mercredi 24 décembre 2014

" Des petits bouts de rêve, des images qu'on pensait perdues "

 La rivière sans repos précédé de 3 nouvelles
Gabrielle Roy


Boréal Compact, 1995.

Dans la communauté des Inuit de l’Ungava, où se sont implantés depuis peu les premiers Blancs, un drame se joue : celui de la confrontation entre les valeurs traditionnelles d’une civilisation millénaire et la culture nouvelle qu’apportent avec eux les gens venus du Sud. Cette confrontation donne lieu tantôt à des juxtapositions cocasses, comme dans deux des « Nouvelles esquimaudes » par lesquelles s’ouvre le livre, tantôt à des déchirements qui remettent en question toute la vie, toute l’identité de l’être en qui se heurtent les deux mondes. C’est le cas de Deborah, dans « Les satellites », qui ne sait plus trop comment il convient de mourir. Et c’est le cas surtout d’Elsa, l’héroïne du roman, mère d’un enfant qui, par son existence même, incarne à la fois le choc des deux civilisations et leur dialogue, c’est-à-dire l’équilibre fragile, peut-être impossible, entre les exigences de chacune : d’un côté, la fidélité et l’harmonie, de l’autre, l’appel du désir individuel et du progrès. Tableau des tensions qui traversent les sociétés autochtones dans leur contact avec le monde moderne, La Rivière sans repos est aussi le roman de toute existence humaine déchirée entre la nécessité de l’appartenance et celle de la liberté.

On est en décembre, c'est Noël. J'avais envie de froid. J'ai ouvert une histoire d'inuits.
J'ai découvert la littérature québécoise avec la superbe série de Michel Tremblay sur le Plateau Mont Royal. Puis, j'ai lu une de ces auteures les plus célèbres, Gabrielle Roy avec Bonheur d'occasion. Ce fut un coup de cœur. J'avais été bercée par ses mots et sa délicatesse. Je m'étais jurée de relire rapidement cette plume. Je profite généralement du Salon du livre de Paris et de la présence des éditions québécoises pour m'offrir un de leurs romans. J'avais acheté La rivière sans repos, un peu au hasard. J'ai mis du temps avant de l'ouvrir. Maintenant que c'est fait, une chose est sûre, je ne mettrai plus autant de temps avant de relire Gabrielle Roy. Et pourtant, je pense que La rivière sans repos est loin d'être sa meilleure oeuvre. Bien moins fort que Bonheur d'occasion, c'est un texte parfois long. Mais quelle douceur, quelle plume, quelle sensibilité! 
L'ouvrage débute avec trois nouvelles. La première Les satellites m'a totalement captivée. Je ne saurai pas exactement expliquer ce qui m'a tant émue. Sûrement le style si fin et humain de Gabrielle Roy. Elle arrive à rendre magique et émouvant des instants d'une simplicité déconcertantes, "Elle tenta de dérouler leurs fragiles feuilles dont elle sentit au toucher qu'elles étaient des choses vivantes, lui laissant au creux de la main un peu de leur humidité. Alors, à la dérobée, comme si elle était à commettre un larcin, elle se hâta d'en mettre plein les poches. Ce serait pour les enfants d'Iguvik, quand elle reviendrait, afin qu'ils aient quelque idée de ce que c'est que le feuillage d'un arbre." (p24/25). Sans parler de ses descriptions si précises, si belles. J'avais besoin de quelques secondes pour les déguster avant de poursuivre ma lecture, "Mais elle aimait davantage la terre sous ses yeux quand il n'y eut plus d'arbres. Elle trouva le plus attirant du monde, quand ils apparurent à son regard, les mamelons arides et les bosses pelées du pays nu entre lesquels brillait l'eau froide des lacs solitaires. Tant et tant de lacs, si loin d'ailleurs au fond du monde, que bien peu d'entre eux ont reçu un nom. Elle dévorait des yeux ce singulier lacis d'eau et de rocs où elle avait tellement erré naguère avec Jonathan, des paquets au dos, quelquefois un bébé dans le ventre, le visage inondé de sueur à ne pas voir devant elle, et voici que cette époque de sa vie paraissait lui avoir été d'une tendresse émouvante. Il fallait donc aller bien loin pour juger de sa vie, et c'était peut-être en ses jours les plus rudes qu'elle préparait les meilleurs souvenirs" (p35). 
Les deux nouvelles suivantes, Le téléphone et Le fauteuil roulant, mêlent avec talent humour et émotion. Gabrielle Roy nous montre la confrontation de deux mondes, de deux temps. Elles sont agréables à lire, bien écrites et intelligentes. Puis vient l'histoire principale, La rivière sans repos. Jimmy, l'enfant de l'héroïne, devient la personnification du thème abordé dans les autres histoires. Cet enfant, fruit d'une rapide union (un viol plus justement, même si ce n'est pas clairement dit) entre une inuit et un GI, sera tiraillé toute sa vie entre ses deux origines. Le début de cette histoire est magnifique et la scène de la naissance de Jimmy est bouleversante. Le texte s’essouffle un peu ensuite. Mais la douce plume de Gabrielle Roy nous berce avec bonheur. Ce n'est pas gai, mais c'est beau et juste. 
Les titres de Gabrielle Roy sont remontés dans ma liste de livres à acheter. J'ai envie de retrouver son humanité et sa douceur. 

" Dans la cabane ils avaient réussi à faire place à une caisse de bois qui servait de table et autour de laquelle ils s'assemblaient. Du plafond pendait la lampe. Sa lueur captait le brillant des yeux tout en laissant dans l'ombre la grossièreté du logis. Le bois humide se consumait lentement. De temps en temps, une goutte d'eau chassée par le feu explosait avec le sifflement d'une petite bête coléreuse. Elsa entreprit de lire à vois haute Ivanhoé. Ian qui croyait connaître cette histoire, l'ayant entendu dire déjà, se surprit à la suivre avec un intérêt neuf, soit qu'il eût mal écouté la première fois, soit maintenant, comme il le dit à moitié sérieusement, qu'Elsa en inventât. 
Elle ressentit bientôt à l'égard de ces vieux livres aux coins déchiquetés une passion comme elle e avait éprouvée toute jeune pour le cinéma, mais en plus fort, car la source de ravissement était à présent proche, sûre, peut-être plus vraie, et elle-même peut-être plus apte à y puiser. Elle se désolait sans limite quand elle arrivait à des trous, quelquefois trois ou quatre pages successives arrachées du livre." 
(La rivière sans repos, Gabrielle Roy, Boréal compact, 1995, p 166/167)

(Source image : jarres.artblog.fr)

lundi 15 décembre 2014

Chaque année, la magie est au rendez-vous!

Noël est là ... 


Orange, cannelle, joues qui piquent, sablés aux épices, chocolat, chants de Noël, thé parfumé, contes des pays froids, romans à déguster enroulé dans un plaid, sourires aux lèvres et bonne humeur ... 


Il y a comme de la magie dans l'air ... 

Bonne lecture au coin du feu et joyeuses fêtes à tous!

mercredi 3 décembre 2014

Une lente agonie ...

La recluse de Wildfell Hall
Anne Brontë

 Phébus, 2008.

Publié en 1848, La Recluse de Wildfell Hall, qui analyse sans concession la place des femmes dans la société victorienne, est considéré comme l'un des tout premiers romans féministes. Ce titre méconnu entretient, comme l'a souligné la critique moderne, de nombreux liens avec Les hauts de Hurlevent d'Emily Brontë. on y retrouve notamment les mêmes thèmes: alcoolisme, violence masculine corruption de l'enfance... Qui est la mystérieuse nouvelle locataire de Wildfell Hall? On ne sait pas d'où vient cette artiste qui se fait appeler Mrs Graham, se dit veuve et vit comme une recluse avec son jeune fils. Son arrivée alimente toutes les rumeurs dans la petite communauté villageoise et éveille l'intérêt puis l'amour d'un cultivateur, Gilbert Markham. La famille de Gilbert. est apposée à cette relation et petit à petit, Gilbert lui-même se met à douter de sa secrète amie. Quel est le drame qu'elle lui cache ? Et pourquoi son voisin, Frederick Lawrence, veille-t-il si jalousement sur elle ?


Je suis une victime de choix pour les auteurs classiques anglais. Je marche à tous les coups. J'ai carrément embarqué dans ce roman et je l'ai baladé partout durant plusieurs semaines. Ayant repris le travail depuis peu de temps, j'ai retrouvé le plaisir de m'isoler et de souffler en ouvrant mon roman ... pour quelques minutes entre deux activités.  
Ceux qui me suivent depuis un moment connaissent mon profond amour pour Jane Eyre. Bien sûr, j'ai nourri une fascination pour les trois sœurs Brontë. Je suis admirative de leur si vive imagination, leur maîtrise de la narration et leur capacité à créer une ambiance unique. Emily m'a fascinée avec Les Hauts de Hurle Vent, Anne, charmée avec Agnes Grey et j'ai bien sûr noté les autres romans de ma chère Charlotte. 
J'avais dans ma bibliothèque depuis longtemps, La recluse de Wildfell Hall, second roman de la plus jeune sœur, Anne. Elle n'a rien à envier à ses deux sœurs. Rien n'égale Jane Eyre pour moi, mais je ne pense pas que le talent soit en jeu. Les romans des sœurs Brontë nous prennent aux tripes et le choix d'un roman ou d'un style préféré est tout en émotion. Il y a les pro-Hurle Vent, les pro-Jane, mais je pense que nous serons tous d'accord pour dire que ces trois sœurs possèdent quelque chose d'unique et de grand.
J'ai retrouvé la force, la puissance des sœurs Brontë dans La recluse de Wildfell Hall. Il y a d'abord cette préface saisissante, très engagée. J'ai été étonnée de voir une Anne, que l'on dit si discrète, aussi vive et rebelle. Un sublime plaidoyer féministe. On s'engage ensuite dans l'histoire et en ce qui me concerne, il n'y a eu aucun temps mort, aucune page de trop, aucune ligne inutile. J'ai été intriguée, puis touchée et émue par l'histoire de Mrs Graham. Ce texte est extrêmement moderne pour l'époque. Anne dénonce la supériorité de l'homme sur son épouse, la soumission de celle-ci, les méfaits de l'alcool et la violence verbale et morale. C'est un roman très dur. Les sœurs Brontë sont très sombres dans leurs écrits. L'histoire de Mrs Graham est difficile, très réaliste et j'ai été étonnée de lire autant de détails sur la cruauté de Mr Huntingdon. J'ai physiquement frissonné en lisant la situation tragique de l'héroïne. Combien de femmes vivaient de telles choses? Et le vivent encore?
La recluse de Wildfell Hall n'a fait que me confirmer ce que je sais déjà. J'aime la littérature classique anglaise. J'aime me plonger dans ces univers si particuliers. J'aime les plumes de ces trois sœurs talentueuses, courageuses, à l'imagination incroyable. Une véritable lecture-immersion.


" C'est moi qui les quittés, dit-elle en souriant. Leur bavardage m'ennuyait mortellement. Rien ne m'épuise autant. Je ne conçois pas comment ils peuvent continuer de la sorte - je ne pus m'empêcher de sourire du sérieux de son étonnement. Ils estiment que toujours parler est un devoir, poursuivit-elle ; ils ne s'arrêtent jamais pour réfléchir, mais se gavent de petits riens sans intérêt et de vains radotages, car les sujets d'intérêt réel leur font défaut. Ou prennent-ils vraiment plaisir à de telles parlotes? "
(La recluse de Wildfell Hall, Anne Brontë, Phébus, 2008, p 85)


(Source image : artrenewal.org. La veuve d'Alfred Stevens)