vendredi 27 avril 2018

Avec Alice dans le terrier du lapin?

D'après une histoire vraie 
Delphine de Vigan

Editions JC Lattès, 2015.


"Ce livre est le récit de ma rencontre avec L. L. est le cauchemar de tout écrivain. Ou plutôt le genre de personne qu'un écrivain ne devrait jamais croiser."

Dans ce roman aux allures de thriller psychologique, Delphine de Vigan s'aventure en équilibriste sur la ligne de crête qui sépare le réel de la fiction. Ce livre est aussi une plongée au cœur d'une époque fascinée par le Vrai.

Je ne sais pas ce qui me restera de ce roman dans quelques semaines ou quelques années. Comme souvent avec les romans contemporains, j'ai peur que, malgré ma lecture enthousiasmante, j'oublie rapidement ce texte. Amoureuse des classiques et des langues riches, je  peux être conquise par une intrigue contemporaine, toute en déplorant la pauvreté de l'écriture et finalement oublier très vite ce texte. Ceci dit, j'ai terminé hier soir tard D'après une histoire vraie et j'ai beaucoup pensé à lui toute la journée d'aujourd'hui. Est-ce bon signe? Fera-t-il parti de ces romans contemporains que j'aime profondément et qui m'ont marqués durablement?
Je comprends certaines critiques que j'ai pu lire sur ce roman de Delphine de Vigan, notamment l’égocentrisme de la narratrice ou quelques lourdeurs dans la narration (je pense, par exemple, aux trop nombreuses références culturelles qui manquent terriblement de naturel). Cependant, j'ai dévoré ce roman et j'avoue avoir beaucoup aimé. 
Delphine de Vigan questionne le lecteur sur l'importance de la réalité dans la fiction. Est-ce que le fait qu'un roman soit vrai et se revendique comme tel fait que les lecteurs accrochent davantage? Les lecteurs sont-ils demandeurs de vérité? J'ai aimé cette interrogation et les réflexions de Delphine de Vigan sur le sujet. Il n'y a pas vraiment de réponse au final. Chacun est libre de croire ce qu'il veut. C'est, je pense, ce qui fait la richesse de ce roman, c'est la grande liberté d'interprétation du lecteur
D'après une histoire vraie apporte peu de réponses et questionne en permanence son lecteur, que ce soit sur l'intrigue (mais qui est L? Quelle est son histoire?) ou la narratrice (Delphine est-elle oui ou non Delphine de Vigan?). En fait, en ouvrant ce texte, je n'en connaissais rien (non, je ne vis pas dans une grotte. Je suis juste passée entre les gouttes du déluge médiatique). J'ai été du coup totalement prise au piège de cette auto-fiction. J'ai été très surprise de trouver une narratrice qui semblait être Delphine de Vigan elle-même. Une narratrice qui parlait de sa vie intime, de son histoire avec François Busnel (de La grande librairie), de ses précédents romans, etc ... Si bien que je n'ai plus su où se terminait la réalité, où commençait la fiction. Delphine de Vigan a gagné. Je me suis interrogée tout le long du texte pour savoir si tel ou tel fait était vrai ou inventé pour finalement me demander si cela importait vraiment. Le roman est, en tout cas, original et bien pensé. 
Hormis ce jeu que Delphine de Vigan engage avec son lecteur, il y a l'intrigue. Celle d'une écrivaine incapable d'écrire après la publication de son dernier roman. Elle rencontre L., une femme énigmatique qui insidieusement la détruira. L'intrigue est lente et c'est ce que j'ai aimé. J'ai eu l'impression que Delphine de Vigan essayait de créer une ambiance à la Laura Kasischke, une atmosphère lourde et angoissante alors que rien finalement ne semble vraiment cauchemardesque. Delphine de Vigan n'a pas le talent de Kasischke dans ce domaine, mais le résultat sonne juste et j'ai vraiment embarqué. J'ai aimé la relation entre Delphine et L. L'auteure décrit avec précision ces actes en apparence anodins, mais qui peuvent lentement détruire quelqu'un. Le fait qu'on ait peu de réponses quand vient la fin du roman amène le lecteur à s'interroger, à réfléchir à toutes les hypothèses, même les plus saugrenues.
J'avais déjà lu Delphine de Vigan il y a longtemps avec Les heures souterraines. A chaque fois, il s'agit d'un cadeau. On m'a offert ces deux romans. Sans cela, je ne les aurais sûrement jamais ouverts. Je suis heureuse de les avoir reçus, car j'ai pu découvrir une auteure juste et très imaginative. Les heures souterraines était poignant. D'après une histoire vraie m'a tenu en haleine deux soirées. 
Un roman original à découvrir, une intrigue bien ficelée qui perturbe son lecteur
"Est-ce que chacun de nous a ressenti cela au moins une fois dans sa vie, la tentation du saccage? Ce vertige soudain - Tout détruire, tout anéantir, tout pulvériser - parce qu'il suffirait de quelques mots bien choisis, bien affûtés, bien aiguisés, des mots venus d'on ne sait où, des mots qui blessent, qui font mouche, irrémédiables, qu'on ne peut effacer. Est-ce que chacun de nous a ressenti cela au moins une fois, cette rage étrange, sourde, destructrice, parce qu'il suffirait de si peu de choses finalement, pour que tout soit dévasté?"D'après une histoire vraie, Delphine de Vigan, JC Lattès, 2015.
(Photos : Romanza2018)

mercredi 25 avril 2018

" Le cœur humain est assez vaste pour contenir l'univers ".

Lord Jim
Joseph Conrad

Livre de poche, Biblio, 2016.

Pour les Blancs de la côte et les commandants de navires, il était Jim - rien d'autre. Evidemment, il avait une identité plus complète, mais il n'acceptait pas de l'entendre mentionner. Son incognito - qui était aussi percé qu'un tamis - ne visait pas à dissimuler une personne, mais un fait. Lorsque celui-ci traversait le masque, il quittait sans délai le port où il se trouvait et partait pour un autre, généralement plus loin vers l'Est. Jim en appelait à la fois aux deux versants de l'âme - celui qui regarde constamment la lumière du jour et celui qui, telle la face cachée de la lune, reste sournoisement tapi dans une obscurité perpétuelle, avec parfois seulement une furtive lueur brumeuse venant caresser ses bords. Son attitude mystérieuse me fascinait, comme s'il avait été un prototype de sa race, comme si la vérité obscure qu'il recelait était assez grave pour affecter la conception que l'humanité se fait d'elle-même.

Voici un roman commencé il y a 9 mois au bord de la mer et terminé hier soir face aux montagnes brumeuses. 
Ma lecture de Lord Jim fut singulière. Lorsque j'ouvre un roman, je poursuis ma lecture jusqu'à la fin. Je ne commence pas d'autres romans en parallèle. Je peux lire des ouvrages théoriques, des beaux livres, des BD, des magazines, ... mais pas d'autres romans. Je suis assez exclusive sur ce point. Cependant, en ouvrant Lord Jim il y a quelques mois, j'ai compris que si je lisais d'une traite ce complexe et exigeant roman, je passerai à côté. 
Sans l'avoir prévu, j'ai donc fait une lecture "grignotage" de ce roman de Joseph Conrad. J'ai lu quelques pages par ci par là, entre deux romans ou lorsque j'avais quelques minutes à tuer. Il m'a suivi dans tous mes déplacements. J'en suis ravie car cette façon de le lire a fait que j'ai pu savourer toute la beauté de ce texte. 
Cela serait prétentieux de dire que j'ai tout saisi de Lord Jim. La narration est tellement étrange, les récits sont emmêlés et les personnages très énigmatiques, si bien que je n'ai pas tout compris au texte, je dois bien l'avouer. Ceci dit, j'en ai perçu la beauté. Lire Lord Jim, c'est être saisi, sans s'y attendre au détour d'une page, par une phrase, un mot, une image. Comme un long poème, Lord Jim offre des moments de pure délicatesse où les mots raisonnent, font écho, nous transportent. Et tant pis, si on a perdu le fil de l'histoire. 
Lord Jim fut une expérience de lecture particulière ... toute en sensibilité.  Je sais que c'est un roman, qui lut d'une traite, m'aurait fait souffrir. En le lisant par petits bouts, j'ai pu le déguster sans me lasser. Je n'ai pas cherché à me plonger dans l'intrigue, parfois complexe, mais seulement à apprécier ces belles phrases envoûtantes.
" Je restai planté là assez longtemps pour qu'un sentiment de solitude totale s'empare de moi, à tel point que tout ce que j'avais vu dans le passé récent, tout ce que j'avais entendu, et la parole humaine elle-même, me semblait ne plus avoir d'existence, et ne survivre qu'un instant de plus dans ma mémoire, comme si j'avais été le dernier représentant de la race humaine. C'était une impression étrange et mélancolique, née presque inconsciemment, comme toutes les illusions, dont je soupçonne qu'elles ne sont pas autre chose que des visions d'une lointaine et inaccessible vérité vaguement entrevue ".
(Lord Jim, Joseph Conrad, Livre de poche, 2016)
(Photos : Romanza2018)

lundi 23 avril 2018

L'enfer conjugal

Le destin de Mr Crump
Ludwig Lewisohn

Libretto, 2014.

A la Belle époque aux Etats-Unis, un homme jeune voit sa vie de couple se transformer petit à petit en un enfer insoutenable, comme un piège inévitable, son destin prend progressivement la forme d'une prison. 
Issu d'un milieu cultivé d'émigrés allemands installés dans le sud du pays, Herbert Crump est un jeune musicien plein d'avenir. Sa réussite passe nécessairement par la conquête de New York. Il quitte donc ses parents pour s'y installer et fait rapidement connaissance avec Anne, une femme d'apparence discrète et aimable. 
Manipulatrice et expérimentée, elle le fait rapidement tomber dans ses filets. Elle arrive sans trop de mal à se faire épouser du musicien naïf et moralement vertueux. 
Ce mariage est un désastre qui révèle à Herbert la vulgarité et la folie ordinaires de sa femme tout en compromettant sa réussite artistique. Entre cet homme et cette femme ce sont deux conceptions du monde inconciliables qui s'affrontent. 

En lisant Vera d'Elizabeth Von Arnim il y a quelques années, j'avais découvert une vision étouffante et diabolique du couple. La jeune héroïne était prise dans les filets d'un mari psychorigide et tyrannique. Le destin de Mr Crump expose la situation inverse. Nous suivons Herbert Crump, jeune musicien plein d'avenir, se faire piéger par Anne Vilas. 
Tout comme Vera, le génie de ce texte vient de la grande complexité des personnages et de l'analyse fine des liens qui les unissent. Les personnages ne sombrent pas dans la caricature et là où Lewisohn aurait pu décrire qu'une horrible histoire glauque, il dissèque avec précision et rigueur les relations entre Herbert et Anne. 
Le destin de Mr Crump est un roman violent et cru. Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi il a été refusé pendant plusieurs années. Rien n'est épargné au lecteur. L'image d'Anne, ses cheveux, ses cris, ses rides, ses mains, ses incontinences sont gravés dans ma mémoire. Cependant, Lewisohn ne tombe pas dans la violence facile. L'horreur de la situation de Herbert vient du fait qu'elle est terriblement réaliste, sournoise, insidieuse. J'avais imaginé en ouvrant ce roman davantage de coups bas et de tortures. Finalement, j'ai trouvé un roman d'une maîtrise incroyable, qui arrive à créer un malaise et un terrible sentiment d'horreur tout en restant dans le vrai, le crédible. Je ne suis à aucun moment restée bouche bée d'effroi en voyant les manipulations d'Anne, car toutes les manœuvres de cette femme sont discrètes. On assiste, penauds et fatalistes, à la lente destruction de Herbert. 
Je pense être la seule lectrice à avoir ressenti un peu de pitié pour Anne. Bien sûr, elle est odieuse et répugnante. Mais je n'ai pas réussi à m'enlever de la tête que pour agir ainsi, elle devait être terriblement seule et malheureuse. 
Le destin de Mr Crump se dévore. C'est un roman singulier, puissant, aux personnages complexes. A lire absolument!
"Elle entourait encore une fois la tête d'Herbert de ses bras nus. Il semblait y avoir dans sa voix une réelle tendresse. C'est cette tendresse, dont l'impression persista en lui, qui l'empêcha de voir les mâchoires du piège où il était pris. Celui-ci avait-il été tendu de propos délibéré ? Avait-on fait jouer intentionnellement le ressort pour refermer les mâchoires ? Sur ce point, Herbert réserva toujours son jugement. Peut-être était-ce une vanité essentielle, au fin fond de lui-même, qui le faisait penser ainsi, une répugnance à croire que dans sa vingt-quatrième année il n'était qu'un sot fieffé. Puis ce fut comme si un serpent lentement, peu à peu, l'eût étreint de ses replis et lui eût comprimé la poitrine. Il fut certain de la duplicité instinctive d'Anne, de sa perfidie sans borne. Il continuait à vouloir croire, à se forcer à croire, que durant ces premiers jours fatals, elle avait été poussée par une passion sincère, et avait été la victime et non la maîtresse des événements."(Le destin de Mr Crump, Ludwig Lewisohn, libretto, 2014)
(Photos : Romanza2018)

samedi 14 avril 2018

Princesse d'Egypte

 Le roman de momie
Théophile Gautier

Garnier flammarion, 1973.

Un lord anglais découvre la momie d'une jeune fille et en tombe amoureux.
Un papyrus placé dans la tombe, conte l'histoire de la mystérieuse "endormie"... À Thèbes, en Égypte, au temps de Moïse, Tahoser, jeune et séduisante Égyptienne brûle d'amour pour Poëri, un bel inconnu. Mais Poëri appartient au peuple esclave des Hébreux et aime Ra'hel. Tahoser en a le coeur brisé... Pendant ce temps, Pharaon la poursuit d'un amour dont elle ne veut pas...


Je croise ce roman depuis l'enfance. Ma main se tendait souvent vers lui à la bibliothèque municipale. Je l'ai souvent ouvert. J'ai découvert plusieurs fois les premiers mots aussi. Pourtant, je ne l'avais encore jamais lu.
Je confesse avoir eu quelques difficultés à entrer dans ce roman. Certes, l'ambiance y est envoûtante. J'aime beaucoup l'ambiance "archéologie égyptienne", j'ai donc été une proie facile. Mais les interminables (et bien trop méticuleuses) descriptions de Gautier ont eu raison de moi par moment. Cependant, le roman gagne en intensité dans le dernier tiers et j'ai été totalement happée. Impossible alors de lâcher cette histoire. Je voulais absolument connaître la fin de ce conte égyptien teinté de christianisme. J'ai embarqué jusqu'au dernier mot.
Gautier nous offre une oeuvre profondément romantique, dans sa thématique comme dans sa forme. L'Orient y est fantasmé, la nature et les sentiments des personnages se répondent, tiennent une grande place dans le livre. 
Ce fut une lecture à retardement. Le début fut laborieux et la fin, merveilleuse. A découvrir.
" Cette vieille hideuse, s'accrochant de ses doigts osseux au rebord du char, à côté de ce Pharaon de stature colossale et semblable à un dieu, formait un étrange spectacle qui, heureusement, n'avait pour témoin que les étoiles scintillant dans le bleu noir du ciel ; placée ainsi, elle ressemblait à un de ces mauvais génies à configuration monstrueuse qui accompagnent les âmes coupables aux enfers. Les passions rapprochent ceux qui ne devraient jamais se rencontrer ".
Théophile Gautier, Le roman de la momie, garnier flammarion, 1973. 
(Photos : Romanza2018)