jeudi 20 février 2014

Tirez-lui la queue, il pondra des oeufs

Cinq petits cochons
Agatha Christie

Club des masques, 1969

Cinq témoignages accablants ont fait condamner à la détention à perpétuité Caroline, la femme d'Amyas Crale, peintre renommé retrouvé mort empoisonné. Seize ans plus tard, Hercule Poirot, qui ne s'est jamais satisfait du dénouement de l'affaire, a l'occasion de reprendre le dossier en main.

Chaque lecture d'Agatha Christie est un pur moment de bonheur. Mais je distingue tout de même les Christie "divertissants" des Christie "chefs d'oeuvre". Autant vous l'annoncer tout de suite, Cinq petits cochons fait partie de la seconde catégorie ... au même titre que Le crime de l'Orient Express, Les dix petits nègres et Mort sur le Nil. J'ai aimé sa structure construite sur les différents souvenirs et points de vue des personnages, son histoire très touchante, sa conclusion même si elle n'est pas bluffante (et j'avoue avoir trouvé avant la fin) mais qui reste complexe et travaillée. 
Difficile de parler d'un texte d'Agatha Christie sans rien révéler. Je vais donc être brève et superficielle. 
C'est une histoire, comme toujours, très humaine. Ce n'est pas qu'une simple enquête distante et froide. On croise des personnages en lutte, on rencontre de vieux amis, une famille, des caractères uniques et bouleversants. En très peu de lignes, Agatha Christie nous présente à la perfection un personnage, son physique, son caractère, son attitude. Je les ai tous vus, connus. Les lieux aussi sont décrits de façon très précise. J'ai erré dans les couloirs et les jardins d'Alderbury.
Je ne vais pas trop en rajouter, ce commentaire (plat et trop insipide à mon goût) suffira ... tant pis ... Je ne peux que vous conseiller de lire et relire dame Christie et surtout de découvrir ces Cinq petits cochons ... 

Il n'y avait rien de Juliette chez cette femme, a moin d'imaginer une Juliette survivante, sans son Roméo. Or n'était-ce pas l'essence même du personnage que de mourir jeune ? Elsa Greer, elle, était restée en vie. "
(Cinq petits cochons, A. Christie, Club des masques, 1969.)

(Source image : passionphoto78 )

mercredi 5 février 2014

" Tous les hommes détestent Darcy parce que, comparés à lui, tous perdent de leur éclat. "

L'éveil de Mademoiselle Prim
Natalia Sanmartin Fenollera

Grasset, 2013.


« Cherche esprit féminin détaché du monde. Capable d’exercer fonction de bibliothécaire pour un gentleman et ses livres. Pouvant cohabiter avec chiens et enfants. De préférence sans expérience professionnelle. Titulaires de diplômes d’enseignement supérieur s’abstenir. »

Mademoiselle Prim ne répondait qu’en partie à ce profil : bardée de diplômes et sans aucune expérience des enfants et des chiens. Elle est engagée et, après quelques heurts avec son employeur, un homme aussi intelligent et cultivé que peu délicat, elle découvre le style de vie et les secrets des habitants de Saint Irénée d’Arnois.

Mademoiselle Prim tombe très vite sous le charme de ce village hors normes où les voisins s’adonnent à leur passion et où l’intérêt de la communauté prédomine. Pour eux le temps n’a pas d’importance et la littérature ne sert qu’à s’épanouir.
L’Eveil de mademoiselle Prim nous invite à un voyage inoubliable à la recherche d’un paradis perdu révélant toute la splendeur des choses simples de la vie.

Voilà un livre sans prétention, pas sans défauts ni faiblesses, mais si frais, si léger, si envoûtant qu'il mérite vraiment d'être dégusté. 
Ce roman est tombé au bon moment dans ma vie. Il m'a fait du bien, m'a mis du baume au cœur, m'a enveloppé et ravi. 
L'histoire de cette jeune bibliothécaire arrivant dans une maison atypique pleine d'enfants et de livres m'a emballé dès les premiers mots. Saint-Irénée est un village hors du temps où les gens ont toujours une théière pleine à portée de main, utilisent la correspondance comme autrefois pour communiquer, où il n'y a ni télévision, ni téléphone portable et où les femmes se réunissent pour parler des affaires de cœur. L'ambiance de ce roman est comme un plaid douillet qui nous enveloppe et nous chauffe le corps. Lorsqu'on est, comme moi, une amoureuse des romans classiques, des atmosphères d'autrefois, on s'installe à Saint-Irénée auprès de Prudence avec bonheur. On est plongé dans un monde à part, attachant. Tout comme Prudence, j'ai parfois l'impression de ne pas être née dans la bonne époque (je vous rassure, pas pour tout!) et Saint-Irénée apparaît comme un havre, un refuge. 
L'autre aspect du roman que j'ai adoré, c'est le thème des livres. En lisant ce texte, vous aurez le droit à un débat sur l'existence possible d'un véritable Darcy, mais également de la nécessité, de l'importance vitale même, pour une jeune fille de lire Les quatre filles du Docteur March. J'ai aimé entendre parler de mes auteurs favoris, de l'importance des livres dans l'éducation d'un enfant. De très beaux passages à découvrir. 
Le style de Natalia Sanmartin Fenollera sans être exceptionnel et bouleversant est assez agréable et fluide. Il ne me laissera pas de souvenirs impérissables, mais il m'a plu. 
J'ai, par contre, moins apprécié le côté spirituel de la vie de l'homme du fauteuil, le patron de Prudence. Je n'ai pas toujours compris ce qui avait amené l'auteur à prendre ce chemin là. Je n'ai pas trouvé cet aspect du roman très utile ou alors peut-être trop superficiel, peu fouillé. Pourtant la relation entre Prudence et l'homme du fauteuil est vraiment passionnante. A un très humble niveau, elle fait penser à la relation Jane Eyre/Rochester. De beaux dialogues, des discussions passionnantes, des disputes, ... C'est très agréable à lire. Mais ce thème de la spiritualité, de la religion n'avait pour moi pas sa place. Je n'ai pas compris son intérêt. 
Un roman qui fait du bien, qui remonte le moral, ... Un coup de vitamines et de soleil en cette période de froid. Une très belle ambiance pour tous les amoureux des romans anglais, des idées originales et des personnages attachants. Quelques défauts et un style assez simple, mais un roman que j'ai aimé et qui restera dans mon cœur de lectrice.

Edit du 6 février : En relisant mon avis, je me rends compte qu'il manque beaucoup de choses. Je ne peux pas tout dire bien évidemment, mais j'aurai pu aussi vous dire que L'éveil de mademoiselle Prim est un roman qui s'interroge sur la beauté, la délicatesse, qui peut remettre certaines idées en cause. On est parfois d'accord, parfois en colère, on se rebelle ou au contraire on adhère ... Loin de n'être qu'un roman à ambiance, L'éveil de mademoiselle Prim peut aussi faire naître quelques débats ... 

" Il se souvenait très bien de la façon dont son père avait toujours interdit de sortir les livres de la bibliothèque. Cela avait obligé tous ses frères et soeurs à choisir entre le plein air et la lecture. Ainsi avait-il passé les après-midi de son enfance en compagnie de Jules Verne, Alexandre Dumas, Stevenson, Homère, Walter Scott. Dehors, sous le soleil, les enfants criaient et s'amusaient, alors qu'il restait enfermé à lire, plongé dans des mondes que les autres soupçonnaient à peine. Quelques années plus tard, lorsqu'il était revenu à la maison après une longue absence, il avait changé ces règles. Il adorait voir assis sur les vieilles branches confortables d'un arbre, croquant des pommes, engloutissant des tartines de beurre, laissant les empreintes grasses de leurs doigts sur ces volumes qu'il aimait tant."
(L'éveil de Mademoiselle Prim, N. S. Fenollera, Grasset, 2013, p36/37)