mardi 29 mai 2018

Scientif-hic!


Prenez le temps d'e-penser - Tome 1 
Bruce Benamran

Poche Marabout, 2017.

Vous vous interrogez sur des phénomènes simples  sans retrouver dans quelle case de votre cerveau vous avez rangé ce que vous avez appris en 5ème. Vous êtes curieux mais pas franchement scientifique, ce livre est pour vous.

Qu’est-ce que l’électricité statique ? Pourquoi un aimant aimante-t-il ? Savez-vous ce qu’est la quinte essence ? Pourquoi éteint-on les lumières dans un avion un quart d’heure avant d’atterrir de nuit ? Mendeleïev est-il le premier vrai punk de l’histoire de la Russie ? Qu’a-t-elle donc de si « générale »  la relativité générale ?

Le temps est-il une illusion  ? La lumière est-elle d’ondes ou de particules ?…prenez le temps d’e-penser.


(Autant que vous le sachiez, cet article comporte de nombreuses digressions!)

Depuis mon aventure Je-me-reconvertis-et-fais-enfin-le-métier-dont-je-rêve-depuis-l'âge-de-3-ans-et-demi, je m'offre quotidiennement des moments de lecture "pour apprendre". J'ai toujours été une grosse lectrice de romans (ce que je revendique haut et fort d'ailleurs!). Si bien que mes "autres" lectures ont toujours été rares : BD, magazines, essais, documentaires, ... Depuis l'année dernière, j'ai pris goût à lire quelques pages par jour d'un texte qui m'apprend des choses (petite habitude prise durant la préparation au concours de prof des écoles). 

Avant de parler de Bruce Benamran, je tiens tout d'abord à vous parler d'Alexandre Astier. Pourquoi me direz-vous? Car c'est grâce à Astier que j'ai connu Benamran. Autant vous l'avouer tout de suite, je voue un culte à Alexandre Astier. C'est un auteur incroyable qui sait mêler humour et culture avec délice. Ses deux spectacles sur scène sont tout bonnement géniaux et je peux citer toutes les répliques de Kaamelott sans difficultés. Mais surtout, c'est un homme qui prône l'ouverture d'esprit et l'accès à la culture. Il revendique le fait que la vie est faite de connaissances et de découvertes incroyables qui n'attendent qu'une chose :  qu'on vienne vers elles. La vie est trop courte pour attendre que le temps passe, de rêver sa vie plutôt que de la vivre. Astier aime se cultiver, apprendre de nouvelles choses, débattre, fouiller, travailler. Il nous prouve aussi que la culture peut ne pas être lourde, pédante et ennuyeuse. Elle peut être passionnante et drôle (Bon, ok, ça je le savais déjà, mais une piqûre de rappel fait du bien). Tout ça pour dire que Bruce Benamran a fait la 1ère partie du spectacle d'Astier, L'exoconférence, et qu'Astier a fait la préface du livre de Benamran que je vous présente ici. Voilà, la boucle est bouclée. 

Dans l'esprit d'Astier donc, Benamran veut montrer que la culture (principalement scientifique ici) peut être expliquée facilement et de façon ludique. Bon ... je dois avouer qu'il ne m'a pas totalement convaincue. 
Je ne suis pas du tout scientifique. J'ai souffert (jusqu'à l'année dernière) d'une phobie des maths très handicapante toute ma scolarité et je suis littéralement sortie de mon corps durant tous les cours de physique-chimie que j'ai suivis. Pourtant, j'aime ça et j'ai pansé mes blessures maintenant que je suis enseignante. Ces disciplines me fascinent. Mais bon, que voulez-vous, l'étiquette "littéraire-nulle en maths" a bien fait son travail durant des années. J'ai donc ouvert ce livre assez "vierge scientifiquement". Je l'ai picoré durant plusieurs mois et je suis passée par différentes émotions. Plusieurs chapitres m'ont passionnée. J'ai appris beaucoup à la lecture de cet ouvrage. En tant que bonne littéraire, j'ai surtout aimé les anecdotes et les biographies de scientifiques (je suis désormais en admiration devant Giordano Bruno. En plus, j'ai appris que Sandor Marai avait écrit La nuit du bûcher en s'inspirant de sa vie. Il me le faut!).  J'ai retenu beaucoup de petites histoires sur l'évolution des sciences et les découvertes. Certains passages sont très bien écrits et se lisent comme un roman. Mais une grosse partie du livre est difficile à comprendre pour une païenne comme moi. Après tout, est-ce si grave de ne pas avoir tout compris, allez-vous me dire! C'est là où est le problème. J'ai très mal vécu les moments où j'étais larguée. Bruce Benamran insiste tellement sur le fait qu'il vulgarise le plus possible, qu'il ne peut pas faire plus simple, etc ... qu'au final, on a juste la sensation terrible d'être débile! Ce ton m'a franchement exaspérée. Peut-être suis-je la seule lectrice à l'avoir ressenti. Mais toujours est-il que je suis incapable après cette lecture de vous parler de la théorie de la relativité par exemple et j'ai l'horrible sensation que c'est entièrement de ma faute. Ceci dit, j'ai envie de comprendre, ma curiosité est éveillée et je compte bien fouiller, ne pas en rester là. Dans ce sens, Benamran a réussi son pari. Je prends le temps d'y penser. 

Un ouvrage intéressant, parfois drôle, plein de petites histoires passionnantes. Mais un ouvrage qui se veut simple et facile d'accès et qui pourtant peut parfois avoir un ton supérieur assez dérangeant
"Parmi ces cent astronomes choisis, il y en a un, français, très prometteur : Guillaume Joseph Hyacinthe Jean-Baptiste Le Gentil de la Galaisière, ou plus simplement Guillaume Le Gentil que, tant par souci de simplicité qu'afin de vous permettre de vous identifier à lui par un ingénieux mécanisme de familiarisation, je nommerai désormais Guigui. Parce que Guigui va avoir un destin tout à fait hors du commun. Il est le Pierre Richard de l'astronomie, le Jacques Villeret de la science ; il est sans conteste un des plus grands poissards de la triste et longue histoire des poissards. D'ailleurs, je n'hésiterai pas à marquer d'un "FAIL !" les étapes de sa vie auxquelles, vraisemblablement, son karma aura décidé de lui faire payer les fautes de toutes ses vies antérieures en seulement quelques années, parce, que oui, 'karma is a bitch'*."
Prenez le temps d'e-penser, Tome 1, Bruce Benamran 
(Photos : Romanza2018)

dimanche 27 mai 2018

Phénix

La part des flammes
Gaëlle Nohant

 Livre de poche,2016.

Mai 1897. Pendant trois jours, le Tout-Paris se presse à la plus mondaine des ventes de charité. Les regards convergent vers la charismatique duchesse d’Alençon. Au mépris du qu’en-dira-t-on, la princesse de Bavière a accordé le privilège de l’assister à Violaine de Raezal, ravissante veuve à la réputation sulfureuse, et à Constance d’Estingel, qui vient de rompre brutalement ses fiançailles. Dans un monde d’une politesse exquise qui vous assassine sur l’autel des convenances, la bonté de Sophie d’Alençon leur permettra-t-elle d’échapper au scandale  ? Mues par un même désir de rédemption, ces trois rebelles verront leurs destins scellés lors de l’incendie du Bazar de la Charité.

J'ai commencé ma lecture de ce roman sur des chapeaux de roue. Entamé un soir sous ma couette, j'ai lu jusqu'à 3h du matin, éclairée par une lampe frontale pour ne pas réveiller ma moitié. Autant dire qu'avec deux enfants en bas âge et une vie professionnelle bien remplie, ça ne m'arrive plus très souvent. J'ai été tenue en haleine durant plusieurs pages et ce fut jouissif. Le début de ce roman est très prometteur et la scène de l'incendie du Bazar est captivante (et traumatisante aussi). Malheureusement, les jours qui ont suivi, ma vie a été très occupée et je n'ai pu garder un rythme de lecture convenable. Du coup, mon enthousiasme s'est essoufflé. C'est bien dommage car La part des flammes est un excellent roman que je vais conseiller partout autour de moi. 
Je reconnais que la première moitié du roman est bien meilleure que la seconde, mais l'ensemble est superbement bien écrit et passionnant. J'ai aimé la finesse et la retenue de Gaëlle Nohant. Elle nous offre un roman intelligent et crédible, là où elle aurait pu écrire qu'un page turner téléphoné et sentimental.  Gaëlle Nohant ne cherche pas à tout prix à plaire à son lecteur. Elle ne fait ni dans le pathos, ni dans l'exagération. Son histoire est bouleversante tout en restant sobre. 
L'incendie du Bazar de la Charité reste pour moi la scène la plus réussie du roman. J'ignorais l'existence de cette tragédie et je savais encore moins que la petite sœur de Sissi y était liée.  J'ai appris beaucoup de choses à la lecture de ce roman et j'ai adoré ça. Quant aux personnages, je les ai trouvés crédibles et humains. 
La fin du roman ne m'a pas totalement convaincue, je le reconnais. J'ai aimé les dernières pages très en retenue, mais la scène de délivrance est trop tirée par les cheveux. Je n'y ai pas cru. 
Toujours est-il que La part des flammes est un excellent roman historique. J'ai aimé l'écriture très travaillée de Gaëlle Nohant. L'incendie du Bazar restera très longtemps gravé en moi.
Tout lire lui avait donné le vertige et une faim grandissante du monde. Elle y avait perdu le peu de déférence qu'on lui avait inculquée. Les livres lui avaient enseigné l'irrévérence et leurs auteurs, à aiguiser son regard sur ses semblables; à percevoir, au delà des apparences, le subtil mouvement des êtres, ce qui s'échappait d'eux à leur insu et découvrait des petits morceaux d'âme à ceux qui savaient les voir. Mais la lecture avait aussi précipité sa chute.
(La part des flammes, Gaëlle Nohant)
(Photos : Romanza2018)

vendredi 11 mai 2018

" Un papillon blanc, c'est une marguerite qui vole "


Vendredi ou la vie sauvage
Michel Tournier

Folio junior édition spéciale, 1993.

Un jour de septembre 1759, Robinson, seul survivant du naufrage de La Virginie, échoue sur l'île qu'il baptise Speranza et s'en déclare gouverneur. Aussi, quand il rencontre l'Indien Vendredi, le tient-il naturellement pour son esclave.

Voici un classique de la littérature de jeunesse que je n'avais jamais encore lu. En tant que professeure des écoles, je me devais de le découvrir. Je me souviens aussi que mon frère l'avait dévoré étant jeune adolescent. Il en parle toujours avec beaucoup d'émotion. Pour toutes ces raisons, je me suis décidée à découvrir ce texte si célèbre. Ce fut une belle découverte.
Je n'ai jamais lu Robinson Crusoé de Daniel Defoe, mais, je connais comme beaucoup l'histoire. Dans mon enfance, j'ai regardé un nombre incalculable de fois un vieux VHS d'une adaptation de 1972 du réalisateur russe Govoroukhine (que j'aimerais retrouver d'ailleurs). Je connaissais donc l'esprit très "colonisateur" de l'oeuvre de Defoe. La relation de Robinson et Vendredi, l'indien qu'il rencontre sur l'île, est basée sur la supériorité de l'homme occidental et civilisé. " Qu'était Vendredi pour Daniel Defoe? Rien, une bête, un être en tout cas qui attend de recevoir son humanité de Robinson, l'homme occidental, seul détenteur de tout savoir, de toute sagesse. L'idée que Robinson eût de son côté quelque chose à apprendre de Vendredi ne pouvait effleurer personne avant l’ère de l'ethnographie" (Michel Tournier, Le vent Paraclet). Michel Tournier va redonner sa vraie place à Vendredi lorsqu'il écrit Vendredi ou les limbes du Pacifique, puis Vendredi ou la vie sauvage. Il lui donne sa place d'homme, d'être pensant, détenteur d'une histoire et d'un savoir. Je ne savais pas, avant de le lire, ce que Tournier avait modifié dans l'histoire originale. J'ai été surprise par ce retournement, cette inversion des rôles. En tant que bonne occidentale, j'aimais la vie créée par Robinson au début de son naufrage ainsi que son organisation sur l'île. Puis j'ai compris, à l'aide de Vendredi, l'importance de la liberté et du respect de la nature
J'ai énormément aimé ce texte. L'écriture simple et limpide, pourtant pleine de symboles et de sous-entendus, est sublime. Ce court texte chamboule et bouscule. La fin m'a serré le cœur. 
Je pense que c'est un roman à mettre entre toutes les jeunes mains ... à condition d'en parler ensuite. C'est une histoire, certes belle, mais également dure. Certaines scènes peuvent marquer les jeunes lecteurs. Ce texte n'est pas évident à comprendre. Il doit être interprété et discuté avec les plus jeunes. Je pense que c'est un texte que je lirai avec de futurs élèves et que je ferai découvrir avec plaisir à mes propres enfants. Je le relirai, en ce qui me concerne, avec joie.
Un classique à découvrir!
"Ainsi toute l'oeuvre qu'il avait accomplie sur l'île, ses cultures, ses élevages, ses constructions, toutes les provisions qu'il avait accumulées dans la grotte, tout cela était perdu par la faute de Vendredi. Et pourtant il ne lui en voulait pas. La vérité, c'est qu'il en avait assez de cette organisation ennuyeuse et tracassière, mais qu'il n'avait pas le courage de la détruire. Maintenant, ils étaient libres tous les deux. Robinson se demandait avec curiosité ce qui allait se passer, et il comprenait que se serait désormais Vendredi qui mènerait le jeu."
Vendredi ou la vie sauvage, Michel Tournier, Folio junior, 1993, p 89) 
(Photos : Romanza2018)

mardi 8 mai 2018

Ressource

Ursule Mirouët
Honoré de Balzac

Folio classique, 2000.

«Croyez-vous aux revenants ? dit Zélie au curé. - Croyez-vous aux revenus ? répondit le prêtre en souriant.»

Ursule Mirouët est en effet une histoire de revenants et de revenus. Une histoire de revenus ou comment, dans la petite province vipérine de Balzac, des «héritiers alarmés» parviennent à voler le testament d'un vieux médecin et tentent de ruiner la jeune fille qu'il a adoptée. Une histoire de revenants et c'est tout le Balzac spirite et mesmérien qui, dans ce singulier roman, dit sa croyance aux rêves messagers du destin et vengeurs du crime.


Petit retour aux valeurs sûres cette semaine avec Balzac. Je ne l'avais pas lu depuis trop longtemps. Balzac est un auteur cher à mon cœur depuis ma lecture d'Eugénie Grandet à la fac. Pourtant ma première rencontre avec lui date du lycée avec La duchesse de Langeais et à l'époque, moi qui aimais tant les romans classiques, je n'avais pas accroché. Honte à moi! Depuis Eugénie Grandet, Balzac fait parti de ces auteurs que je lis régulièrement et avec beaucoup de plaisir.  Ursule Mirouët est ma quatorzième expérience balzacienne. 
J'ai entendu parler de ce roman de Balzac la première fois dans le roman de Dai Sijie, Balzac et la petite tailleuse chinoise. Les héros découvrent la littérature occidentale, interdite sous Mao, grâce à ce roman. Il le dévore en une nuit et au réveil, ils ont l'impression que tout ce qui les entoure est différent. J'avais aimé cette vision de la littérature si puissante qu'elle peut modifier le regard que l'on porte sur la vie. J'ai donc noté Ursule Mirouët en promettant de le lire
Cette lecture fut un régal. Je me suis délectée de chaque page et de la plume si vive de Balzac. Je reconnais que la jeune Ursule est un peu trop "oie blanche", cependant je l'ai prise en affection et j'ai tremblé pour elle. J'ai embarqué dans ce passionnant récit d'héritage et de revenants. Ursule Mirouët est un roman rythmé aux nombreux rebondissements. Je pense qu'il peut être une bonne première approche de Balzac. J'ai vu qu'il était souvent donné au collège ou au lycée et je comprends pourquoi. 
J'ai été très touchée par la relation entre Ursule et ses protecteurs. Le premier d'entre eux est, bien entendu, son tuteur le docteur Minoret. Mon cœur s'est souvent serré devant tant de tendresse. Je suis peut-être bien naïve et trop sensible, mais j'ai été très émue par le lien qui les unissait. Plusieurs personnages gravitent autour d'eux. On pourrait les classer dans deux catégories bien distinctes : les bons et les mauvais. Cependant, chez Balzac, la vie est bien plus complexe et lorsque les dernières pages arrivent, les sentiments évoluent et les personnages aussi. Je reconnais que le roman est dans l'ensemble assez manichéen, mais Balzac n'en reste pourtant pas là. La fin du roman rachète certains personnages noirs du texte et je pense également au personnage de Savinien, peu reluisant dans les premières pages qui gagne en maturité et en profondeur. 
Ce que j'aime tant également chez Balzac? Sa "comédie humaine" bien sûr. C'est un régal de croiser des personnages que l'on a déjà vus dans certains romans, d'autres que l'on croisera prochainement lors d'autres lectures. Ce monde qu'il a créé est fascinant. Comme avec les Rougon-Macquart, c'est un réel bonheur de chercher le liens, observer les clins d’œil, les allusions, de voir évoluer les personnages au fil des œuvres. Une fois Ursule Mirouët refermé, j'ai eu envie de me précipiter vers ces romans balzaciens qui m'attendent encore : Une fille d’Ève, Splendeurs et misères des courtisanes, Illusions perdues, ...
"Mais à l'aspect de Minoret-Levrault, un artiste aurait quitté le site pour croquer ce bourgeois, tant il était original à force d'être commun. Réunissez toutes les conditions de la brute, vous obtenez Caliban qui, certes, est une grande chose. Là où la Forme domine, le Sentiment disparaît. Le maître de poste, preuve vivante de cet axiome, présentait l'une de ces physionomies où le penseur aperçoit difficile trace d'âme sous la violente carnation que produite un brutal développement de la chair. Sa casquette, en drap bleu, à petite visière et à côtes de melon, moulait une tête dont les fortes dimensions prouvaient que la science de Gall n'a pas encore abordé le chapitre des exceptions. Les cheveux gris et comme lustrés qui débordaient la casquette vous eussent démontré que la chevelure blanchit par autre chose que par les fatigues d'esprit ou par les chagrins."
(Ursule Mirouët, Balzac, Folio classique, 2000, p 24) 
(Photos : Romanza2018)