jeudi 28 février 2019

" Oh, ce n'est pas Dieu qui leur fait peur. Pas le diable non plus. Non, ils ont peur des hommes ... "

La nuit du bûcher
Sandor Marai
Le livre de poche, 2017.

Rome, 1598. L'Inquisition sévit contre les hérétiques. Enfermés, torturés, ces derniers reçoivent à la veille de leur exécution la visite d'inquisiteurs pour les inciter à se repentir. Venu prendre des « leçons d'Inquisition », un carme d'Avila demande à suivre la dernière nuit d'un condamné. On lui accorde. L’hérétique, qui résiste depuis sept ans, s’appelle Giordano Bruno. L'Espagnol assiste aux dernières exhortations, vaines, des inquisiteurs, puis accompagne au petit matin le prisonnier au bûcher. Saisi par la violence de cette expérience, il voit toutes ses certitudes vaciller...

Nourri de l'expérience de la guerre, du fascisme, et du stalinisme qui poussera Márai à l'exil, ce roman, écrit en 1974, expose le regard lucide d'un homme sur l'idéologie totalitaire, conçue pour broyer la volonté et la dignité humaines.



Gros coup de cœur pour ce roman! Dès les premières mots, je me suis laissée totalement embarquer dans la confession de ce prêtre. J'ai lu son récit, j'ai senti le froid, vu la faible lumière de sa bougie, entendu le crissement de la plume sur le papier.
J'ai découvert l'existence de ce roman récemment. Je venais de lire un court article sur la vie de Giordano Bruno. Sa vie m'avait totalement captivée ... autant qu'elle m'avait faite frissonner. Avant Galilée, il y a Giordano Bruno. L'obstination de Bruno jusqu'à la mort a guidé Galilée qui lui a choisi la prudence. J'étais triste en apprenant qu'une statue de Bruno est dressée place Campo dei fiori à Rome. J'y suis passée plusieurs fois lors de mon séjour là-bas il y a quelques années et je ne me souviens pas de cette statue. Si j'y retournais aujourd'hui, ça serait avec émotion que je regarderais cet homme. Aimant de plus en plus la plume de Sandor Marai et ayant découvert que son roman La nuit du bûcher parlait de Bruno, je l'ai acheté très rapidement. 
J'ai été surprise par ce roman. Je m'attendais à un long échange entre le narrateur et Giordano Bruno la veille de son exécution. Un long discours qui viendrait chambouler les idées du jeune prêtre. Mais non. Marai est bien plus subtile que ça. De Giordano Bruno, on n'entendra pas un mot. Il y aura son regard. Il va être très difficile pour moi de parler de ce roman qui aborde beaucoup de thèmes en moins de 300 pages. Marai n'a pas cherché la simplicité. En fermant ce livre, on ne sait pas quoi penser des paroles écrites par le narrateur. Quelle finesse dans l'écriture et la pensée! Il faudrait relire ce roman, le décrypter, aller au fond. A la lecture, souvent, on se scandalise. Parfois, on comprend. La nuit du bûcher est un texte extrêmement complexe, bien qu'ils se lisent très facilement et soit prenant. Complexe déjà dans son sujet, l'Inquisition. Marai n'a pas écrit un traité anti-clérical. Sa pensée est bien plus riche et quelque soit nos idées sur la religion, on trouvera de quoi réfléchir. Je tiens aussi à vous rassurer, il n'y a aucun voyeurisme, aucun sadisme. J'ai apprécié cette retenue de l'auteur. Vous pouvez lire ce roman sans crainte de tomber sur une description détaillée du supplice de Bruno. Complexe également par le discours très engagé des personnages. Chacune de leurs pensées peut être analysée, discutée, étudiée. Enfin, complexe par la double lecture de cette oeuvre. Chaque page est une critique virulente du fascisme. Ce roman terriblement moderne nous rappelle que Marai a connu la seconde guerre mondiale. Chaque mot prononcé par l'Inquisition pourrait être prononcé par le IIIème Reich : " Puis il voulait savoir si l'acte de dénonciation était obligatoire chez nous. Quand je lui eus répondu que, oui, chaque fidèle était tenu de signaler à l'Inquisition tout comportement suspect - par exemple, au cours d'une conversation, si quelqu'un ne manifestait pas assez d'enthousiasme concernant l’exécution d'un hérétique par le feu -, le consulteur approuva du chef cette démarche avisée. Après avoir réfléchi, il demanda si cette conduite s'appliquait aux membres de la famille. J'eus la satisfaction de le rassurer sur ce point également : en effet, chez nous en terre espagnole, où l'Inquisition veille sur l'ordre et la sécurité publique, les enfants et les parents ont obligation de s'espionner les uns les autres. " (p32). "Ces gens-là critiquent nos méthodes! ... Ils oublient que tout moyen, tout accessoire est justifié quand il s’agit d'atteindre le But Sacré ..." (p36). Les pages à double sens abondent. J'ai corné énormément de pages dans ce court livre, soit pour leur beauté, soit pour leur justesse, soit pour le questionnement qu'elle soulèvent
Il y a tant à dire que je ne sais plus quoi écrire. J'aimerais en discuter, reprendre chaque ligne pour en débattre. Marai nous offre un roman à l'ambiance fascinante, étouffante. Sa plume d'une finesse absolue traite avec intelligence de liberté, de savoir, de croyance. Un texte qui me hantera longtemps. Un très grand texte à découvrir!
"Arrivera une époque où l'on regroupera sans ambages ni perte de temps tous ceux qui seront soupçonnés de tomber un jour dans le péché d'hérésie, à cause de leur origine ou pour d'autres raisons, dans des champs clos par des barrières de fer, pour des périodes plus ou moins longues .... mais en général il vaudra mieux que ce soit pour longtemps. Un tel lieu de détention, ceinturé de barrières de fer, permettra de surveiller en même temps des groupes plus importants ..." 
" Il est à craindre que tant qu’un tel homme existe quelque part, il soit vain de faire frire les autres sur le gril, de les cuire dans l’huile et de les casser sur la roue. J’avais appris que la Sainte Cause était plus important que tout, qu’il fallait un Seul Berger et un Seul Troupeau. Mais c’était avant d’être frappé comme par la foudre par un doute effrayant : un homme peut compter plus qu’un troupeau."(La nuit du bûcher, Sandor Marai)
(Photos : Romanza2019)

Toujours plus loin et toujours plus haut

Mary Anne
Daphné du Maurier
Livre de poche, 1973.


 Nous sommes à Londres, dans les dernières années du XVIIIe siècle, et nous assistons à l’ascension d’une gamine partie quasi du ruisseau mais que son intelligence et sa volonté vont porter au premier rang : jusqu’entre les bras du duc d’York, fils du roi et chef des armées britanniques en lutte contre Napoléon. Trahie, elle défraiera la chronique à la faveur d’un procès mettant en cause son amant, sera traînée dans la boue par les bien-pensants, se battra la rage au coeur pour faire reconnaître ses droits. Daphné Du Maurier n’est jamais mieux inspirée que lorsqu’elle traite de sujets qui la touchent de près. De Mary Anne Clarke, qui fut sa trisaïeule, les dictionnaires nous apprennent qu’elle fut l’une des grandes courtisanes de son temps – et qu’elle incarne aujourd’hui encore, aux yeux des lecteurs du monde entier, l’une des formes les plus pathétiques de la révolte féminine.


Etant une grande fan de Daphné du Maurier, j'attendais beaucoup de ce roman narrant la vie de sa scandaleuse trisaïeule. J'ai pourtant été bien déçue et j'ai même peiné à le finir. 
L'histoire avait pourtant tout pour me plaire : une femme intelligente qui prend son destin en main, un roman écrit par une grande dame de la littérature anglaise, ... bref, le cocktail était parfait. Cependant, la magie n'a pas opéré. Si je reconnais la qualité de certains passages, je me suis globalement ennuyée. Impossible pour moi de m'attacher à Mary Anne. Je n'ai pas su l'aimer, ni l'apprécier, ni la comprendre. Je ne suis pourtant pas obligée d'apprécier l'héroïne pour aimer un roman (Scarlett O'Hara, petite dédicace!), mais là, rien à faire, je n'ai pas été touchée par son histoire, ni impliquée dans son combat. La grande qualité de la plume de Du Maurier est de créer une ambiance totalement envoûtante et addictive. A la lecture de Mary Anne, je suis restée totalement à l'écart. Je reconnais certaines qualités à cette histoire, elle mérite dans un certain sens d'être lue, le propos est intéressant et le contexte historique aussi. J'ai beaucoup aimé les premières pages. L'enfance de Mary Anne est très bien écrite et pleine de promesse. Mais mon intérêt s'est essoufflé au fur et a mesure de la lecture. Disons que ça n'a pas été la lecture immersion que j'attendais. 
Si vous êtes fan de Du Maurier, vous pouvez lire ce roman tout en sachant que ce n'est pas son meilleur. Ceux qui ne connaissent pas l'auteure, ne commencez pas par celui-ci!
" Les matins avaient toujours le même parfum frais et excitant, et la mer de Boulogne étincelait comme jadis à Brighton. Elle quittait ses souliers, sentit le sable sous ses pieds nus, l'eau entre ses orteils. "Mère !" s'écriaient les vierges et vestales accourues en agitant leurs ombrelles... mais c'était cela, la vie, cette exultation soudaine, cette joie sans cause qui vous animait le sang, à huit ans comme à cinquante-deux. Cela s'emparait d'elle à présent comme toujours, flot ardent, griserie. Ce moment compte. Ce moment et pas un autre". Mary Anne, Daphné du Maurier.
(Photos : Romanza2019)

mercredi 20 février 2019

" ... moi vivant, la Sibérie est et sera un pays dont on revient!"

Michel Strogoff
Jules Verne
Le livre de poche, 2008.

Les provinces sibériennes de la Russie sont envahies par des hordes tartares dont Ivan Ogareff est l'âme. Ce traître, poussé par une ambition insensée autant que par la haine, projette d'entamer l'empire moscovite ! Le frère du tsar est en péril à Irkoutsk, à 5 523 kilomètres de Moscou, et les communications sont coupées. Comment le prévenir ? Pour passer, en dépit des difficultés sans nombre et presque insurmontables, il faudrait un courrier d'une intelligence et d'un courage quasi surhumains. Le capitaine Michel Strogoff est choisi et part, porteur d'une lettre du tsar, en même temps qu'une jeune Livonienne, la belle Nadia, et que deux journalistes, l'Anglais Harry Blount et le Français Alcide Jolivet... Dans ce très grand roman, les extraordinaires péripéties, souvent dramatiques, que va connaître Michel Strogoff, un des plus merveilleux héros de Jules Verne, au cours de son voyage à travers les immenses régions sibériennes, tiennent en haleine les lecteurs jusqu'à la dernière page.

Voilà un roman longtemps regardé, mais encore jamais ouvert. C'est désormais chose faite. Je suis heureuse de découvrir de plus en plus cet auteur français que j'ai longtemps boudé. Michel Strogoff est mon 4ème roman de lui (après Le château des Carpathes, Le Chancellor et Le tour du monde en 80 jours) et je suis de nouveau conquise
J'ai été happée par ce roman extrêmement bien écrit et passionnant. En grande amoureuse de la Russie, j'ai vécu chacun de ces chapitres avec enthousiasme et bonheur. Ce que j'aime chez Verne, hormis les nombreuses péripéties et la qualité d'écriture, c'est le lien qui unit les personnages. On embarque avec cette bande soudée par l'amitié, le respect, la bienveillance. J'ai adoré la relation entre la courageuse Nadia et l'honnête Michel. Que dire également des deux journalistes qui m'ont littéralement faite rire de bon cœur? Alcide Jolivet est une petite pépite, j'ai adoré ce personnage. 
Quant à l'histoire, il est vrai qu'elle tient en haleine. Je ne m'attendais pas à tant de rebondissements et j'ai souvent eu le cœur au bord des lèvres. 
Vous aurez compris que j'ai adoré ce roman. Cependant, ce n'est pas un coup de cœur absolu. J'y ai pourtant cru jusqu'au dernier moment. (Ceux qui n'ont pas lu le livre c'est le moment d'arrêter de lire ... jusqu'au prochain paragraphe!!). Pourquoi diable Jules Verne n'a-t-il pas laissé Michel Strogoff aveugle?? La scène de la torture est sublime et tragique. Elle crée un héros imparfait, sensible, juste, tellement magnifique. J'étais en extase devant ce Strogoff si génial. Et puis, voilà que dans les dernières pages, on apprend finalement que Strogoff a fait semblant et qu'il voit parfaitement bien. Quel dommage!! C'est le GROS reproche que je ferai à ce roman qui est pourtant sublime. J'en ai discuté avec mon Romanzo, qui est fan de Verne, et il m'a dit avoir été en colère à la fin du roman pour la même raison.
Je terminerai en vous encourageant à lire ce roman passionnant et à suivre Strogoff dans ses aventures. Les premières pages sont époustouflantes, l'incipit est légendaire. Attendez-vous cependant à être surprise et déçue dans les dernières pages. 
A lire ABSOLUMENT.
" Elle se rappelait ses attentions pendant le voyage, son arrivée à la maison de police de Nijni-Novgorod, la cordiale simplicité avec laquelle il lui avait parlé en l’appelant du nom de sœur, son empressement près d’elle pendant la descente du Volga, enfin tout ce qu’il avait fait, dans cette terrible nuit d’orage à travers les monts Oural, pour défendre sa vie au péril de la sienne !Nadia songeait donc à Michel Strogoff. Elle remerciait Dieu d’avoir placé à point sur sa route ce vaillant protecteur, cet ami généreux et discret. Elle se sentait en sûreté près de lui, sous sa garde. Un vrai frère n’eût pu mieux faire ! Elle ne redoutait plus aucun obstacle, elle se croyait maintenant certaine d’atteindre son but ".
Michel Strogoff, Jules Verne
(Photos : Romanza2019)