La couleur des sentiments
Kathryn Stockett
Babel, 2012.
Chez les Blancs de Jackson, Mississippi, ce sont les Noires qui font le ménage, la cuisine, et qui s’occupent des enfants. On est en 1962, les lois raciales font autorité. En quarante ans de service, Aibileen a appris à tenir sa langue. L’insolente Minny, sa meilleure amie, vient tout juste de se faire renvoyer. Si les choses s’enveniment, elle devra chercher du travail dans une autre ville. Peut-être même s’exiler dans un autre Etat, comme Constantine, qu’on n’a plus revue ici depuis que, pour des raisons inavouables, les Phelan l’ont congédiée.
Mais Skeeter, la fille des Phelan, n’est pas comme les autres. De retour à Jackson au terme de ses études, elle s’acharne à découvrir pourquoi Constantine, qui ‘la élevée avec amour pendant vingt-deux ans, est partie sans même lui laisser un mot.
Une jeune bourgeoise blanche et deux bonnes noires. Personne ne croirait à leur amitié; moins encore la toléreraient. Pourtant, poussées par une sourde envie de changer les choses, malgré la peur, elles vont unir leurs destins, et en grand secret écrire une histoire bouleversante.
J'ai mis plus de deux semaines à lire ce roman. Si je n'avais pas eu mes longues journées de travail, je l'aurai lu en 3 jours. La couleur des sentiments m'a happée, envoûtée. Un coup de cœur.
Kathryn Stockett offre une histoire humaine sans aucune caricature, ni cliché. La couleur des sentiments est à la fois drôle et bouleversant. Certains passages m'ont mis le sourire aux lèvres, à d'autres moments j'ai même carrément ri. Mais j'ai été également profondément émue. Le cœur serré, le souffle court, la larme au bord de l’œil. Kathryn Stockett ne cherche pas à tomber dans le mélodrame, le pathos. L'émotion n'est pas forcée, elle est pure et vraie.
Aibileen, Minny et Miss Steeker se relayent pour nous raconter leur histoire. J'étais ravie de retrouver chacune d'entre elles. Kathryn Stockett change avec finesse de narratrice. Le style, la façon de penser ou d'être changent naturellement.
J'ai aimé Aibileen pour sa tendresse et son amour pour les enfants. Sa relation avec Mae Mobley, la petite blanche dont elle a la charge, est magnifique. J'ai adoré les scènes où Aibileen essaie de faire intégrer à la petite fille qu'elle est quelqu'un de bien : " Ensuite, Mae Mobley s'approche, elle appuie sa joue contre la mienne et elle reste sans bouger, comme si elle savait que j'ai de la peine. Je la serre fort contre moi, je dis tout doucement : "Tu es une fille intelligente. Tu es une gentille fille, Mae Mobley. Tu m'entends?" Et je le dis encore et encore jusqu'à ce qu'elle répète " (p133). C'est tout ce en quoi je crois. Les enfants tentent de ressembler à l'image qu'on a d'eux, plus on les valorise en leur disant qu'ils sont une bonne personne, plus ils en deviennent une.
Minny est spontanée et son caractère bien trempé m'a souvent fait rire : " Elle a tellement de fourrés d'azalées qu'au printemps prochain son jardin ressemblera à Autant en emporte le vent. J'aime pas les azalées et j'aime pas du tout ce film qui montre les esclaves comme une bande de joyeux invités qui viennent prendre le thé chez le maître. Si j'avais joué Mammy, j'aurais dit à cette brave Scarlett de se coller ces rideaux verts sur son petit cul blanc et de se la faire elle-même, sa robe provocante" (p75). Plus sensible qu'elle ne le laisse voir, Minny s'est forgée une carapace qui se fissurera au fur et a mesure de l'histoire. C'est également la plus dure envers les Blancs. Peu d'entre eux, voire aucun, ne trouvent grâce à ses yeux. Je la trouve très dure avec Miss Célia, personnage que j'ai adoré (pourtant, je n'ai aucun point commun avec elle).
Miss Steeker est très attachante. Sa décision d'écrire un livre sur la condition des bonnes Noires du Mississippi est assez naturelle. J'ai aimé que Miss Steeker ne soit pas rebelle ou en opposition constante. Cela aurait été un trait de caractère trop simple et évident pour un personnage principal. Miss Steeker se questionne sur la position des Noirs et des Blancs un peu par hasard. Sa bonne Noire, Constantine, l'a élevée comme sa propre enfant et pourtant n'a jamais été autorisée à se servir des même toilettes qu'elle, ni de s'asseoir à la même table. Elle comprend que quelque chose n'est ni logique, ni normal. L'histoire n'en devient que plus vraie, proche et humaine.
Les deux camps, celui des Blancs et des Noirs, contiennent leurs cons racistes et leurs éclairés qui veulent voir les choses évoluer et changer, les voir devenir plus justes. Ils n'y a pas réellement de méchants ou de gentils. Même cette horrible Miss Hilly, bien que mauvaise jusqu'au bout des ongles, est reconnue par Aibileen comme une mère aimante et attentionnée.
Durant toute ma lecture, j'étais assez frustrée de pouvoir prendre mon roman que le soir tard. Mais au final, je suis heureuse d'avoir lu cette histoire pendant plus de deux semaines. J'ai eu la sensation de vivre une existence parallèle. Lorsque la fin est arrivée, j'ai senti une pointe de nostalgie en repensant aux premières pages.
La couleur des sentiments est un véritable "page turner" difficile à lâcher une fois commencé. Mais je ne le classerai pas pour autant dans la catégorie "roman à révélations", car ce n'est pas forcément une qualité pour moi. Ces romans sont parfois trop alambiqués. Il y a des mystères et des secrets dans La couleur des sentiments, mais ils ne sont pas gardés très longtemps. Ce qui fait que ce roman est totalement addictif, c'est sa justesse, ce sont ces personnages sublimes et profondément attachants, son ambiance intime, son écriture fine et intelligente.
A lire absolument ... Je suis encore toute imprégnée de ce roman.
" C'est ça qui est bien avec Aibileen, elle prend les choses les plus compliquées et en un rien de temps elle vous les arrange et vous les simplifie tellement que vous pouvez les mettre dans votre poche "
" - Je ... Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis? "
La réponse fuse, sans hésitation. "Miss Hilly."
Je n'insiste pas. Je pense au projet de loi de Hilly pour les toilettes des domestiques, à ses accusations de vol à l'encontre de sa bonne, à ses discours sur les maladies des Noirs. Aibileen a lâché son nom comme on crache une noix de pécan véreuse. "
(La couleur des sentiments, K. Stockett, Babel, 2012, p240 et p174)