dimanche 25 mars 2012

" La mouette a un cri étrange, on ne sait pas si elle pleure ou si elle rit. "

Nina par hasard
Michèle Lesbre

Sabine Wespieser éditeur, 2010.


Nina est apprentie coiffeuse à Roubaix. Sa mère, Susy, travaille dans une des dernières petites usines textiles du nord de la France. Dans l’univers clos de ces deux femmes, les hommes ne sont que des passions ravageuses pour la mère, des pères impossibles pour la fille. 
Avec son premier salaire, Nina a décidé de souhaiter son anniversaire à Susy en l’emmenant au bord de la mer. C’était sans compter avec Delplat, le patron cynique qui tous les vendredis vient « se faire rafraichir » au salon de coiffure, sans compter avec Legendre, le contremaître aux comportements sadiques, ni avec le naufrage des idéaux et des illusions dans le rude monde des adultes. Pourtant les bonheurs fugaces, les bals du dimanche, la belle solidarité des femmes et aussi Arnold, l’ami de Nina (qui lui montre les oiseaux et l'emmène au théâtre où elle rêve à une autre Nina, celle de La mouette), laissent ouvertes les portes d’un ailleurs possible…


J'ai reçu ce court roman en cadeau il y a environ 2 ans. C'est toujours un plaisir sans nom de recevoir un livre ... Mais étrangement, j'ai vite oublié ce roman et l'ai délaissé sur mes étagères. J'étais même persuadée, jusqu'à la semaine dernière, de posséder Le canapé rouge (le roman le plus connu de Michèle Lesbre) et non Nina par hasard. Je n'ai pas d'explications. C'est chose rare chez moi ... pourtant, ça arrive ... comme quoi! 
C'est le Salon du livre qui m'a donnée envie de reprendre le roman "mystère" de Michèle Lesbre dans ma bibliothèque. Je suis allée au salon, comme chaque année, avec une amie. Elle a fait une halte au stand de la magnifique édition Sabine Wespieser. Elle avait entendu parler de Michèle Lesbre et désirait s'offrir un de ses textes. Nous avons discuté avec une des dames tenant le stand. Cette dernière avait une vraie admiration pour les romans de Michèle Lesbre. Elle nous a parlé de chaque titre, c'était passionnant! Rentrée chez moi, je me suis précipitée vers le roman que je possédais. Surprise, il s'agissait de Nina par hasard. 
J'aime cette sensation de faire la connaissance d'une écriture, d'une sensibilité, d'un univers et de se rendre compte qu'une belle et longue histoire commence. J'ai aimé Nina par hasard. Il m'a touchée, m'a parlée, m'a émue. J'ai aimé cette plume simple mais incroyablement sensible. Ce ton entre la joie et la tristesse, entre l'amour des instants simples et la douleur des tragédies silencieuses et quotidiennes. 
Je ne saurai pas trop en réalité ce qui m'a tant plu dans ce texte. C'est quelque chose qui ne s'explique pas. Après le délicieux pavé de Sarah Waters, je ne m'attendais pas à être si enthousiaste après la lecture du petit roman de Michèle Lesbre. Et pourtant. Madame Lesbre parle vrai. Il y a le personnage magnifique de Susy, il y a l'union, l'amour de ces ouvrières prêtes à tout pour garder la tête haute, le doux Arnold, Louise la sensible, ...  Nina par hasard est un roman triste et pourtant, comme le dit si justement la quatrième de couverture, l'amour des moments simples de la vie est bien présent. J'ai aimé le ton doucement nostalgique, les souvenirs de petits instants en apparence anodins de Nina ... 
Un très beau roman ... dont j'ai du mal parler. Cette lecture fut toute personnelle.
Je sais que je vais très rapidement me procurer les autres romans de Michèle Lesbre aux noms devenus si enchanteurs pour moi : La petite trotteuse, Un lac immense et blanc, Sur le sable, .... 
Une belle histoire littéraire vient de commencer.

" La fille est apparue sur la scène, face au public, immobile, sous une colonne de lumière qui la tenait prisonnière. Elle est restée ainsi plusieurs minutes, des minutes qui nous donnaient une sorte de fièvre. Pendant un assez long moment, je n'ai pas entendu une phrase de son monologue. J'étais trop absorbée par cette présence, si seule, si exposée à nos yeux qui la dévoraient. Je l'enviais. J'enviais cette image qui me suffisait presque, qui me faisait penser à mon désir parfois d'être regardée ainsi, comme quelqu'un d'unique, de fragile, dont le mystère devrait émouvoir le monde entier. Je ne pouvais pas me concentrer sur ce qu'elle disait, tout en écoutant les mots comme de la musique. Aussi, sans même prêter une réelle attention aux paroles qu'elle prononçait, sans savoir de quoi il s'agissait, j'étais transportée d'émotion si intense que j'en frissonnais. "
(Nina par hasard, M. Lesbre, S. Wespieser, p79)

(Source image : Willy-Ronis-1938-Rose-Usine-Citroen-greve)

samedi 24 mars 2012

" J'ai le visage sombre comme le sang versé. "

Du bout des doigts
Sarah Waters

10/18, 2005.

Londres, 1862. A la veille de ses dix-huit ans, Sue Trinder, l'orpheline de Lant Street, le quartier des voleurs et des receleurs, se voit proposer par un élégant, surnommé Gentleman, d'escroquer une riche héritière. Orpheline elle aussi, cette dernière est élevée dans un lugubre manoir par son oncle, collectionneur de livres d'un genre tout particulier. Enveloppée par une atmosphère saturée de mystère et de passions souterraines, Sue devra déjouer les complots les plus délicieusement cruels, afin de devenir, avec le concours de la belle demoiselle de Briar, une légende parmi les cercles interlopes de la bibliophilie érotique. Héritière moderne de Dickens, mais aussi de Sapho et des Libertins, Sarah Waters nous offre une vision clandestine de l'Angleterre victorienne, un envers du décor où les héroïnes, de mariages secrets en amours interdites, ne se conduisent jamais comme on l'attendrait. Un roman décadent et virtuose.

Inlâchable, addictif, imaginatif. 
Je reste sur les fesses (en parlant poliment) devant ce gros pavé incroyablement délicieux. 
Même si l'histoire en elle-même (bien que merveilleusement bien imaginées) n'est après tout qu'une histoire tordue de famille, le génie de ce roman est davantage dans la manière dont Sarah Waters nous conte les aventures de Sue et Maud. Elle joue avec nous, avec nos émotions, notre naïveté. C'est tout simplement incroyable!
J'ai entamé ce roman tranquillement. Je suis entrée dans un clan de voleurs dans les bas fonds de Londres. Puis, j'ai assisté à la proposition de Gentleman, un homme assez étrange, d'escroquer une riche héritière. Le plan se met en place, prend forme, avance. Et là ... mon coeur a failli lâcher de surprise. Je ne m'attendais absolument pas à ce coup de théâtre. Pourtant, on le sait. Du bout des doigts est connu pour être surprenant. Et beaucoup d'indices nous sont livrés. Mais on a beau s'y attendre, on est tout de même pris. Je suis restée scotchée. Et à partir de là, impossible de lâcher ce roman. La seconde partie est passionnante. Sarah Waters arrive à nous faire relire des évènements qui ont déjà eu lieu, mais parce qu'ils sont vus d'un autre point de vue, il n'y a aucune répétition, aucun ennui. La troisième partie tout aussi prenante fait froid dans le dos. Quant au dénouement, il est parfait. Je l'ai trouvé sobre, profond et touchant. Après le tsunami émotif que l'on subi durant la lecture, cette conclusion tout en retenue est parfaite
Je trouve la quatrième de couverture assez mauvaise. Elle pourrait détourner beaucoup de personnes de ce roman, des lecteurs ayant peur de tomber sur un roman digne de La philosophie dans le boudoir. Et c'est bien dommage. Ce roman est beau. C'est une histoire d'amour entre deux coeurs solitaires que tout opposent et pourtant que l'Histoire réunit. Pas de voyeurisme dans ce texte. De la violence, de la cruauté, de l'infamie, de la puanteur, du vice ... oui ... Mais du voyeurisme, jamais. 
Les personnages sont tous très complexes. J'ai aimé cette particularité du roman qui rend la frontière entre le Bien et le Mal, l'honnêteté et la fourberie, la gentillesse et la cruauté très floue. Les actes des personnages ne sont pas que purement égoïstes et même si ils le sont, on les excuse quand on en connaît les raisons. Le personnage qui est, au final, le moins surprenant, c'est Gentleman. Il garde la même ligne de conduite durant tout le roman. Je ne citerai pas le nom du personnage qui pour moi est le plus incroyablement bien mené, ça serait trop en révéler, mais les personnes ayant lu le texte sauront de qui je parle ... 
Sarah Waters ne cherche pas la simplicité, mais ne tombe pas non plus dans une histoire trop acadabrantesque. Elle a su trouver le juste milieu entre réalisme et rebondissements. 
Il est très difficile de parler de ce roman sans rien dévoiler. J'ai, du coup, l'impression de ne parler pour ne rien dire. Je vais donc m'arrêter là et vous conseiller simplement d'ouvrir ce roman. Juste ça! Ouvrez-le! Je pense que vous ne le lâcherez plus. 
Un roman tout simplement époustouflant d'imagination ... Une histoire inoubliable qui nous poursuit longtemps après la dernière page tournée. 

" Elle n'était après tout qu'une fille comme les autres, même si tout le monde parlait d'elle comme d'une dame. Une fille qui ne savait pas ce que c'était que de s'amuser. Un jour, en rangeant un de ses tiroirs, je découvris un jeu de cartes. C'était apparemment sa mère qui les avait laissées là. Elle, elle connaissait les couleurs, mais c'était bien tout - les valets, pour elle, c'était des écuyers! Je lui enseignai donc un ou deux jeux simples auxquels on jouait au Borough. "
(Du bout des doigts, Sarah Waters, 10/18, 2005, page 132)


(Source image : Pierre Carrier Belleuse "Femme ajustant son corset". arts-lubies.blogspot)

jeudi 22 mars 2012

To be Jane Austen

Becoming Jane



Film britannique de Julian Jarrold (2007) avec Anne Hathaway, James McAvoy, ...


En 1795, la famille du révérend Austen n'a qu'une préoccupation : trouver à Jane, qui va avoir 20 ans, un bon parti afin de la marier au plus vite. Mais Jane est une passionnée qui n'imagine pas un seul instant épouser un homme qu'elle n'aime pas. Dotée d'une intelligence et d'une créativité surprenantes pour son siècle, elle montre de plus un indéniable talent pour l'écriture. Refusant de céder aux injonctions de son père, Jane multiplie les effronteries. C'est alors qu'elle croise le chemin d'un jeune homme peu banal, Tom Lefroy. Sous le charme, celui-ci tente de montrer à Jane que rien ne pourra jamais entraver son talent d'écrivain... 
(programme-tv.net)

J'avais déjà visionné ce film il y a environ 2 ans ... J'avais passé un beau moment. Ce film m'avait plu. Mais je dois admettre que je n'avais pas été très émue et que je n'avais pas non plus retrouvé ce qui me plaît tant dans l'univers de Jane Austen. 
Et j'ai été bien aveugle .... 

Depuis quelques semaines, je me suis mise à écouter la bande originale de ce film. Celle qui au début me paraissait quelconque et devenue un véritable enchantement. Dès que j'étais rentrée chez moi, je laissais ces belles musiques tourner en boucle. Bien entendu, j'ai eu une envie folle de revoir le film, en me disant que peut-être étais-je passée un peu à côté. Et ironie du sort, il est passé hier soir sur Arte. 

Ce fut un moment de grâce et d'émotion pur. Je ne l'ai pas du tout regardé comme la première fois, distante. Je me suis totalement laissée embarquer par cette histoire (très romancée) de Jane Austen. Certes, ce film n'a aucun fondement historique réel, mais il est totalement dans l'esprit des romans de notre chère Jane. L'humour, l'ironie, la satire, les sentiments, ... tout y est. Anna Hathaway campe une Jane Austen simple, intelligente, passionnée. Elle est sublime. Et le charme de James McAvoy opère dès les premières minutes. Ils forment tous les deux un beau et sincère couple.
C'est un film très littéraire. On y parle de livres, d'écriture, de femmes écrivains. Tous les amoureux des romans de Jane Austen ou de la littérature classique en général, s'y retrouverons, je pense. La bibliothèque, la découverte de Tom Jones, la rencontre avec Ann Radcliffe, ... que des instants de bonheur. Bien sûr, le bonheur est redoublé lorsqu'on est une amoureuse des romans de Miss Austen. La voir rédiger les premières lignes d'Orgueil et préjugés est un bonheur sans nom. Retrouver certains personnages dont elle se servira pour imaginer son roman phare n'a pas de prix. Un délice pour les puristes. 
Le dénouement de ce film m'a émue aux larmes. Le sacrifice de Jane est magnifique. On est partagé entre tristesse et joie. En renonçant à Tom Lefroy, elle renonce à sa seule chance de connaître l'amour, mais ce sacrifice lui permet aussi de devenir l'une des plus grandes femmes écrivains d'Angleterre. 
Et leur rencontre quelques années plus tard! Rencontre respectueuse, sereine ... mais si chargée d'émotions. L'amour dans le regard de Tom. Magnifique! 
Certes ce film est romancé, éloigné de la réalité (que l'on connaît peu d'ailleurs) ... mais quel bonheur de plonger dans cette touchante histoire mêlée d'humour, de poésie, de tristesse et de joie, accompagnée de musiques envoûtantes et servie par des acteurs francs, toute en justesse et délicatesse.
Un petite merveille à déguster. 

(Source images : allocine.fr)

dimanche 18 mars 2012

Salon du livre .... ou Comment se faire plaisir.


Je vais au Salon du livre de Paris chaque année depuis 2007 ... L'année dernière cette petite bouffée d'oxygène, ce moment rien qu'à moi, n'a pu se faire ... Mon petit Romanzino venait tout juste de naître ... J'étais bien loin de penser aux multiples rayons du Salon ... Je pouponnais.   
Autant vous dire qu'après ces deux ans d'abstinence, j'étais ravie de retrouver les allées du Hall 2 de la porte de Versailles ...  

Voici mes petites acquisitions : 
Les mystères de la forêt d'Ann Radcliffe
J'ai lu et gardé un souvenir mitigé des Mystères d'Udolphe ... Je suis restée sur ma fin, alors je compte bien me rattraper avec cette réédition d'un autre roman de la reine du gothique, Ann Radcliffe. 
J'ai été fascinée par les scènes de lectures de Catherine dans l'adaptation de Northanger Abbey (2007). Elles m'ont donnée envie de lire Les mystères d'Udolphe et Le moine. Les deux lectures sont faites. Mais il y a une autre scène au début du film dans le carrosse où je n'arrivais pas savoir quel livre Catherine lisait. Il y avait juste ce nom de cité "Adeline". Je sais maintenant que est tiré des Mystères de la forêt ... 

Nuit et jour de Virginia Woolf. Parce que depuis La promenade au phare c'est une dame que je veux connaître mieux, que Lou a été très convaincante en parlant de ce roman et que la collection est sublime. 
Quand j'étais Jane Eyre de Sheila Kohler. Jane Eyre étant un de mes romans préférés, je ne pouvais passer à côté de cette biographie de Charlotte Brontë ... 
Mildred Pierce de James M. Cain. Je n'avais jamais entendu parler de ce roman avant qu'une très bonne amie à moi, amoureuse des livres, m'en parle. Je suis ensuite allée voir la bande annonce de la nouvelle adaptation de ce roman (avec l'excellente Kate Winslet) et j'ai fondu ... Il me fallait le livre. J'ai hâte de l'ouvrir.
Cette édition est accompagnée du DVD de l'ancienne adaptation datant de 1945.
L'héritage de Charlotte de Mary Elizabeth Braddon. Cette dame anglaise me faisait de l'oeil depuis bien longtemps. Je suis tombée sur quelques uns de ses romans dans un stand. Malheureusement, il n'y avait pas Le secret de Lady Audley. J'aurai aimé connaître Miss Braddon par celui-ci. J'ai tourné mon choix vers ce roman et son histoire d'héritage et d'empoisonnement. On verra ... 
Corps et âme de Frank Conroy. J'ai croisé ce roman un nombre incalculable de fois souvent accompagné d'un "coup de coeur du libraire". Pourtant, je ne m'y suis jamais arrêtée. Jusqu'à ce que La grande librairie mette son grain de sel. Une libraire en a parlé avec tant d'émotions que j'ai été conquise ... Il a donc rejoint ma bibliothèque. 


Et pour Romanzino : Le petit déjeuner de la famille Souris de Kazuo Iwamura. J'avais envie d'acheter tous les rayons pour enfants. Je me suis tournée vers des albums plus récents, plus imaginatifs, plus drôles ... Mais la nostalgie a gagné. La famille souris, c'est toute mon enfance. Je voulais faire découvrir cette petite famille à mon fils, ses tendres dessins, ses histoires simples qui sentent bons les petits plaisirs de la vie. 

Un beau Salon du livre .... Que du bonheur! Vivement 2013 .... 

dimanche 11 mars 2012

" Nous avons décidé, unis dans l'amour, de ne pas nous quitter."

Les derniers jours de Stefan Zweig
Laurent Seksik

 J'ai lu, 2011.


Le 22 février 1942, en exil au Brésil, Stefan Zweig et sa femme Lotte mettent fin à leurs jours, dans un geste désespéré, mûri au coeur de la tourmente. Des fastes de Vienne à l'appel des ténèbres, ce roman restitue les six derniers mois du grand humaniste devenu paria et de son épouse. Deux êtres emportés par l'épouvante de la guerre : Lotte, éprise jusqu'au sacrifice ultime, et Stefan Zweig, inconsolable témoin du " monde d'hier ".


Le rencontre entre Stefan Zweig et moi fut un coup de foudre. Et jusqu'à ce jour, la flamme de la passion ne s'est pas éteinte. Avec Pearl Buck, Zola, Balzac, ... Stefan Zweig est l'écrivain que j'ai le plus lu. Tout a commencé lors d'un cours de français en 3ème. Ma prof était une vraie amoureuse de littérature et à la fin de l'année, avant notre brevet, elle nous avait donnés quelques titres des romans qui l'avaient émue aux larmes. Dans cette liste se trouvait La pitié dangereuse. Je n'avais jamais entendu le nom de Stefan Zweig, ne connaissais même pas l'histoire de ce roman. Le titre me plaisait, c'est tout. Je me suis empressée de le trouver et de le lire. J'ai dévoré ce sublime roman. Je suis tombée amoureuse de cette plume si sensible, si vraie, qui a su me parler, m'émouvoir. Depuis, il y a eu Le joueur d'échecs, Marie-Antoinette, Vingt quatre heures de la vie d'une femme, Le voyage dans la passé, Marie Stuart et Lettre d'une inconnue
De la vie de Stefan Zweig, je ne sais quasiment rien. A part sa fin tragique, je ne connais pas son caractère, ses engagements, ses amours ... Le beau roman de Laurent Seksik m'en a donnée un aperçu et il me tarde d'en savoir plus. 
J'ai beaucoup apprécié ce texte. Cette déclaration d'amour de Laurent Seksik à Stefan Zweig est extrêmement émouvante. J'ai eu la gorge serrée du début à la fin. J'ai découvert un Zweig doutant de lui, profondément humain, terrifié par son époque. J'ai aimé le voir vivre, bouger, parler, songer comme s'il était un proche, un ami. Les émotions, les pensées que lui prêtent Laurent Seksik sont extrêmement poignantes. J'ai ressenti cette douleur de se sentir inutile et lâche, cet instinct de survie qui nous fait culpabiliser d'être encore en vie alors que d'autres sont morts. J'ai réussi à comprendre le geste de Zweig. J'ai compris sa peine, sa fatigue, sa peur. 
Autre point passionnant de ce roman, le personnage de Lotte. Je ne savais strictement rien de la seconde épouse de Zweig. Elle m'a attendrie. J'ai ressenti tout l'amour qu'elle avait pour son époux, mais aussi ce sentiment qu'elle n'est et ne sera toujours que l'ombre du grand homme, qu'elle ne sera jamais "Madame Zweig" comme l'avait été Friderike, la première épouse de l'écrivain. Les dernières pages m'ont bouleversée. Le calme de Stefan, la confiance absolue de Lotte ... 
Une biographie de Zweig écrite par Dominique Bona m'attend dans ma bibliothèque, j'ai hâte d'en savoir plus. Il y a aussi La peur et autres nouvelles, ainsi que Brûlant secret qui me saluent du haut de leur étagère. Et je compte bien m'offrir Clarissa, Le monde d'hier et tous les fabuleux autres textes de ce sublime conteur de l'âme humaine. 

" Il sortit les livres, un à un. Lentement, pour chacun d'eux, il contemplait la couverture, effleurait la tranche. Puis, longuement, éperdument, de manière un peu risible, il plongeait le nez dans les pages; reniflait l'odeur qui s'en dégageait. Ces livres n'avaient pas vu la lumière depuis la fuite de la maison d'Autriche. Le dernier endroit qu'ils avaient connu était la bibliothèque du domaine de Kapuzinerberg. Le temps, la traversée des continents et des océans n'avaient pas dissipé leur parfum. Ils exhalaient l'odeur de la maison de Salzbourg. "
(Les derniers jours de Stefan Zweig, L. Seksik, J'ai lu, 2011, page 17)

(Source image : lefigaro.fr)

mardi 6 mars 2012

Dame blanche et idées noires

La dame en blanc
W.Wilkie Collins

Phébus, Libretto, 1998.

Les Français avaient oublié ce roman, ancêtre de tous les thrillers, qui fascinait Borges et rendit jaloux Dickens (roman publié ici pour la première fois en version intégrale). Il nous révèle une sorte de " Hitchcock de la littérature " : suspens, pièges diaboliquement retors, terreurs intimes, secrètes inconvenances - rien n'y manque. Pourtant le chef-d'oeuvre de Collins n'a jamais cessé d'être dans les pays anglo-saxons un succès populaire : l'un des plus sûrs moyens, en tout cas, d'empêcher l'innocent lecteur de dormir.


Je me suis ré-ga-lée!
La dame en blanc est un roman comme je les aime. Ambiance victorienne, personnages mystérieux et complexes, paysages angoissants, intrigue haletante, secrets de famille, journal intime, lettre anonyme ... Une histoire tout simplement passionnante.
J'ai découvert Wilkie Collins avec le très agréable Hôtel hanté (que je conseille). Avec La dame en blanc, je me rends vraiment compte du talent de ce grand homme. J'ai été en apnée tout le long de ma lecture. Mon emploi du temps chargé m'a empêchée de lire comme je l'aurai voulu et ce fut terrible. Je pensais à La dame en blanc toute la journée et priais pour que les heures défilent plus rapidement afin d'aller retrouver mon roman. 
Pourtant La dame en blanc n'est pas sans défauts. Je rejoindrai Lou lorsqu'elle dit que les personnages de Laura et Walter sont bien fades.  D'ailleurs, la troisième partie du roman (ce dernier étant divisé en trois époques) m'a moins passionnée que les deux premières. Dès que ce trop gentil Walter prenait la plume, je trouvais que le rythme se ralentissait. Le journal de Mariam est sans aucune hésitation ma partie préférée. J'ai adoré cette femme forte, son audace, ses valeurs, son féminisme. Laura paraît bien insipide aux côtés de son imposante soeur. Quand le journal de Mariam s'est arrêté pour un autre narrateur, j'ai été malheureuse ... Je voulais continuer à lire celle que je considérais désormais comme une amie. 
Le dénouement n'est pas difficile à trouver. Je ne pense pas d'ailleurs que l'intérêt principal du roman réside dans cette révélation finale. Le plus intéressant, c'est la manière dont Collins mène son histoire, comment il décrit ses personnages, comment il nous met doucement dans cette ambiance délicieuse. Les pages à Blackwater Park m'ont totalement hypnotisée. Collins a une façon de décrire les scènes clés, les révélations, les passages décisifs qu'ils nous hantent longtemps après leur lecture. 
Une lecture vraiment passionnante, des personnages qui ont pris vie devant mes yeux (en particulier Mariam et le comte Fosco ... quel personnage géniallissime!), une atmosphère victorienne parfaite ... 
Que du bon ... malgré quelques infimes longueurs vers la fin. 
Je n'ai qu'une envie découvrir Pierre de lune que les amoureux de Collins trouve encore meilleur que La dame en blanc. 

"Je me retournais vivement, les doigts crispés sur le pommeau de ma canne.
Là, derrière moi, au milieu de la nuit, se tenait une femme, sortie de terre comme par miracle ou bien tombée du ciel. Elle était tout de blanc vêtue et, le visage tendu vers moi d’un air interrogateur et anxieux, elle me montrait de la main la direction de Londres. J’étais bien trop surpris de cette soudaine et étrange apparition pour songer à lui demander ce qu’elle désirait. C’est elle qui parla la première.
Est-ce la route de Londres ?
Je la regardai avec attention, étonné de sa singulière question. Il était alors près d’une heure. Je distinguai au clair de lune un visage jeune, pâle, maigre, fatigué ; de grands yeux au regard grave, des lèvres frémissantes et des cheveux d’un brun doré. Il n’y avait rien de vulgaire ni de grossier dans ses manières ; elle était calme et semblait pleinement maîtresse d’elle-même. Quelque chose en elle évoquait la mélancolie, une certaine méfiance peut-être. Sans avoir l’attitude d’une lady, elle n’avait rien d’une femme de basse extraction. La voix, pour le peu de paroles que j’avais entendues, m’avait parue curieusement éteinte et mécanique, malgré une élocution rapide. Elle tenait à la main un petit sac, et ses vêtements, d’après ce que je pus en juger, n’étaient pas luxueux. Elle était mince, et de taille plutôt supérieure à la moyenne. Sa démarche et ses gestes étaient tout à fait normaux. Ce fut tout ce dont je pus me rendre compte dans la demi-obscurité et dans l’étonnement où me plongeait presque jusqu’à l’étourdissement cette rencontre inattendue, bizarre. Quelle sorte de femme était-ce ? Et comment se trouvait-elle seule, sur la grand-route, en pleine nuit ? J’étais incapable de le deviner. J’étais certain d’une seule chose : l’homme le moins pénétrant ne se serait pas trompé sur le sens de ses paroles, même à cette heure suspecte et en ce lieu désert."
(La dame en blanc, W. Collins, Libretto, 1998, page 24-25)


(Source image : fernand khnopff La dame en blanc. art-memories.com)