jeudi 23 novembre 2017

" Il faut aimer héroïquement ".

L'héritage d'Esther
Sandor Marai

Le livre de poche, 2003.

La fin de l’empire austro-hongrois et ses prolongements crépusculaires ont inspiré des écrivains majeurs comme les Autrichiens Joseph Roth, Stefan Zweig ou Arthur Schnitzler. Il faut y ajouter le Hongrois Sándor Márai (1900-1989) qui, aujourd’hui, est enfin reconnu comme un immense écrivain européen. L’Héritage d’Esther, publié en 1939, rassemble en un bref récit tout ce qui fait l’art de Márai. Retirée dans une maison qui menace ruine, engourdie dans une solitude qui la protège, une femme déjà vieillissante voit soudain ressurgir le seul homme qu’elle a aimé et qui lui a tout pris, ou presque, avant de disparaître vingt ans plus tôt. La confrontation entre ces deux êtres complexes Esther la sage, ignorante de ses propres abîmes et Lajos l’insaisissable, séducteur et escroc est l’occasion d’un de ces face à face où l’auteur des Braises et de La Conversation de Bolzano excelle. Un face à face où le passé semble prêt à renaître de ses cendres, le temps que se joue le dernier acte du drame, puisque « la loi de ce monde veut que soit achevé ce qui a été commencé ». La tension dramatique extrême, l’atmosphère somnambulique, l’écriture sobre et précise font de ce court roman un véritable chef-d’œuvre.

La plume de Sandor Marai fait inévitablement penser à celle à Stefan Zweig, auteur que j'aime profondément. Ils possèdent tous deux une plume délicate et nostalgique. L’héritage d'Esther est un court texte, profond et beau. Sandor Marai est un auteur tout en sensibilité, en retenue. 
Le cœur d'Esther ne nous est pas réellement dévoilé. La relation qui la lie à Lajos reste énigmatique. Lire Sandor Marai, c'est accepter de ne pas avoir toutes les clefs. La lecture est facile et les pages se tournent sans difficultés, pourtant les romans de Marai sont complexes et pleins d'implicites. Le lecteur doit travailler, soulever les blancs, combler les non-dits. Mais il peut aussi se laisser aller par la poésie de l'écriture de Marai, sans chercher à comprendre ou expliquer. Cet auteur est un beau mélange de simplicité et de complexité. L'héritage d'Esther est très travaillé, les personnages sont difficiles à cerner et l'intrigue est floue, pour autant c'est un texte très simple, vrai et juste.
Ce roman est ma troisième lecture de Sandor Marai. Je l'avais découvert avec Les mouettes que je n'avais pas particulièrement aimé. C'est avec Le premier amour que j'ai enfin compris le génie de Marai. L'héritage d'Esther vient me confirmer la grande sensibilité de cet auteur que je compte bien retrouver pour de prochaines lectures.
- Où sont tes limites, Lajos ? Dis-je enfin. Les yeux papillotants, il regardait la cendre de sa cigarette.
- Drôle de question ! Quelles limites ? S'enquit-il d'une voix hésitante.
- Quelles limites ? Répétai-je. Je pense que tout homme possède une limite intérieure qui sépare le bien du mal, une limite que rend possible les relations entre les êtres humains. Mais toi, tu n'as pas de limites.
- Ce sont des mots, dit-il, en esquissant un geste comme s'il s'ennuyait. Limites, possibilités. Bien et mal. Ce ne sont que des mots, Esther. As-tu remarqué, continua-t-il, que la plupart de nos actes n'ont aucun sens, qu'ils ne visent aucun but ? On doit les accomplir, même si l'on n'en tire ni profit ni plaisir. Si tu jettes un œil sur l'ensemble de ta vie, tu es bien obligée d'admettre que tu as fait beaucoup de choses pour la seule et bonne raison que tu en avais la possibilité.
- Tout ça est un peu trop compliqué pour moi, fis-je, découragée.
- Mais non, voyons ! Déplaisant, tout au plus. Quand on atteint la fin de sa vie, Esther, on se lasse de tout ce qui vise à un but quelconque. Moi, j'ai toujours aimé les actes inexplicables.
(L'héritage d'Esther, Sandor Marai, Le livre de poche, 2003). 

(Photos : Romanza2017)

samedi 18 novembre 2017

" ... c'était la vie qui scintillait dans ses yeux."

La renarde
Mary Webb

J'ai lu, 1973.

Comme un conte, imprégné de mystérieuses légendes et de nature frémissante, se déroule la tragique histoire de Hazel, la fille des bois, sauvage et libre comme la petite renarde sa compagne, qui ne découvre l'homme que pour lutter contre sa convoitise. 

Voici une vieux roman qui repose dans ma bibliothèque depuis des temps immémoriaux. J'ai lu Sarn de Mary Webb il y a quelques années. Même si j'ai peu de souvenirs de l'histoire, je me souviens avoir aimé ce roman original et cette plume à la fois douce et violente. En voyant l'automne s'installer, les arbres devenir rouges et la nature s'endormir doucement, j'ai eu envie de sortir de mes étagères La renarde, autre roman de Mary Webb
Ce roman m'a totalement charmée. J'ai été enveloppée par cette histoire sentant bon la forêt et le vent d'automne. Le style de Mary Webb oscille entre langage populaire et écriture poétique. La renarde nous offre de belles pages de descriptions, mais également des dialogues rustres de la campagne profonde. Je peux comprendre que cette ambivalence perturbe certains lecteurs. de mon côté, j'ai été conquise. 
Même si Hazel est un personnage très complexe que j'ai parfois eu du mal à suivre et comprendre, j'ai été touchée par cette jeune fille, libre et sauvage. Son histoire est violente, belle et révoltante. Dans ce roman, il est impossible de réellement savoir qui est coupable ou innocent. Les personnages semblent lutter contre des forces extérieures qui les poussent à faire les mauvais choix. Autour de Hazel gravitent deux hommes, le bon pasteur Edward et le terrible Reddin. Ces deux personnages sont particulièrement bien traités. Edward est touchant et généreux, tandis que Reddin est égoïste et tyrannique. Hazel, quant à elle, est tenaillée entre son corps et son âme et lorsqu’enfin ces deux parties d'elle-même se réunissent, il est déjà trop tard. 
Un roman et une auteure oubliés à ressortir très vite de nos armoires. Un sublime texte, envoûtant, charmant, à la fois cruel et beau. 
" Le manoir de Undern et ses nombreuses fenêtres à petits carrreaux regardaient vers le Nord avec un air buté. C'était un endroit dont ni la vue ni la poésie n'étaient rassurantes. Même en mai, quand les lilas se couvraient d'écume mauve, pavaient les allées d'ombre, embaumaient l'air, quand des feuilles s'effleuraient l'une l'autre comme de douces lèvres qui se consolent ; quand les merles chantaient, se laissaient tomber sans effort de vertes hauteurs en vertes profondeurs et chantaient de nouveau ; même alors quelque chose qui hantait ce domaine faisait battre le coeur pesamment."
(La renarde, M. Webb, J'ai lu, 1973, p35)
(Photos : Romanza2017)

Pour ceux qui n'aiment pas les vieilles éditions poussiéreuses, sachez que La renarde a été réédité chez Archipoche.

mercredi 15 novembre 2017

Un hiver avec Anna


Je ne relis jamais les romans que j'ai lus. Même ceux que j'aime profondément, auxquels je pense régulièrement, que je feuillette de temps à autre. Toujours attirée par les romans que je n'ai pas encore lus, j'oublie de revenir vers mes anciennes lectures. 
Pourtant, plus les années passent, plus l'envie de relire les œuvres chères à mon cœur est grande. J'ai envie de retrouver l'histoire, les mots, les personnages. J'ai envie de ressentir de nouvelles émotions en découvrant ces romans pour la seconde fois. Plusieurs titres me viennent. Jane Eyre, La reine Margot, Une vie, Orgueil et préjugés, Les Hauts de Hurle-vent, Anna Karenine, ... J'ai envie, maintenant, de prendre le temps de relire les romans que j'ai aimé. Je veux m'offrir ce luxe une fois de temps en temps

Ma lecture d'Anna Karenine fut un véritable tsunami. Tout comme celle de Jane Eyre, je me suis retrouvée submergée par cette histoire. Je pensais à Anna toute la journée. Elle m'a hantée bien après la lecture de ce roman. Je ne vois jamais un train sans penser à elle, j'ai remué ciel et terre pour voir les adaptations cinématographiques. Une vraie passion qui m'a habité durant plusieurs années. En une seule lecture, Léon Tolstoï était devenu pour moi un dieu, au point de donner son prénom à mon fils quelques années plus tard. 

En 2014, Eliza de Lectures and co organisait une lecture commune de Guerre et paix qui m'a permise de redécouvrir Léon Tolstoï et de savourer de nouveau sa plume magnifique. 
Il y a quelques jours, j'ai eu une envie folle de relire Anna Karenine, de retrouver la Russie, Levine et Kitty. Je me suis décidé à le relire cet hiver. Me souvenant du joli partage autour de Guerre et paix il y a bientôt 4 ans, je me suis dit que cette relecture pouvait être une belle occasion pour discuter et échanger.

Si cela vous dit, je vous propose donc de lire ou relire Anna Karenine cet hiver et/ou de voir une ou plusieurs adaptations cinématographiques réalisées. Nous pourrons ainsi échanger et discuter. 



Comme principales adaptations, vous avez :
  • 1935 : Anna Karénine  de Clarence Brown avec Greta Garbo.
  • 1948 : Anna Karénine de Julien Duvivier avec Vivien Leigh.
  • 1967 : Anna Karénine d'Alexandre Zarkhi 
  • 1997 : Anna Karénine  de Bernard Rose avec Sophie Marceau.
  • 2009 : Anna Karénine de Sergueï Soloviov 
  • 2012 : Anna Karénine  de Joe Wright avec Keira Knightley.


Je sais que je risque de manquer de temps, d'être engloutie par tout autre chose, mais je veux prendre ce temps, m'offrir ce plaisir, celui de relire un des romans qui a construit la lectrice que je suis. J'espère que cette relecture en appellera d'autres et que cela deviendra un petit rituel occasionnel. 

dimanche 5 novembre 2017

Swap traditionnel d'automne

Comme chaque année, UnlivreUnthé et moi-même avons organisé notre swap annuel. Moment de douceur où l'on oublie le stress, le quotidien et les soucis. On ne pense qu'à soi et aux délicieux instants précieux que nous offrent la vie. 


Nous avions choisi cette année le thème de la famille. Comme chaque année, ma chère amie m'a bien trop gâtée.



Pour être belle, j'ai eu un magnifique foulard bleu et rose, ainsi qu'une pochette girly contenant un gel douche et une crème pour le corps sentant la poire et le gingembre, mélange surprenant et délicieux. 
Côté gourmandise, j'ai eu 3 tablettes de chocolat (ma copine sait que je déguste toujours mon café d'après déjeuner avec un carré de chocolat) : un à la framboise, un autre aux noisettes et un dernier avec un zeste de citron vert. Le colis contenait également du miel d'acacia et un mélange de fruits secs
J'ai reçu 4 romans. Chacun d'eux parle d'une histoire de famille et possède dans son titre une référence à ce thème. Je vais pouvoir poursuivre ma découverte de Sandor Marai avec L'héritage d'Esther, découvrir Margaret Kennedy que ma mère aime tant avec L'idiot de la famille, lire le récent grand succès américain et coup de cœur de Titine, j'ai nommé Le fils de Philipp Meyer et relire (enfin!) Joyce Carol Oates avec La fille du fossoyeur.

(Le colis contenait également une charmante petite tasse à café .... Malheureusement, cette dernière n'a pas supporté le voyage et est arrivée cassée).


Encore un swap magnifique, tout en délicatesse, à l'image de ma tendre amie. 
Tu es si chère et importante dans ma vie. Merci pour tous ces partages, ces émotions, ces nombreux moments de joie et de complicité ... malgré la distance qui nous sépare. 

Pour voir le colis que j'ai envoyé à UnlivreUnthé, c'est ICI.

vendredi 3 novembre 2017

You belong to me

A moi pour toujours
Laura Kasischke

Le livre de poche, 2008.

« À moi pour toujours » : tel est le billet anonyme que trouve Sherry Seymour dans son casier de professeur à l’université un jour de Saint-Valentin. Elle est d’abord flattée par ce message qui tombe à point nommé dans son existence un peu morne. Mais cet admirateur secret obsède Sherry. Une situation d’autant plus troublante qu’elle est alimentée par le double jeu de son mari. Sherry perd vite le contrôle de sa vie, dont l’équilibre n’était qu’apparent, et la tension monte jusqu’à l’irréparable… 
Laura Kasischke peint avec talent une réalité américaine dans laquelle tout, y compris le désir, semble bien ordonné.

Après les très bons Esprit d'hiver et Rêves de garçons, je retrouve Laura Kasischke avec A moi pour toujours. J'ai été tenue en haleine durant 3 jours. J'ai littéralement dévoré ce roman. Impossible de le lâcher. Si je n'avais pas eu mes obligations quotidiennes, je l'aurai lu dans la journée. Pourtant, de mes trois lectures de Laura Kasischke, c'est celle que j'ai le moins aimée
A moi pour toujours malmène Sherry notre héroïne quadragénaire belle et dynamique. Comme dans chaque roman de Laura Kasischke, le vernis des charmantes familles américaines se fissure, craque, explose. On assiste à la lente chute de Sherry, aveuglée par son orgueil, par la routine, la monotonie, l'ennui. 
J'ai préféré la finesse d'Esprit d'hiver et de Rêves de garçons. A moi pour toujours est assez cru et je ne pense pas que ce soit toujours justifié et nécessaire. Ceux que les scènes érotiques dérangent, sachez que ce roman en est rempli. L'histoire est addictive et extrêmement prenante, mais je ne lui reconnais pas la qualité de mes deux précédentes lectures. Ceci dit, Laura Kasischke sera désormais une lecture annuelle obligatoire tant j'aime sa façon de me manipuler, me malmener, me rendre accro à ses histoires. Je suis fascinée par ces histoires de familles banales, bien sous tout rapport, qui cachent des drames et de lourds secrets. On y croit parce que c'est très bien écrit, à la fois simple et complexe. Les romans de Laura Kasische ne sont pas des thrillers rocambolesques ou des enquêtes policières. Ce sont des romans sociaux et psychologiques. L'auteure ne cherche pas LA révélation la plus scotchante possible, elle surprend tout en restant rationnelle, simple, cohérente .... et c'est en ça que ses romans sont terrifiants.

A moi pour toujours n'est pas le meilleur Kasischke, mais c'est un véritable page-turner à découvrir ... comme tous les autres romans de l'auteur (que je compte bien dévorer les uns après les autres). 
" Cela faisait maintenant deux décennies que nous étions ensemble, toutes ces années ayant été des années plutôt heureuses, productives, pleines de sens et de richesse. Les emplois sûrs. Le fils en bonne santé. La vieille ferme. Et même les voitures fiables, la mienne était une petite Honda blanche, toute vive et ronronnante, qui ne consommait pas beaucoup, un 4x4, et la sienne un énorme tonneau, un Explorer blanc, avec une tenue de route sérieuse, masculine,un peu comme l'incarnation de la gravité sur quatre roues."(A moi pour toujours, Laura Kasischke, Le livre de poche, 2008)

(Photos : Romanza2017)

jeudi 2 novembre 2017

Dieu, quel audace!

Les boucanières
Edith Wharton



« Elles incarnaient “la jeune fille américaine”, ce que le monde avait réussi de plus parfait » : pour Mrs St. George, ces cinq jeunes filles fraîchement débarquées à Londres sont un ravissement… Mais pour le petit monde étroit de l’aristocratie anglaise, leur pedigree laisse à désirer, et leurs ambitions paraissent bien vulgaires ? et puis quelle idée de fumer et de s’exhiber ainsi sans vergogne ? Les « boucanières » n’en ont cure : à elles la belle vie, les bons plaisirs et les beaux partis!

C'est avec un réel bonheur que j'ai ouvert un nouveau roman de ma chère Edith Wharton. Il s'agit de sa dernière oeuvre. Elle n'a d'ailleurs jamais achevé cette histoire. Elle est ici complétée, grâce aux notes laissées par Edith Wharton, par  Marion Mainwaring. J'ai pris un plaisir infini à lire ce roman.
Les boucanières voit évoluer plusieurs personnages féminins, jeunes et pleins de vie. L’obsession de leur entourage est de leur trouver un mari. Certaines d'entre elles se plient à cette volonté et participent activement à la recherche. Annabelle, elle, est la plus naturelle, la plus dénuée d'ambition. C'est un personnage que j'ai énormément aimé. Edith Wharton a créé des personnages vivants, légers, virevoltants. Moins sombre que d'autres romans de l'auteure, Les boucanières restent cependant une critique virulente des sociétés puritaines américaines et anglaises. Si les jeunes filles américaines semblent plus simples que les anglais, sous le vernis, il y a beaucoup de calcul, d'ambition et d'intérêt. Je suis à genoux devant Edith Wharton et la façon dont elle tisse l’ambiance de ses romans. J'aime ses dialogues, ses silences, ses non-dits, ses critiques fines et ses analyses pointues. 
Je ne suis pas capable, en toute honnêteté de repérer le moment précis où Marion Mainwaring prend le relais d'Edith Wharton. L'histoire se tient du début jusqu'à la fin. En reprenant les notes de l'auteure, elle a repris son intrigue, ses personnages, son dénouement. Ceci dit, je reconnais un changement de qualité d'écriture. C'est très discret et ne gêne en rien la lecture de ce texte sublime. Mais la finesse de Wharton est moins présente dans les 100 dernières pages. 
Edith Wharton est une grande auteure. Ses romans sont passionnants et offrent un sublime mélange d'intelligence et de romanesque. Les boucanières est mon 6ème roman de l'auteure et je compte bien lire l'intégralité de son oeuvre. 
"[...]la plus grande erreur, c'est de croire que nous savons toujours pour quelle raison nous agissons...Sans doute le maximum que nous puissions savoir consiste-t-il dans ce que les vieilles gens appellent "l'expérience". Mais celui ou celle qui l'acquiert n'est plus la personne qui a accompli des actes incompréhensibles. Je suppose que tout le problème vient de ce que nous changeons à chaque instant alors que nos actions, elles, demeurent."(Les boucanières, Edith Wharton, Points, 2010)
(Photos : Romanza2017)