La faute de l'abbé Mouret
Emile Zola
Livre de poche, 1967.
Serge Mouret est le prêtre d'un pauvre village, quelque part sur les plateaux désolés et brûlés du Midi de la France. Barricadé dans sa petite église, muré dans les certitudes émerveillées de sa foi, assujetti avec ravissement au rituel de sa fonction et aux horaires maniaques que lui impose sa vieille servante, il vit plus en ermite qu'en prêtre. A la suite d'une maladie, suivie d'une amnésie, il découvre dans un grand parc, le Paradou, à la fois l'amour de la femme et la luxuriance du monde. Une seconde naissance, que suivra un nouvel exil loin du jardin d'Eden. Avec cette réécriture naturaliste de la Genèse, avec ce dialogue de l'ombre et du soleil, des forces de vie et des forces de mort, du végétal et du minéral, Zola écrit. certainement l'un des livres les plus riches, stylistiquement et symboliquement, de sa série des Rougon-Macquart.
Voici mon douzième Rougon-Macquart après La curée, Le ventre de Paris, L'assommoir, Une page d'amour, Nana, Pot-Bouille, Au bonheur des dames, Germinal, La terre, Le rêve et La bête humaine.
Je ne vous cache pas que La faute de l'Abbé Mouret faisait partie des tomes que j'appréhendais le plus. Parfois adulé, parfois détesté, ce roman laisse peu de monde insensible. Je l'ai ouvert un peu sur la défensive. Je vous rassure, j'ai tout de suite été prise par l'histoire. Je reconnais quelques faiblesses à cette oeuvre qui ne sera pas dans mes Rougon-Macquart préférés, mais j'ai énormément apprécié ma lecture et je suis ravie d'avoir lu un nouveau titre de la série.
J'ai embarqué dès les premières pages. Le village un peu sinistre, l'église, son odeur, son ambiance, les égarements spirituels de Serge, la naïveté de Désirée, ... j'ai aimé cette atmosphère religieuse et campagnarde. Je dois reconnaître que j'ai été surprise et un peu déçue par le début de la deuxième partie. Bien sûr, c'est volontaire de la part de Zola de créer une impression de rêve, mais j'ai été étonnée de retrouver Serge chez Albine, de les voir si intimes, alors que dans le chapitre précédent ils se sont à peine adressés la parole. J'ai trouvé leur personnalité totalement changée, surtout celle d'Albine. De sauvageonne mal éduquée de la première partie, elle ressemble soudainement à une jeune fille pure, blanche et douce. Je dois reconnaître avoir été déstabilisée. J'ai longtemps pensé que Serge divaguait et que je ne lisais que le fruit de son imagination. Zola casse le fil du récit, fait une ellipse de plusieurs jours et bouscule son lecteur. Une fois passé mon étonnement, je me suis lovée dans ce récit onirique et beau.
Zola reste Zola et ce texte est aussi cruel que les autres romans des Rougon-Macquart. Je pense notamment aux scènes finales comme l'égorgement du cochon, la naïveté un peu malsaine de Désirée, l'horrible pragmatisme des gens de la terre, le choix d'Albine, la colère du docteur Pascal.
Il faut accepter de ne pas avoir toutes les clés en fermant ce roman. Certains points restent obscurs. Serge est mystérieux, Albine déroutante, Désirée presque angoissante, certains moments sont élidés, certains personnages presque anecdotiques.
J'ai donc passé un beau moment et j'ai été ravie de relire Zola. Le nombre de Rougon-Macquart baisse considérablement. Je suis à la fois ravie de voir qu'il me reste 8 tomes à lire mais je suis également triste qu'il m'en reste si peu. Commencé à l'âge de 15 ans, je ne me lasse pas de déguster ces textes à la fois cruels et beaux.
"Et, en phrases hachées, coupées d'incidentes étrangères au sujet, il raconta l'histoire du Paradou, une sorte de légende qui courait le pays. Du temps de Louis XV, un seigneur y avait bâti un palais superbe, avec des jardins immenses, des bassins, des eaux ruisselantes, des statues, tout un petit Versailles perdu dans les pierres, sous le grand soleil du Midi. Mais il n'y était venu passer qu'une saison, en compagnie d'une femme adorablement belle, qui mourut là sans doute, car personne ne l'avait vue en sortir. L'année suivante, le château brûla, les portes du parc furent clouées, les meurtrières des murs elles-mêmes s'emplirent de terre; si bien que, depuis cette époque lointaine, pas un regard n'était entré dans ce vaste enclos, qui tenait tout un des hauts plateaux des Garrigues."
(Photos : Romanza2020)