samedi 28 février 2015

L'histoire d'une vie

Katrina
Sally Salminen

Challenge Myself 2015 - Hiver

 J'ai lu, 1971.

Parce que Johan le marin avait les yeux bleus, du charme et la parole facile, Katrina l'a suivi jusqu'à son lointain village de Finlande. Chez elle, elle était fille de riches fermiers, heureuse et préservée : elle découvre qu'il lui faudra vivre dans une misérable chaumière, travailler dur dans des conditions moyenâgeuses, ne compter que sur elle-même puisque Johan a repris la mer et que, de toute façon, c'est un grand enfant ... 

J'ai croisé Katrina complètement par hasard un jour où je me baladais à la bouquinerie avec ma mère. Je ne connaissais absolument pas ce classique de la littérature finlandaise. J'ai découvert un sublime roman. J'ai passé des heures intenses de lecture. 
Le ton simple, le style sans fioritures et allant à l'essentiel font du bien. L'auteur ne s'attarde pas sur certains détails. Les ellipses sont nombreuses, mais l'ambiance et l'intensité du roman restent intactes. Ce qui n'est pas dit se devine et l'émotion générale n'en est que plus forte. Avec naturel, Sally Salminen arrive à nous projeter dans son monde ... et il est bien difficile d'en sortir. Vents, mer agitée, marins, chaumières, ... Elle nous ouvre les portes d'un univers à la fois sombre et lumineux, triste et plein d'espoir. Nous passons des terres glaciales finlandaises à la chaleur d'un foyer. Katrina ressemble à une histoire de famille narrée au coin du feu un soir d'hiver ... On pourrait s'attendre à un récit purement romanesque, fait de rebondissements et de mystères. Ce serait une erreur. Sally Salminen m'a de nombreuses fois piégée durant ma lecture. Elle prend des directions différentes, part toujours du côté de la simplicité, ne fait pas dans le surplus ou le pathos. Que ce soit dans l'intrigue ou la psychologie de ses personnages, l'auteur n'est jamais là où on l'attend. Je pense notamment au personnage de Johan. Le réalisme de la vie de l'héroïne m'a rappelé certains romans de Zola. Mais là où Emile devient parfois cru, pessimiste et dur avec ses personnages, Sally Salminen choisit la carte de la retenue, de la sobriété, de la lumière. 
Mais Katrina n'est pas qu'un roman narrant la vie simple et miséreuse des villageois finlandais. On y trouve aussi un hymne à l'égalité, un appel à la rébellion. Texte engagé et féministe, nous nous insurgeons et luttons auprès de Katrina, cette femme attachante et forte.
Katrina est une histoire d'une force rare. Un magnifique roman, vrai et juste ... jusqu'au dernier mot. 

" - Laisse-moi blasphémer alors! Moi, je leur dis qu'ils peuvent bien avoir leur église et leur ciel à eux, ce n'est pas moi qui les dérangerai! Qu'est-ce que tu crois, toi, Bedaa? Tu es une esclave et voilà tout, et ce qui est pire c'est que tu es satisfaite de l'être. des fois; quand ça te prend, tu montres les dents, oui, mais tu trouves que tout est pour le mieux. Je dis que tu as autant les droit que Nordkvist d'être assise en avant, à l'église ou ailleurs, et s'il mange du pain de froment tous les jours de la semaine, toi et tes enfants vous devez en avoir autant. "
(Katrina, S. Salminen, J'ai lu, 1971, p98)


(Source image : wikipedia.org. Motherhood de Elin Kleopatra Danielson-Gambogi)

mercredi 11 février 2015

" Il y a des gens qui ont traversé ma vie comme des comètes, et je vis encore dans leur lumière. "

Un minuscule inventaire
Jean-Philippe Blondel

Petit bac 2015 

Pocket, 2007.

Une paire de boucles d'oreilles, un hamac, un cendrier... le bric-à-brac habituel des vide-greniers. Pour ceux qui achètent, c'est l'occasion d'une trouvaille ou d'un cadeau. Pour ceux qui vendent, comme Antoine, c'est parfois un déchirement inattendu. A 42 ans, alors que sa femme vient de le quitter, il profite d'une brocante pour faire un grand ménage dans sa maison et dans sa vie. Mais voir disparaître un à un ces objets apparemment anodins, c'est aussi dérouler le fil de son existence, avec ses découvertes, ses joies et ses malheurs. Pour Antoine, le moment est alors venu de faire enfin la paix avec ses souvenirs et de se donner les moyens d'un nouveau départ...

Jean-Philippe Blondel est un auteur que j'aime de plus en plus. Je ne serai pas allée vers lui spontanément sans un petit jeu gagné il y a plusieurs années. Cinq de ses romans sont arrivés chez moi ce jour là. Un minuscule inventaire est le troisième que je lis et je suis ravie de savoir que deux romans m'attendent encore. 
Je suis, comme vous le savez sûrement, une amoureuse de la littérature classique et je me tourne moins facilement vers les contemporains. J'y trouve en général moins de force, moins de profondeur. Mais certains titres, certains auteurs font exception. C'est le cas de Jean-Philippe Blondel. Je ne m'en suis pas forcément rendue compte dès ma première lecture. Mais désormais, je clame haut et fort que cet auteur est fantastique. Il possède un "je-ne-sais-quoi" qui le rend attachant, vrai, sincère. Ces romans sont poétiques sans être lourds et prétentieux. Son écriture ne tombe pas dans la simplicité et le manque de finesse de certains romans d'aujourd'hui. Son style est précis, net, très travaillé. Pour chacun de ses romans, j'entends des voix qui me content leur histoire. Et ça sonne juste. Je ne saurai pas vraiment expliquer ce don que possède Jean-Philippe Blondel. Il nous fait nous sentir proches de lui, de ses personnages. C'est très difficile à expliquer. L'amoureuse de "classiques" que je suis est tout à fait rassasiée par son écriture très belle, subtile et intelligente, tout en y trouvant de vrais questionnements actuels, des sujets d'aujourd'hui, des histoires qui pourraient être les miennes. Un minuscule inventaire m'a serré le cœur. On se reconnaît dans tous ses personnages à la vie à la fois banale et exceptionnelle. On attend chaque nouvel objet du vide-grenier d'Antoine et on laisse venir la vague de souvenir. Avec un ton nostalgique, une ambiance douce-amère, le roman nous enveloppe dès les premières lignes pour ne plus nous lâcher. 

"Nous marchons côte à côte depuis quelques mois déjà. Nous sommes dans la même classe, une première littéraire que le lycée méprise mais dans laquelle je me sens bien - sauf peut-être justement en littérature. Les cours de français sont peuplés de romans qui parlent de la condition atroce des hommes au XIXème siècle ou de promeneurs solitaires je ne parviens pas à me reconnaître. Parfois, au détour d'un poème ou d'une phrase, je ressens un léger trouble - je me souviens du "ciel par-dessus le toit, si bleu, si calme, un arbre par-dessus le toit berce sa palme " - mais la plupart des poésies que nous étudions débordent de "ô" et d'exclamatives. 
Je déteste les "ô" et les exclamatives."
(Un minuscule inventaire, J-P Blondel, Pocket, 2007, p42)

(Source image : linternaute.com)

vendredi 6 février 2015

Ce n'est pas simple tous les jours d'être un criminel

Crime et châtiment
Dostoïevski

Folio classique, 2011.

A Saint-Pétersbourg, en 1865, Raskolnikov, un jeune noble sombre et altier, renfermé mais aussi généreux, a interrompu ses études faute d'argent. Endetté auprès de sa logeuse qui lui loue une étroite mansarde, il se sent écrasé par sa pauvreté. Mais il se croit aussi appelé à un grand avenir et, dédaigneux de la loi morale, se pense fondé à commettre un crime : ce qu'il va faire bientôt - de manière crapuleuse. 
(Présentation de la collection Livre de poche)

C'est toujours pareil. Lorsque je lis un monument de la littérature, je me trouve bien ennuyée quand vient le moment d'en parler. Je suis partagée entre me taire et dire mille choses. J'attaque une chronique, tout en sachant pertinemment qu'elle sera fade et sans intérêt par rapport au roman dont il est question.
Bref .... Parlons de Crime et châtiment.
Titre culte, héros mondialement connu, souvent cité, parodié, on ne peut pas passer à côté de Crime et châtiment lorsqu'on aime la littérature. Je ne vous cache pas que ma lecture fut mouvementée (quotidien prenant ... "Maman? Tu fais quoi?" ; "Ouin Ouin!!" ; "Maman, j'ai faim" ; "Areuhhh!!" ; ... boulot, dodo et compagnie), j'ai parfois trouvé certaines scènes assez longues et des chapitres lourds. Dostoïevski nous écrase littéralement par moment. Trop de génie, trop de psychologie, trop de maîtrise. Je me suis sentie un peu dépassée, bien trop petite face à son écriture, son analyse de l'être humain et sa profondeur. Voilà encore une oeuvre que j'aurai aimé étudier, disséquer, décortiquer. Raskolnikov est un héros très particulier. On ne peut ni l'aimer, ni le haïr. En règle générale, ce roman met mal à l'aise. Je ne pensais pas trouver une oeuvre si sombre et glauque. Meurtre, viol, sadisme, pauvreté, suicide. On plonge dans les bas fonds de la société, dans le vice et la puanteur. 
Avec tout ça, vous allez vous demander si j'ai aimé ma lecture. Bien sûr que oui. C'est vrai que c'est long, complexe et sinistre, mais comment ne pas être à genoux devant une telle oeuvre. Quelle maîtrise! Quelle plume! Dostoïevski remue les tripes, nous interpelle, nous questionne. Il nous offre un roman brûlant et passionnant. Les scènes horribles laissent place à des pages humaines, poétiques et sublimes (Ah! L'épilogue).  Au bout du tunnel, il y a la lumière. Dans la misère, il y a l'amour. Un très beau roman qui ne cherche pas la simplicité, car Dostoïevski n'essaie pas ne nous mentir, l'Homme est compliqué et instable. Le Mal n'est pas toujours où l'on pense, le Salut non plus. 
Les personnages de ce roman me hanteront longtemps. Dostoïevski est très pointilleux. Il a crée avec Crime et châtiment un véritable monde. C'est une histoire qui prend vie. On voit marcher, respirer, parler les personnages. Les rues de Saint Pétersbourg, la douce Sonia, Raskolnikov errant, l'attachant Razoumikhine, ... Des dizaines de scènes gravées dans ma mémoire. 
Un très grand roman. 

"- Vous aimez votre sœur Sonia?
- Je l'aime plus que tout, déclara Polenka, d'un ton particulièrement ferme, et son sourire devint plus sérieux. 
- Et moi, vous m'aimerez?
  Au lieu de répondre, la fillette rapprocha son visage et il vit qu'elle tendait ses petites lèvres gonflées, prête à l'embrasser. Soudain, ses bras maigres comme des allumettes l'enlacèrent fort, bien fort, sa tête enfantine se pencha sur son épaule et la fillette se mit à pleurer tout en se serrant contre lui de plus en plus. "
(Crime et Châtiment, Dostoïevski, Folio classique, 2011, page 201-202)

(Image : Degas, L'intérieur (Le viol))