Le moine
M.G Lewis
Babel, Actes sud, 2000.
" De moment en moment la passion du moine devenait plus ardente, et la terreur d'Antonia plus intense.
Elle lutta pour se dégager ; ses efforts furent sans succès et, voyant Ambrosio s'enhardir de plus en plus, elle appela au secours à grands cris. L'aspect du caveau, la pâle lueur de la lampe, et les objets funèbres que ses yeux rencontraient de toute part, étaient peu faits pour lui inspirer les sentiments qui agitaient le prieur ; ses caresses même l'éprouvaient par leur fureur : cet effroi, au contraire, cette répugnance manifeste, cette résistance incessante, ne faisaient qu'enflammer les désirs du moine, et prêter de nouvelles forces à sa brutalité.
" Pour mettre en scène le combat d'une sainteté qui se défend contre les puissances des ténèbres, Matthew-G Lewis déploie, avec un art consommé de la gradation dans l'horrible, une multitude de récits d'une audace et d'une cruauté rares. Sade et Breton, entre autres, plaçaient très haut ce chef-d'œuvre du roman gothique, dont Antonin Artaud - qui en a réalisé une " copie " - disait : " Je continuerai à tenir pour une œuvre essentielle " Le Moine ", qui bouscule cette réalité à pleins bras, qui traîne devant moi des sorciers, des apparitions et des larves avec le naturel le plus parfait, et qui fait enfin du surnaturel une réalité comme les autres."
Voici un roman qui dormait depuis bien trop longtemps dans ma bibliothèque. J'ai connu Lewis à l'université lors d'un cours de littérature comparée où nous étudions le thème du roman gothique. Nous lisions Les élixirs du diable d'Hoffmann et Le moine revenait souvent dans la discussion comme texte de référence. J'avoue ne pas l'avoir lu à ce moment (étudiants, ne prenez pas exemple sur moi ... C'est mal!). Mon envie de découvrir ce roman s'est accru en visionnant la dernière adaptation de Northanger Abbey. Les scènes de lecture de Catherine Morland m'a rapidement donnée envie de m'y plonger. Et j'en suis bien heureuse ...
Même si j'ai aimé ce roman dès les premières lignes, je dois avouer qu'au début je ne pensais pas être en train de lire le géniallissime livre auquel je m'attendais. J'aimais ... c'est tout! Pourtant, l'audace de Lewis m'a emballée tout de suite. Moi, jeune femme moderne et indépendante du XXIème siècle, je dois vous avouer que j'ai rougi en lisant certains passages. Comment a t-il pu écrire ça?? Je me rends compte à quel point ce texte a du choquer à l'époque ... Ces blasphèmes, ces idées impures, cette tension sexuelle permanente .... Quel culot monsieur Lewis! Comment osez-vous? " En parlant, il fixa les yeux sur un portrait de la Vierge, qui était suspendu en face de lui [...] Oh! s'il existait une telle créature, et qu'elle n'existât que pour moi! S'il m'était permis de rouler sur mes doigts ces boucles dorées, et de presser sur mes lèvres les trésors de ce sein de neige? Dieu de bonté, résisterais-je alors à la tentation?" (p51) - "À ces mots, elle leva le bras et fit le geste de se frapper. Les yeux du moine suivaient avec terreur les mouvements de son arme. Son habit entrouvert laissait voir sa poitrine à demi nue ; la pointe du fer posait sur son sein gauche, et Dieu ! quel sein ! Les rayons de la lune, qui l'éclairaient en plein, permettaient au prieur d'en observer la blancheur éblouissante ; son œil se promena avec une avidité insatiable sur le globe charmant ; une sensation jusqu'alors inconnue remplit son cœur d'un mélange d'anxiété et de volupté ; un feu dévorant courut dans tous ses membres ; le sang bouillait dans ses veines, et mille désirs effrénés emportaient son imagination." (p77).
Et puis, la dernière partie du livre, surtout les 100 dernières pages qu'on dévore sans reprendre sa respiration, m'a convaincue que je lisais vraiment un GRAND roman. Viol, inceste, pacte avec le démon, sciences occultes, meurtres, nonne sanglante, caveau sombre, cadavres en putréfaction .... Le pack est complet ... Une "gothik-Box" pour moi, s'il vous plaît! Blague à part, ce roman est vraiment terrifiant. J'ai adoré ces scènes glauques, mais tellement surréalistes, stéréotypées que l'on ne tombe pas dans un voyeurisme malsain. Le moine est une bonne et volumineuse histoire de fantômes.
J'ai vraiment adoré parcourir ce roman à la fois désuet (je me demande combien de fois les femmes s'évanouissent-elles dans ce texte?) et moderne! J'ai réellement tremblé parfois. Je me suis prise au jeu ... Oubliez les romans gentillets comme Les mystères d'Udolphe , Le moine est cru, noir, violent, terriblement génial! Je m'attends à voir apparaître le terrifiant Ambrosio dans les coin sombre de ma maison .... Bbbrrr!!!
J'ai vu l'adaptation avec Vincent Cassel avant de lire le livre (ce qui est extrêmement rare chez moi ... voir impossible!). J'ai lutté longtemps mais Romanzo tenait tellement à le voir que j'ai cédé. A la fin du film, j'étais déçue. J'ai trouvé le film assez médiocre et je ne m'attendais pas à une histoire aussi gentillette. Je n'ai pas du tout été effrayée ... Bref! Déçue. J'étais triste car j'attendais beaucoup de l'histoire du Moine. Mais après avoir lu le roman, je suis sans voix en repensant au film ... Pourquoi avoir fait une adaptation si fade? Nous, personnes modernes et difficilement outragées, avons le droit avec ce film à un dixième du roman de Lewis (qu'il s'agisse du fond comme de la forme). Où sont passés les lynchages, l'Inquisition, la profondeur des personnages, l'enfantement tragique d'Agnès, le déshonneur d'Antonia et cette si terrible et magnifique scène finale avec le Diable? Je ne m'attends pas forcément à retrouver exactement le roman lorsque je regarde une adaptation, le fait de prendre des libertés me convient parfaitement, mais se détacher autant de l'oeuvre dans ce qu'elle a de plus magnifique .... Non, mille fois non! Après je reconnais que Cassel incarne un splendide et terrible Ambrosio, il est superbe ... comme toujours.
Après cette digression, je ne peux que vous redire de vous plonger dans ce génial roman si ce n'est pas déjà fait ...
Un texte indécent, dément, profondément envoûtant ....
" Il y avait à peine cinq minutes que la cloche du couvent sonnait, et déjà la foule se pressait dans l’église des Capucins. N’allez pas croire que cette affluence eût la dévotion pour cause, ou la soif de s’instruire. Ce n’étaient là que de rares exceptions : dans une ville telle que Madrid, où la superstition règne en despote, on chercherait inutilement la vraie piété. L’auditoire assemblé dans l’église des Capucins y était attiré par des raisons diverses, mais toutes étrangères au motif ostensible. Les femmes venaient pour se montrer, les hommes pour voir les femmes : ceux-ci par curiosité d’entendre un si fameux prédicateur ; ceux-là faute de meilleure distraction avant l’heure de la comédie ; d’autres encore, parce qu’on leur avait assuré qu’il n’était pas possible de trouver des places dans l’église ; enfin la moitié de Madrid était venue dans l’espoir d’y rencontrer l’autre. Les seules personnes qui eussent réellement envie d’entendre le sermon, étaient quelques dévotes surannées, et une demi-douzaine de prédicateurs rivaux, bien déterminés à le critiquer et à le tourner en ridicule. Quant au reste des assistants, le sermon aurait pu être supprimé sans qu’ils fussent désappointés, et même très probablement sans qu’ils s’aperçussent de la suppression.
Quoi qu’il en soit, il est certain du moins que jamais l’église des Capucins n’avait reçu une plus nombreuse assemblée. Tous les coins étaient remplis, tous les sièges étaient occupés ; même les statues qui décoraient les longues galeries avaient été mises à contribution : des enfants s’étaient suspendus aux ailes des chérubins ; saint François et saint Marc portaient chacun un spectateur sur leurs épaules, et sainte-Agathe se trouvait avoir double charge. Aussi, malgré toute leur diligence, nos deux nouvelles venues, en entrant dans l’église, eurent beau regarder alentour : pas une place."
Après cette digression, je ne peux que vous redire de vous plonger dans ce génial roman si ce n'est pas déjà fait ...
Un texte indécent, dément, profondément envoûtant ....
" Il y avait à peine cinq minutes que la cloche du couvent sonnait, et déjà la foule se pressait dans l’église des Capucins. N’allez pas croire que cette affluence eût la dévotion pour cause, ou la soif de s’instruire. Ce n’étaient là que de rares exceptions : dans une ville telle que Madrid, où la superstition règne en despote, on chercherait inutilement la vraie piété. L’auditoire assemblé dans l’église des Capucins y était attiré par des raisons diverses, mais toutes étrangères au motif ostensible. Les femmes venaient pour se montrer, les hommes pour voir les femmes : ceux-ci par curiosité d’entendre un si fameux prédicateur ; ceux-là faute de meilleure distraction avant l’heure de la comédie ; d’autres encore, parce qu’on leur avait assuré qu’il n’était pas possible de trouver des places dans l’église ; enfin la moitié de Madrid était venue dans l’espoir d’y rencontrer l’autre. Les seules personnes qui eussent réellement envie d’entendre le sermon, étaient quelques dévotes surannées, et une demi-douzaine de prédicateurs rivaux, bien déterminés à le critiquer et à le tourner en ridicule. Quant au reste des assistants, le sermon aurait pu être supprimé sans qu’ils fussent désappointés, et même très probablement sans qu’ils s’aperçussent de la suppression.
Quoi qu’il en soit, il est certain du moins que jamais l’église des Capucins n’avait reçu une plus nombreuse assemblée. Tous les coins étaient remplis, tous les sièges étaient occupés ; même les statues qui décoraient les longues galeries avaient été mises à contribution : des enfants s’étaient suspendus aux ailes des chérubins ; saint François et saint Marc portaient chacun un spectateur sur leurs épaules, et sainte-Agathe se trouvait avoir double charge. Aussi, malgré toute leur diligence, nos deux nouvelles venues, en entrant dans l’église, eurent beau regarder alentour : pas une place."
(Le moine, Babel, 2000, page 15)
(Source image : Rognage de l'édition Pinguin The Monk)