mercredi 29 avril 2015

" Nous sommes simplement deux personnes. Il n'y a pas tant de choses qui nous séparent. "

La couleur des sentiments
Kathryn Stockett

 Babel, 2012.


Chez les Blancs de Jackson, Mississippi, ce sont les Noires qui font le ménage, la cuisine, et qui s’occupent des enfants. On est en 1962, les lois raciales font autorité. En quarante ans de service, Aibileen a appris à tenir sa langue. L’insolente Minny, sa meilleure amie, vient tout juste de se faire renvoyer. Si les choses s’enveniment, elle devra chercher du travail dans une autre ville. Peut-être même s’exiler dans un autre Etat, comme Constantine, qu’on n’a plus revue ici depuis que, pour des raisons inavouables, les Phelan l’ont congédiée.

Mais Skeeter, la fille des Phelan, n’est pas comme les autres. De retour à Jackson au terme de ses études, elle s’acharne à découvrir pourquoi Constantine, qui ‘la élevée avec amour pendant vingt-deux ans, est partie sans même lui laisser un mot.
Une jeune bourgeoise blanche et deux bonnes noires. Personne ne croirait à leur amitié; moins encore la toléreraient. Pourtant, poussées par une sourde envie de changer les choses, malgré la peur, elles vont unir leurs destins, et en grand secret écrire une histoire bouleversante.


J'ai mis plus de deux semaines à lire ce roman. Si je n'avais pas eu mes longues journées de travail, je l'aurai lu en 3 jours. La couleur des sentiments m'a happée, envoûtée. Un coup de cœur.
Kathryn Stockett offre une histoire humaine sans aucune caricature, ni cliché. La couleur des sentiments est à la fois drôle et bouleversant. Certains passages m'ont mis le sourire aux lèvres, à d'autres moments j'ai même carrément ri. Mais j'ai été également profondément émue. Le cœur serré, le souffle court, la larme au bord de l’œil. Kathryn Stockett ne cherche pas à tomber dans le mélodrame, le pathos. L'émotion n'est pas forcée, elle est pure et vraie
Aibileen, Minny et Miss Steeker se relayent pour nous raconter leur histoire. J'étais ravie de retrouver chacune d'entre elles. Kathryn Stockett change avec finesse de narratrice. Le style, la façon de penser ou d'être changent naturellement. 
J'ai aimé Aibileen pour sa tendresse et son amour pour les enfants. Sa relation avec Mae Mobley, la petite blanche dont elle a la charge, est magnifique. J'ai adoré les scènes où Aibileen essaie de faire intégrer à la petite fille qu'elle est quelqu'un de bien : Ensuite, Mae Mobley s'approche, elle appuie sa joue contre la mienne et elle reste sans bouger, comme si elle savait que j'ai de la peine. Je la serre fort contre moi, je dis tout doucement : "Tu es une fille intelligente. Tu es une gentille fille, Mae Mobley. Tu m'entends?" Et je le dis encore et encore jusqu'à ce qu'elle répète " (p133). C'est tout ce en quoi je crois. Les enfants tentent de ressembler à l'image qu'on a d'eux, plus on les valorise en leur disant qu'ils sont une bonne personne, plus ils en deviennent une. 
Minny est spontanée et son caractère bien trempé m'a souvent fait rire" Elle a tellement de fourrés d'azalées qu'au printemps prochain son jardin ressemblera à Autant en emporte le vent. J'aime pas les azalées et j'aime pas du tout ce film qui montre les esclaves comme une bande de joyeux invités qui viennent prendre le thé chez le maître. Si j'avais joué Mammy, j'aurais dit à cette brave Scarlett de se coller ces rideaux verts sur son petit cul blanc et de se la faire elle-même, sa robe provocante" (p75). Plus sensible qu'elle ne le laisse voir, Minny s'est forgée une carapace qui se fissurera au fur et a mesure de l'histoire. C'est également la plus dure envers les Blancs. Peu d'entre eux, voire aucun, ne trouvent grâce à ses yeux. Je la trouve très dure avec Miss Célia, personnage que j'ai adoré (pourtant, je n'ai aucun point commun avec elle). 
Miss Steeker est très attachante. Sa décision d'écrire un livre sur la condition des bonnes Noires du Mississippi est assez naturelle. J'ai aimé que Miss Steeker ne soit pas rebelle ou en opposition constante. Cela aurait été un trait de caractère trop simple et évident pour un personnage principal. Miss Steeker se questionne sur la position des Noirs et des Blancs un peu par hasard. Sa bonne Noire, Constantine, l'a élevée comme sa propre enfant et pourtant n'a jamais été autorisée à se servir des même toilettes qu'elle, ni de s'asseoir à la même table. Elle comprend que quelque chose n'est ni logique, ni normal. L'histoire n'en devient que plus vraie, proche et humaine. 
Les deux camps, celui des Blancs et des Noirs, contiennent leurs cons racistes et leurs éclairés qui veulent voir les choses évoluer et changer, les voir devenir plus justes. Ils n'y a pas réellement de méchants ou de gentils. Même cette horrible Miss Hilly, bien que mauvaise jusqu'au bout des ongles, est reconnue par Aibileen comme une mère aimante et attentionnée. 
Durant toute ma lecture, j'étais assez frustrée de pouvoir prendre mon roman que le soir tard. Mais au final, je suis heureuse d'avoir lu cette histoire pendant plus de deux semaines. J'ai eu la sensation de vivre une existence parallèle. Lorsque la fin est arrivée, j'ai senti une pointe de nostalgie en repensant aux premières pages. 
La couleur des sentiments est un véritable "page turner" difficile à lâcher une fois commencé. Mais je ne le classerai pas pour autant dans la catégorie "roman à révélations", car ce n'est pas forcément une qualité pour moi. Ces romans sont parfois trop alambiqués.  Il y a des mystères et des secrets dans La couleur des sentiments, mais ils ne sont pas gardés très longtemps. Ce qui fait que ce roman est totalement addictif, c'est sa justesse, ce sont ces personnages sublimes et profondément attachants, son ambiance intime, son écriture fine et intelligente.
A lire absolument ... Je suis encore toute imprégnée de ce roman. 

" C'est ça qui est bien avec Aibileen, elle prend les choses les plus compliquées et en un rien de temps elle vous les arrange et vous les simplifie tellement que vous pouvez les mettre dans votre poche

" - Je ... Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis? "
La réponse fuse, sans hésitation. "Miss Hilly."
Je n'insiste pas. Je pense au projet de loi de Hilly pour les toilettes des domestiques, à ses accusations de vol à l'encontre de sa bonne, à ses discours sur les maladies des Noirs. Aibileen a lâché son nom comme on crache une noix de pécan véreuse. "
(La couleur des sentiments, K. Stockett, Babel, 2012, p240 et p174)



mardi 14 avril 2015

Faites la paix, pas la guerre.

Guerre et paix


 Film de King Vidor (1956) avec Audrey Hepburn, Henry Fonda et Mel Ferrer.

En 1805, à Moscou, les fêtes et les bals se succèdent, bien que la guerre contre Napoléon soit inévitable et imminente. La jeune comtesse Natacha Rostov, une adolescente romanesque, pleine de vie et de charme, grandit au sein d'une famille tendrement unie. Le jeune Pierre Bezoukhov fréquente la maison du comte et de la comtesse Rostov, et a su gagner l'amitié de Natacha. Au cours d'une de ses visites, il assiste au départ pour l'armée du fils de la famille, Nicolas. (telerama.fr)

Il y a un an, je découvrais Guerre et paix, roman de Léon Tolstoï. Je comptais regarder l'adaptation ciné dans la foulée, mais se caler un film de 3h15 dans un emploi du temps de maman active ce n'est pas simple. Je me suis (enfin) installée confortablement il y a deux jours, un an après avoir découvert l'épopée russe de Tolstoï.
Me replonger dans cette histoire fut un délice. Dès les premières minutes, je me suis retrouvée à Moscou, dans les campagnes russes enneigées, au front face aux troupes napoléoniennes.
J'ai trouvé cette adaptation assez fidèle. Elle suit bien l'intrigue de Tolstoï. Cette grosse production américaine met en image de façon spectaculaire le "roman-monde" de l'auteur russe. 
Certaines scènes sont bouleversantes. Je pense notamment à Natasha drapée dans sa cape et cherchant André parmi les blessés. Les chœurs en fond sonore créent une ambiance tragique mais délicate et toute en retenue. La marche de retour des troupes françaises également est particulièrement bien réalisée et prenante. 
Les décors intérieurs sont somptueux, les costumes magnifiques, les paysages envoûtants. On est dans une grosse production hollywoodienne typique des années 50. 
J'ai aimé l'évolution des couleurs, de l'ambiance, des visages au fur et à mesure du film. L'insouciante de début fait place au drame et à la douleur, puis l'espoir, la lumière réapparaissent timidement.


Henry Fonda est excellent. J'ai retrouvé le Pierre attachant du roman. A la fois, profond et naïf, son visage exprime avec finesse ses émotions, ses tiraillements. Mel Ferrer manque un brin de charisme et de complexité dans le rôle d'André. Il n'est pas désagréable, mais ce personnage est si particulier et évolue tellement durant tout le roman qu'il nécessitait un jeu d'acteur plus subtil. Quant à Audrey Hepburn, elle est parfaite. Elle interprète avec génie la Natasha rieuse, la Natasha perdue, la Natasha fière et combative, la Natasha bouleversée. Je regrette par contre d'avoir peu vu Marie, la sœur d'André, personnage que j'aime beaucoup. Mais le film dure déjà plus de 3h, je comprends que le réalisateur ne pouvait pas tout mettre.

Un joli et passionnant moment. Toujours un plaisir de se caler devant un vieux film, surtout si ce dernier est bon. Une adaptation fidèle et réussie du roman de Tolstoï. 



jeudi 9 avril 2015

Même pas à la cheville ...

Les mouettes
Sandor Marai

 Livre de poche, 2015.

Budapest, à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Un haut fonctionnaire hongrois reçoit une réfugiée finlandaise venue demander un permis de séjour et de travail. Une rencontre très troublante car Aino Laine est le sosie d'une femme qu’il a aimée et qui s’est suicidée quelques années plus tôt. Il invite à l’opéra cette « mouette » venue de si loin, et la soirée se prolonge chez lui par une conversation où elle expose son histoire et les détours qui l’ont menée en Hongrie. Dans cette confrontation de leurs passés, de nombreuses coïncidences surgissent ... 

Je voulais découvrir Sandor Marai depuis bien longtemps. Je viens de terminer Les mouettes et me voilà désormais bien embêtée. En tout honnêteté, je ne sais pas trop quoi en penser. 
Sandor Marai est un auteur d'une grande sensibilité, c'est indéniable. Les mouettes nous offre de jolis moments littéraires. J'ai aimé sa façon de gommer l'espace et le temps. Les dialogues remplacent la narration sans annonces préalables. Les pensées intérieures se mêlent aux paroles des personnages. C'est une histoire émouvante qui m'a envoûtée à certains moments. J'y ai trouvé de belles pages. Mais j'avoue avoir trouvé l'ensemble assez prétentieux. Je ne me suis pas sentie au niveau. Sandor Marai manque terriblement de simplicité. On ne s'exprime pas comme cela dans la vie. C'est trop philosophique, trop intellectuel pour paraître vrai. Je pense vraiment que je suis passée à côté. Je n'ai pas de réelles critiques à formuler, j'ai seulement eu la sensation d'un manque totale de naturel et de spontanéité. Les mouettes est bourré de tirades métaphysiques et je suis passée à côté. Je dois reconnaître que je suis un peu déçue. Et un peu en colère contre moi-même aussi car je sais que ce que j'ai lu est grand. Je ne m'avoue pas vaincue. Cet auteur mérite d'être lu et je retenterai bientôt. Je pense que c'est une lecture qui se digère. Depuis que j'ai refermé le texte, certaines images me reviennent, certaines paroles aussi. Je reviendrai vers Sandor Marai plus préparée et attentive la prochaine fois.  

" Comme il est pâle, pense la femme. Elle ferme à moitié les paupières et c'est à travers ces fentes étroites qu'elle l'épie, d'un regard froid, myope et attentif, un peu hostile.
Je dois être pâle, pense l'homme ; il se tient face au carreau réfléchissant de la vitre et sent que le sang s'est retiré de sa tête. "
(Les mouettes, Sandor Marai, Livre de poche, 2015, p21)

(Image : Ann Dvorak - classiccinemaimages.com)