mardi 30 mars 2021

Père? Puis-je?

Père

Elizabeth Von Arnim

Archi poche, 2014.

Orpheline de mère, Jennifer a passé les trente-trois premières années de sa vie à s’occuper de son père. Quand celui-ci se remarie, elle vit ses premiers instants de liberté et de bonheur innocent.
Tandis qu’il part en lune de miel, elle loue un petit cottage pittoresque dans la campagne et se prépare à vivre de l’héritage modeste laissé par sa mère, cultivant son jardin.
Cependant, toutes sortes de complications se font jour, à commencer par la personnalité des nouveaux propriétaires, un jeune clergyman et sa sœur autoritaire… Sans compter son père et sa jeune mariée, qui ne lui facilitent pas l’existence.
Une parabole sur les liens du devoir et la délivrance de l’amour, contée avec l’humour et la finesse d’Elizabeth von Arnim.

J'aime beaucoup Elizabeth Von Arnim depuis ma lecture du génial Vera qui reste à ce jour mon préféré de l'auteure. Père avait tout pour être un gros coup de cœur. J'ai adoré les premières pages. Malheureusement, au fur et à mesure de l'histoire, j'ai trouvé que le texte prenait un tournant, certes drôle, mais trop attendu et commun.

Dans Père, nous suivons la pétillante Jennifer. Dévouée depuis le décès de sa mère à son tyrannique père, elle s'empêche de vivre. Un jour, cependant, son père lui annonce son remariage. Loin d'affoler Jennifer, cette nouvelle la remplit de joie. La voilà enfin libérée. Une nouvelle épouse peut occuper la place d'esclave qu'elle occupait jusqu'à maintenant. Ces premières pages furent un régal! Voir Jennifer s'émanciper, devenir autonome et choisir enfin la vie qu'elle désire fut un enchantement. J'ai adoré les pages où elle cherche son futur logis et où elle s'y installe. Je me suis totalement identifiée à elle avec ses envies de nature, de silence, de jardinage et qu'elle veuille désormais vivre pour elle uniquement. Père nous offre de magnifiques pages engagées sur la condition féminine. 
Le roman, par la suite, est drôle et distrayant mais perd un peu de sa qualité. En réalité, j'aurais adoré lire des pages et des pages de la vie libre et solitaire de Jennifer. Je trouve dommage qu'à peine libérée de son père, elle rencontre forcément un homme. C'est trop cliché! Comme j'aurais apprécié lire l'histoire de la vie d'une jeune femme affranchie dans son cottage! Malgré ma déception, je reconnais à ce roman un charme fou. J'ai souvent souri. Père est un roman qui fait du bien

Elizabeth Von Arnim est une autrice à découvrir absolument si ce n'est pas déjà fait. Capable de faire frémir (comme dans Vera) ou rire (comme Avril enchanté et Père), cette dame a une plume attachante et sincère
Elle bêchait. "Quand une femme, décida-t-elle sévèrement, commence à éprouver des sentiments qui ne peuvent, si on ne les réprime pas, que la conduire à l'esclavage, le mieux qu'on puisse faire est de s'imposer un exercice dur et prolongé." Aussi bêchait-elle , et découvrit qu'il y a bien de la vertu dans une bêche.

Quand on en use avec persévérance, une bêche fait, Jen s'en aperçut, des miracles au bénéfice de l'esprit; et lorsqu'elle déposa la sienne le dimanche soir ... , lorsqu'elle la déposa, elle était d'avis qu'il ne devrait pas y avoir de femmes sans bêche. Elles ne seraient pas si sottes car elles s'aviseraient peut-être qu'il y a autre chose dans la vie qu'un certain homme. Elles s'aviseraient , par exemple, du goût étonnamment délicieux qu'ont le pain et le beurre quand on meurt de faim et, quand on a peiné dehors toute la journée, de la satisfaction profonde et exquise que donne un sommeil sans rêve.
Vraiment l'efficacité simple des bêches pour vous ramener à la raison étonna Jennifer. Surtout quand il faisait chaud, que la terre était brûlée de soleil, il n'y avait évidemment rien de tel. La transpiration ruisselait, et elle entraînait ces sentiments un peu fous pour James .Jen comprenait bien qu'on ne peut à la fois transpirer et soupirer.
... Aussi, elle bêchait et bêchait.

 Père, E. Von Arnim

lundi 29 mars 2021

Pause balzacienne

Une fille d'Eve suivi de La fausse maîtresse 

Honoré de Balzac

Folio, 2012.

Deux femmes, Clémentine et Marie. Deux mariages, deux époux, charmants, convenables, vivant l'amour à la petite semaine et «soignés comme une petite maîtresse». Deux femmes, deux mariages, deux époux et, bien sûr, deux amants, vigoureux comme des tigres, de «chevelure inculte» et de regard «napoléonien». Deux amants? En fait un seul, Balzac lui-même, prodigieux narcisse et visionnaire amoureux qui évoque ici une de ses conquêtes et «récupère» un de ses plus cuisants échecs amoureux, toutes les femmes ne lui ayant pas dit, comme Mme de Berny : «Adieu didi on t'aime quand même... malgré la corde qui te manque.» Et tous les personnages qui apparaissent dans Une fille d'Ève et deviendront les maréchaux et les grognards de la Grande Armée balzacienne font de ce roman le laboratoire central de La Comédie humaine.

C'est toujours un délice de se glisser entre les pages de Balzac. Je retrouve un ami de longue date. Un ami pertinent, juste, toujours aussi moderne et croustillant. 

Une fille d'Eve est un agréable roman de Balzac. Il serait d'ailleurs parfait pour quelqu'un qui n'a pas encore osé s'attaquer à Honoré. Le propos est simple et le roman se lit tout seul. Cette facilité ne retire cependant rien à la finesse et au génie de l'auteur. C'est court, facile mais magnifique. L'héroïne, mariée à un homme honorable (Aah! Félix!!), tombe amoureuse d'un autre. Cet amant n'a rien de comparable à la grandeur de son époux. Il est insignifiant et assez fat. Marie-Angélique s'englue dans cette relation et y risque sa réputation et sa vie. Mais Félix lui vient en aide. 

Le second roman de ce livre est La fausse maîtresse. Il s'agit là aussi d'un homme au cœur noble. Se sachant amoureux de l'épouse de son ami, Thadée Paz va s'obstiner à faire croire qu'il est amoureux d'une écuyère de cirque pour ne pas révéler son secret et protéger la femme qu'il aime. 

Les hommes au cœur pur sont à l'honneur dans ces deux textes. De courts romans de mœurs à découvrir et à consommer sans modération. 

"Dans ce boudoir froid, rangé, propre comme s'il eût été à vendre, vous n'eussiez pas trouvé ce malin et capricieux désordre qui révèle le bonheur. Là, tout était alors en harmonie, car les deux femmes y pleuraient. Tout y paraissait souffrant. […] et ces deux sœurs s'aimaient tendrement. Nous vivons dans un temps où deux sœurs si bizarrement mariées peuvent si bien ne pas s'aimer qu'un historien est tenu de rapporter les causes de cette tendresse, conservée sans accrocs ni taches au milieu des dédains de leurs maris l'un pour l'autre et des désunions sociales.

[…]

Imposée comme un joug et présentée sous des formes austères, la Religion lassa de ses pratiques ces jeunes coeurs innocents, traités comme s'ils eussent été criminels ; elle y comprima les sentiments, et tout en y jetant de profondes racines, elle ne fut pas aimée. Les deux Marie devaient ou devenir imbéciles ou souhaiter leur indépendance : elles souhaitèrent de se marier dès qu'elles purent entrevoir le monde et comparer quelques idées ; mais leurs grâces touchantes et leur valeur, elles l'ignorèrent."

Une fille d'Eve, Balzac.