Le bossu
Paul Féval
GF Flammarion, 1997.
Qui est le Bossu, cet être contrefait que l'on croise dans le Paris populaire comme à la cour du Régent ? Quels liens étranges l'unissent au chevalier de Lagardère, fine lame incomparable, cœur généreux, idole des dames et du petit peuple ? Les bonnes gens s' étonnent de voir l'un rendre si souvent à l'autre, sans que jamais on ne les voie ensemble. Pour accomplir son œuvre de justicier, pour venger Philippe de Nevers assassiné dix-huit ans plus tôt par le ténébreux prince de Gonzague, le beau Lagardère ne recule devant aucune audace.
(Pour ceux qui ne connaissent pas cette si célèbre histoire, ne lisez pas la suite de la 4ème de couverture de la présente édition si vous l'avez un jour entre les mains ... Je l'ai ici raccourcie).
Oui, je sais le titre de mon billet est facile! Mais cette phrase est si grandiose et fait tellement frissonner lorsque Henri de Lagardère la prononce dans les gorges de Caylus que je ne pouvais pas ne pas la mettre. C'est tout!
Autant vous dire que j'ai passé les quelques semaines qui viennent de s'écouler en bien bonne compagnie (et pas que grâce à Lagardère, mauvaises langues! Le vif et pétillant bossu y est pour quelque chose aussi). Je travaille beaucoup depuis le début du mois de juillet, je n'ai malheureusement que très peu de temps pour bouquiner (ce qui explique ma lenteur à lire Le bossu), mais ce fut chaque soir un régal d'ouvrir ce bouillonnant, ce foisonnant roman de Paul Féval.
Je connais l'histoire du Bossu comme beaucoup par les adaptations cinématographiques. Deux d'entre elles, pour être précise. Celle avec Jean Marais et celle avec Daniel Auteuil. Cette histoire me touchait beaucoup d'abord enfant puis adolescente où j'appris qu'il s'agissait à la base d'un roman. Il a fallu le swap Cape et épée (d'il y a quelques temps) pour que ce roman tombe enfin entre mes mains (le 1er qui me dit que j'ai mis un temps infini à l'ouvrir sera obligé de disserter sur le dernier roman de Marc Lévy ... non mais!). Sur le coup, j'ai douté : "Ma vieille, ouvrir un pavé de 800 pages écrit petit, ce n'est peut-être pas judicieux sachant que tu n'auras qu'une pauvre demi-heure au plus de lecture chaque soir et que tu seras dans un état de coma avancé ... ". Mais au bout de 3 pages j'étais piégée. Je suis tombée sous le charme de cette plume si proche de mon cher Dumas, une plume drôle, ironique, émouvante, énergique, ingénieuse ... Dumas reste Dumas, il est indétrônable, mais franchement, Paul Féval n'est pas loin. J'ai beaucoup ri (Aah! Passepoil et Cocardasse), j'ai été émue aussi ... Je suis passée par plusieurs émotions. J'ai cru à cette belle histoire d'amitié. Ce lien si soudain, si pur, si spontané entre Philippe de Nevers et Henri de Lagardère ainsi que le serment de ce dernier m'ont tirée les larmes aux yeux : " Oui, s'écria t-il, voici la fille de Nevers! Viens donc la chercher derrière mon épée, assassin! toi qui as commandé le meurtre, toi qui l'as achevé lâchement par-derrière! Qui que tu sois, ta main gardera ma marque. Je te reconnaîtrai. Et, quand il sera temps, si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi! " (p138).
Henri de Lagardère est un héros de roman comme on les aime. Courageux, beau, combattant hors pair, fidèle, ... Il a toutes les qualités que l'on peut rechercher chez un damoiseau. Trop parfait? Non. Le génie de Féval le rend également profondément humain. Oui, Henri de Lagardère a des défauts, il est faillible, sensible, méfiant, un peu névrosé et disons-le un brin rancunier, mais il n'en est que plus touchant : "J'arrivais confiant, heureux, plein d'espérance. Cette parole m'a glacé le coeur, madame. Sans cette parole, votre fille serait déjà dans vos bras. Quoi! s'interrompit-il avec une chaleur nouvelle, cette pensée est venue la première de toutes! Avant même d'avoir vu votre fille, votre unique enfant, l'orgueil parlait déjà plus haut en vous que l'amour! La grande dame me montrait son écusson quand je cherchais le coeur de la mère! Je vous le dis, j'ai peur; parce que je ne suis pas femme, moi, madame, mais parce que je parce que je comprends autrement l'amour des mères, parce que si l'on me disait : "Votre fille est là; votre fille, l'enfant unique de l'homme que vous avez adoré, elle va mettre son front dans votre sein, vos larmes de joies vont se confondre ... " si l'on me disait cela, madame, il me semble que je n'aurais qu'une pensée, une seule, qui me rendrait ivre et folle, embrasser, embrasser mon enfant! " (p475).
Cette histoire, vous vous en doutez, est bien plus riche que ce que les adaptations cinématographiques nous ont offerts. En 800 pages, Paul Féval a de quoi raconter. Des personnages très importants apparaissent (je pense notamment à Dona Cruz), des personnalités simplifiées par les films sont bien plus complexes ici (la veuve de Nevers en est l'exemple le plus flagrant. Sans compter Gonzague qui n'est qu'un agneau dans les adaptations comparé au loup du roman), ... Mais les films rendent bien l'ambiance, l'intrigue principale et l'humour du roman. Si vous aviez aimé regarder Le bossu, vous adorerez le lire. C'est passionnant, c'est envoûtant. On se bat à l'épée (et on gagne à chaque fois vu que l'on connaît la botte de Nevers), on aime le bienfaiteur d'Aurore (non, je ne me répète pas!), on tremble devant l'esprit machiavélique de Gonzague (quel vilain celui-là!), ... Bref! On referme le livre toujours avec regret!
La structure même du roman le rend agréable à lire. Il est composé de deux parties : Le petit parisien et Lagardère!. Celles-ci sont divisées chacune en trois temps, redivisés eux-même en plusieurs petits chapitres (soixante-deux en tout). Ce découpage rend le récit énergique, vivant, jamais ennuyant. 800 pages qui se dévorent.
Je ne peux que vous conseiller mille fois d'ouvrir ce texte plein de charme ... Un GRAND roman de cape et d'épée, mais aussi un GRAND roman d'amitié, de loyauté, de cruauté, de pouvoir, d'amour, ... Un GRAND roman, quoi!
Le fils de Paul Féval (Paul Féval fils ... original!) a écrit plusieurs suites au texte de son père. Pour cela, il a modifié la fin écrite par son père, fin qui n’amenait naturellement pas de suite. Peut-être que les romans écrits par Paul Féval fils sont passionnants, mais en ce qui me concerne l'histoire écrite par Paul Féval père est parfaite comme cela. Je n'ai ni l'envie, ni la curiosité de lire les suites. Il n'y a pas d'autres fins que celle écrite par Paul Féval pour moi.
" Un nom, une bosse, deux fardeaux qui n'écrasent que les pauvres d'esprits! Je suis un trop petit personnage pour être comparé à un financier d'importance comme M. Oriol. Si son nom l'écrase, tant pis pour lui; ma bosse ne me gêne pas. Le maréchal de Luxembourg est bossu! L'ennemi a t-il vu son dos à la bataille de Nerwinde? Le héros des comédies napolitaines, l'homme invincible à qui personne ne résiste, Pulcinella, est bossu par derrière et par devant. Tyrtée était boiteux et bossu; bossu et boiteux était Vulcain, le forgeron de la foudre; Esope dont vous me donnez le nom glorieux, avait sa bosse, qui était sa sagesse. La bosse du géant Atlas était le monde. Sans placer la mienne au même niveau que toutes ces illustres bosses, je dis qu'elle vaut, au cours du jour, cinquante mille écus de rente. Que serais-je sans elle? J'y tiens. Elle est d'or! "
(Le bossu, GF Flammarion, 1997, p557)
(Source image : bibliothèque nationale de France)