Une fille d'Eve suivi de La fausse maîtresse
Honoré de Balzac
Folio, 2012.
Deux femmes, Clémentine et Marie. Deux mariages, deux époux, charmants, convenables, vivant l'amour à la petite semaine et «soignés comme une petite maîtresse». Deux femmes, deux mariages, deux époux et, bien sûr, deux amants, vigoureux comme des tigres, de «chevelure inculte» et de regard «napoléonien». Deux amants? En fait un seul, Balzac lui-même, prodigieux narcisse et visionnaire amoureux qui évoque ici une de ses conquêtes et «récupère» un de ses plus cuisants échecs amoureux, toutes les femmes ne lui ayant pas dit, comme Mme de Berny : «Adieu didi on t'aime quand même... malgré la corde qui te manque.» Et tous les personnages qui apparaissent dans Une fille d'Ève et deviendront les maréchaux et les grognards de la Grande Armée balzacienne font de ce roman le laboratoire central de La Comédie humaine.
C'est toujours un délice de se glisser entre les pages de Balzac. Je retrouve un ami de longue date. Un ami pertinent, juste, toujours aussi moderne et croustillant.
Une fille d'Eve est un agréable roman de Balzac. Il serait d'ailleurs parfait pour quelqu'un qui n'a pas encore osé s'attaquer à Honoré. Le propos est simple et le roman se lit tout seul. Cette facilité ne retire cependant rien à la finesse et au génie de l'auteur. C'est court, facile mais magnifique. L'héroïne, mariée à un homme honorable (Aah! Félix!!), tombe amoureuse d'un autre. Cet amant n'a rien de comparable à la grandeur de son époux. Il est insignifiant et assez fat. Marie-Angélique s'englue dans cette relation et y risque sa réputation et sa vie. Mais Félix lui vient en aide.
Le second roman de ce livre est La fausse maîtresse. Il s'agit là aussi d'un homme au cœur noble. Se sachant amoureux de l'épouse de son ami, Thadée Paz va s'obstiner à faire croire qu'il est amoureux d'une écuyère de cirque pour ne pas révéler son secret et protéger la femme qu'il aime.
Les hommes au cœur pur sont à l'honneur dans ces deux textes. De courts romans de mœurs à découvrir et à consommer sans modération.
"Dans ce boudoir froid, rangé, propre comme s'il eût été à vendre, vous n'eussiez pas trouvé ce malin et capricieux désordre qui révèle le bonheur. Là, tout était alors en harmonie, car les deux femmes y pleuraient. Tout y paraissait souffrant. […] et ces deux sœurs s'aimaient tendrement. Nous vivons dans un temps où deux sœurs si bizarrement mariées peuvent si bien ne pas s'aimer qu'un historien est tenu de rapporter les causes de cette tendresse, conservée sans accrocs ni taches au milieu des dédains de leurs maris l'un pour l'autre et des désunions sociales.
[…]
Imposée comme un joug et présentée sous des formes austères, la Religion lassa de ses pratiques ces jeunes coeurs innocents, traités comme s'ils eussent été criminels ; elle y comprima les sentiments, et tout en y jetant de profondes racines, elle ne fut pas aimée. Les deux Marie devaient ou devenir imbéciles ou souhaiter leur indépendance : elles souhaitèrent de se marier dès qu'elles purent entrevoir le monde et comparer quelques idées ; mais leurs grâces touchantes et leur valeur, elles l'ignorèrent."
Une fille d'Eve, Balzac.