint, tout ça prend aux tripes. Il plane une certaine nostalgie, une tristesse, une envie de retenir le temps qui s'écoule.

Un très très beau moment. J'ai adoré parcourir les mots de Virginia Woolf durant ces premiers jours de printemps. Un régal! La promenade au phare me donne envie de découvrir d'autres textes de cette plume envoûtante, humaine et si touchante.

" Et c'est fini!" dit-elle. Puis elle vit dans les yeux de son fils, au moment où s'éteignait l'intérêt suscité par l'histoire, quelque chose d'autre qui en prenait la place : une sorte d'étonnement pâle, semblable à la réflexion d'une lumière, qui donnait à son regard comme un émerveillement immobile. Elle se tourna et voici qu'en effet, de l'autre côté de la baie, elle aperçut la lumière du Phare qui envoyait régulièrement par-dessus les vagues, d'abord deux éclairs rapides, puis un long faisceau fixe. On l'avait allumé. "

(La promenade au phare, Virginia Woolf, livre de poche, 2009, p88/89)


(Source image : newlynschoolpainterst)

lundi 4 avril 2011

" ... voici qu'était venu mon amour et mon seigneur, et hélas! j'étais défigurée! "

Sarn

Mary Webb

Livre de poche, 1962.

Sarn est le nom d'un étang, d'une ferme, d'une famille, dans une province reculée de l'Angleterre où les superstitions ancestrales, la sorcellerie ont plus de présence que la réalité des guerres napoléoniennes. A travers l'histoire de Gédéon Sarn, ambitieux et cupide, et de sa sœur, la douce Prue que défigure un bec-de-lièvre, ce roman plein de bruit et de fureur, d'incendies, de poisons, d'enfants abandonnés, est une fable morale où l'ordre triomphe du désordre, où l'amour universel l'emporte sur la passion égoïste.

Sarn reposait dans ma bibliothèque depuis un bout de temps. J'ai entendu parler de ce livre auprès de plusieurs personnes amoureuses des romans classiques anglais. J'ai découvert une ambiance douce, poétique, une plume à la Elizabeth Goudge avec un côté sombre et violent en plus.

Sarn est une réelle belle histoire. On se perd dans la campagne anglaise près du lac obscure de Sarn, on suit Prue à travers la Lande, on retrouve cette ambiance si typiquement anglaise, si envoûtante.

Prue m'a énormément touchée. Cette femme passionnée et passionnante, pas belle, mais attirante, est tout simplement magnifique. Cette" Jane Eyre" campagnarde gagne tout de suite notre coeur pour ne jamais le perdre jusqu'au mot fin. Autre personnage géniallissime, Gédéon, le frère de Prue. Homme sombre, violent, ambitieux, fier, un "Heathcliff" dans l'âme, a quelque chose d'attirant, de touchant. J'ai adoré ce personnage. Il m'a fait autant frémir de peur que pleurer de tendresse : " Peut-être avez-vous surpris une libellule sortant de son fourreau? Elle lutte, elle se débat de telle façon qu'on croirait qu'elle va mourir. J'en ai vu qui, dans leur agonie, faisaient des bonds d'acrobates. Il leur faut passer par là pour être libres; c'est une souffrance comme celle de la mise au monde, très pénible à voir. Chez notre Gédéon, c'était bien pire. Il était assis là, près du bon feu qui faisait briller comme du sang noir la bière renversée sur les dalles, et pendant plus d'une heure il ne dit pas un mot. " (p83). Autour de ces deux personnages principaux évolue Jancis, une belle jeune fille, promise à Gédéon, douce et adorable. Mary Webb aurait pu la faire belle, mais stupide et méchante afin de valoriser Prue, mais non, Jancis est attachante. On aime cet être fragile et tendre. Quant à Kester, le tisserand, je pense que l'on ne peut que tomber amoureuse de cet homme fort, tolérant et doux (Aah! La scène finale! J'en tremble encore ... et celle des libellules!*soupir*. Quel romantisme ... et même pas nian-nian en plus ... juste ce qu'il faut!).

Cette histoire est à la fois d'une douceur magnifique (la belle plume de Mary Webb aidant) et violente et cruelle. Elle est simple et complexe, mystique et réaliste, poétique et humaine, elle est tout, elle est rien.

Rentrer dans Sarn, c'est rentrer dans une bulle. Mary Webb nous offre de véritables peintures, de magnifiques tableaux. La nature est omniprésente. Une plume qui la décrit avec merveille, qui la fait vivre, on sent Sarn, on goûte Sarn. Nous sommes auprès de Prue, la passionnée, la révoltée, la douce, la forte, la fragile dans cette campagne magique et merveilleuse : "Quand la brise vint, les feuilles lapèrent le silence comme fait la langue des petits animaux en buvant. On voyait dans le ciel des nuages semblables à la dentelle qui ornait la rode de mariage de mère, et une lune déclinante aussi verte qu'une jeune feuille de hêtre. Sous l'eau unie étaient une autre lune, un peu moins brillante, d'autres nuages un peu moins dentelés, et l'ombre du clocher, vague et mystérieuse, dont la pointe se tendait vers nous. " (p52/53)

Cette découverte de la plume de Mary Webb fut un pur plaisir. J'y ai retrouvé cet amour de la nature que j'aime tant chez Elizabeth Goudge, ainsi que cette évocation du monde magique, du monde merveilleux rencontrant le monde réel. Je possède La renarde de cette dame à la plume captivante et je compte bien m'y plonger rapidement ... et avec passion.


"Quand, à la barrière, je passai près du buisson d'aubépines, la rosée, jaillissant des pétales, tomba en averse sur ma robe. Tout était si calme que je pouvais entendre les moutons brouter dans la glèbe, à l'autre bout de l'étang, les poissons sauter à la surface, et l'eau clapoter contre les grandes feuilles raides des roseaux.

Vêtue de mes plus beaux effets un jour de semaine, je m'imaginais être une dame. Il ne m'arrivait pas souvent de pouvoir m'échapper, et cela devait m'arriver plus rarement encore par la suite. Aussi étais-je contente que Gédéon voulût bien faire de moi une personne instruite, car, une fois par semaine, je pourrais sortir l'après-midi et le soir. "

(Sarn, Mary Webb, Livre de poche, 1962, p52)
(Source image : precious-bane.com)