Une page d'amour
Emile Zola
Livre de poche, 1970.
La passion soudaine qui jette aux bras l'un de l'autre la belle et sage Hélène et le docteur Deberle fait l'objet d'une analyse psychologique nuancée et minutieuse.
Entracte dans une vie monotone et réglée, cette Page d'amour sera bientôt tournée et l'héroïne retrouvera à la fois son équilibre et sa solitude.
Onzième Rougon-Macquart et toujours un plaisir immense de lecture.
Une page d'amour est sublime. Ce roman m'a embarquée dès les premières pages. Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu un début de roman si prenant, si saisissant. A peine ouvert, j'étais déjà près d'Hélène, Pierre et Jeanne. Je ferme les yeux et revois Hélène, échevelée, courant désespérément à la recherche d'un médecin.
Hélène a une existence paisible et sereine. Veuve depuis quelques mois, elle vit seule avec sa fille, Jeanne. Son existence ne tourne qu'autour de son enfant à la santé fragile. Sa passion (réciproque) pour le docteur Deberle viendra tout bouleverser.
Zola analyse avec finesse chaque sentiment, chaque émotion. Ce roman, à première vue, semble moins cruel que d'autres Rougon-Macquart. Il n'y a pas de vils personnages ou de bas sentiments. Les personnages sont bons, certains un peu superficiels (comme Juliette), mais non mauvais. Leur faiblesse est d'être humains et de céder à leurs désirs. Zola restant Zola, l'histoire se terminera, malgré tout, cruellement. Les dernières pages ont réussi à me serrer douloureusement la gorge et à faire poindre une petite larme au coin de l’œil.
J'ai aimé la retenue de Zola, sa sensibilité dans la description des émotions. En quelques mots, il arrive à résumer la complexité des situations. Comme lorsque Hélène succombe à Pierre, il écrit une phrase terrible pour conclure le chapitre qui, à elle seule, décrit le cœur d'Hélène tout entier.
Je n'ai pas vu passer ces 450 pages. L'écriture est magnifique et l'histoire passionnante. C'est cruel, c'est beau, c'est juste ... C'est Zola, quoi!
" Dire qu'elle s'était crue heureuse d'aller ainsi trente années devant elle, le cœur muet, n'ayant pour combler le vide de son être que son orgueil de femme honnête ! Ah! quelle duperie, cette rigidité, ce scrupule du juste qui l'enfermaient dans les jouissances stériles des dévotes! Non, non, c'était assez, elle voulait vivre! Et une raillerie terrible lui venait contre sa raison. Sa raison! en vérité, elle lui faisait pitié, cette raison qui, dans une vie déjà longue, ne lui avait pas apporté une somme de joie comparable à la joie qu'elle goûtait depuis une heure. Elle avait nié la chute, elle avait eu l’imbécile vanterie de croire qu'elle marcherait ainsi jusqu'au bout , sans que son pied heurtât seulement une pierre. Et bien, aujourd'hui, elle réclamait la chute, elle l'aurait souhaitée immédiate et profonde. Toute sa révolte aboutissait à ce désir impérieux. Oh! disparaître dans une étreinte , vivre en une minute tout ce qu'elle n'avait pas vécu! "(Une page d'amour, Livre de poche, 1970, p162)
(Photos : Romanza2017)