lundi 5 juillet 2021

" Une fille c'est un garçon blessé."

Fille
Camille Laurens

Gallimard, 2020.

FILLE, nom féminin
1. Personne de sexe féminin considérée par rapport à son père, à sa mère.
2. Enfant de sexe féminin.
3. (Vieilli.) Femme non mariée.
4. Prostituée.

Laurence Barraqué grandit avec sa sœur dans les années 1960 à Rouen.
"Vous avez des enfants? demande-t-on à son père. – Non, j’ai deux filles", répond-il.
Naître garçon aurait sans doute facilité les choses. Un garçon, c’est toujours mieux qu’une garce. Puis Laurence devient mère dans les années 1990. Être une fille, avoir une fille : comment faire ? Que transmettre ?

L’écriture de Camille Laurens atteint ici une maîtrise exceptionnelle qui restitue les mouvements intimes au sein des mutations sociales et met en lumière l’importance des mots dans la construction d’une vie.

Ce roman de Camille Laurens est, je pense, nécessaire ... même si je ne lui ai pas trouvé que des qualités. Je dois admettre … et il s'agit peut-être de naïveté de ma part … que la vie de son héroïne m'a paru cumuler trop de clichés, trop d'incidents pour être crédible. Cependant, si je prends ce texte comme une métaphore de toutes les difficultés que peuvent rencontrer les femmes au cours de leur vie, je ne peux que le trouver juste et pertinent. Plus que comme un roman, Fille doit être lu comme un essai.

Nous suivons Laurence. Dès sa naissance, elle est brimée par sa situation de « fille ». Son sexe va définir son parcours. J'ai trouvé ce propos très pessimiste. Je crois que j'ai grandi dans une bulle. Je suis la seule fille d'une fratrie de trois , petite dernière après deux garçons, je n'ai jamais eu la sensation d'être un « poids » et un « boulet ». Ai-je eu de la chance ? Suis-je un OVNI ? Je ne nie pas ce qui est écrit dans Fille. Je suis consciente que tout ce qui est écrit est réel et juste. C'est la cumulation qui me questionne. J'ai décidé de prendre cette histoire dans son côté métaphorique et j'y ai finalement cru. Comme un essai de ce qu'est être une fille au XXème et XXIème siècle, ce roman nous questionne sur la féminité, la maternité, la sexualité. J'ai été très émue par les différents malheurs et les nombreuses tragédies de la vie de Laurence. Le texte est très bien écrit. La fin laisse poindre une lueur, une éclaircie dans la vie des femmes. Elles font bouger les choses, osent parler, font leurs propres choix. 

Un texte difficile, mais à lire comme une grande allégorie de la vie d'une femme.  

" A propos de filles, il y a une chose bizarre. Tu es une fille, c'est entendu. Mais tu es aussi la fille de ton père. Et la fille de ta mère. Ton sexe et ton lien de parenté ne sont pas distincts. Tu n'as et n'auras jamais que ce mot pour dire ton être et on ascendance, ta dépendance et ton identité. La fille est l'éternelle affiliée, la fille ne sort jamais de la famille. Le Dr Galiot, au contraire, a eu un garçon et il a eu un fils. Tu n'as qu'une entrée dans le dictionnaire, lui en a deux. Le phénomène se répète avec le temps : quand tu grandis, tu deviens "une femme" et, le cas échéant, "la femme de".
L'unique mot qui te désigne ne cesse jamais de souligner ton joug, il te rapporte toujours à quelqu'un - tes parents, ton époux, alors qu'un homme existe en lui-même, c'est la langue qui le dit, comme la grammaire t'expliquera plus tard, dans ta petite école de filles jouxtant celle des garçons, que "le masculin l'emporte sur le féminin".

Être fidèle ou infidèle?

Washington square 
Henry James

Livre de poche, Biblio, 2016.

Quoi de plus délicat que les relations entre un veuf inconsolable et une fille qui ne ressemble pas à sa mère? A New York, l'implacable docteur Sloper vit seul avec son unique enfant, Catherine, un être vulnérable.

Une vieille tante écervelée papillonne entre eux. Un soir surgit un jeune homme au visage admirable. Dans la vénérable demeure de Washington Square, le quatuor est en place pour jouer un morceau dissonant.

Voici un roman que j'ai beaucoup apprécié lors de ma lecture et qui, pourtant, me laisse peu de souvenirs plusieurs semaines après l'avoir lu. Etrange!
Henry James est un auteur que je connais peu, mais que je désire connaître davantage depuis quelques années. J'ai lu et aimé l'angoissant Tour d'écrou et apprécié ce Washington square dont il est question aujourd'hui. J'espère un jour me plonger dans ses longs romans comme Portrait de femme
Washington square est un roman facile aux chapitres courts et efficaces. J'ai vite plongé dans cet univers de haute bourgeoisie New-yorkaise me rappelant (bien évidemment) ma chère Edith Wharton. Catherine est un personnage attachant et touchant. Cette pauvre héroïne ne fait que subir le poids de l'autorité masculine. Pourtant, Catherine a du tempérament, mais il sera toujours question des hommes de sa vie et de leur pouvoir sur elle. La tante de Catherine est un personnage intéressant. Passionnée de romantisme en tout genre, elle embarque sa nièce dans une aventure périlleuse. Sous forme de vaudeville à la sauce "bonnes mœurs puritaines", Washington Square fut agréable à lire ... bien que j'ai ensuite assez vite oublié l'histoire. 
"Elle était romanesque, sentimentale, et folle de petits secrets et de mystères – passion bien innocente, car jusque-là ses secrets lui avaient servi à peu près autant que des bulles de savon. Elle ne disait pas non plus toujours la vérité ; mais cela non plus n’avait pas grande importance, car elle n’avait jamais eu rien à cacher. Elle aurait rêvé d’avoir un amoureux et de correspondre avec lui sous un faux nom par le canal d’une poste privée ; je m’empresse de dire que son imagination ne s’aventurait jamais vers des réalités plus précises. "

" L’âme souffre lorsqu’on a conscience de sa lâcheté et cela incite à chercher refuge dans la seule violence des mots. "

Le puits de solitude
Marguerite Radcliffe Hall

Gallimard, 2005.

Le puits de solitude fit scandale lors de sa parution à Londres en 1928, où il fut interdit et les exemplaires imprimés jetés au feu. Marguerite Radclyffe Hall y dépeint l'amour de deux femmes, contrarié par une société hostile, et prend la défense de cette minorité incomprise et méprisée. Véritable plaidoyer en faveur de l'homosexualité, Le puits de solitude est aujourd'hui une référence littéraire reconnue par tous.

J'ai mis plusieurs semaines à lire ce gros pavé. Offert par Unlivreunthé il y a plusieurs années, j'ai enfin pris le temps de me plonger dans ce beau roman

Ce qui frappe dans Le puits de solitude c'est sa douceur et sa lenteur. Ce texte est d'une simplicité presque naïve et enfantine. Alors que le propos traité est dur, l'homosexualité dans une époque où elle était interdite, le roman narre le parcours de Stephen de façon douce. Bien sûr, son parcours est difficile, injuste et émouvant, mais l'auteure cherche à montrer que Stephen est un être humain comme tout le monde. Elle ne cherche pas le rocambolesque, elle veut juste prouver l'absurdité de la société qui empêche deux êtres humains de s'aimer librement. 

Le puits de solitude nous offre de magnifiques tableaux, telles des œuvres impressionnistes, nous observons la lumière éphémère de l'aube, un bouquet qui embaume, une caresse sur la main. Bien que lent, ce roman n'ennuie pas, il enveloppe. C'est tout doucement, sans s'en rendre compte, que l'on est happé par ce texte. 

Un très beau texte dont les dernières pages m'ont serré le cœur.  

"On la jugeait singulière, ce qui, dans ce milieu, équivalait à une réprobation. Troublée, malheureuse, comme un tout petit enfant, cette large créature musclée se sentait seule, elle n'avait pas encore appris cette dure leçon : elle n'avait pas encore appris que la place la plus solitaire en ce monde est réservée aux sans-patrie du sexe."