Le ventre de Paris
Emile Zola
Livre de poche, 2014.
C’est dans les Halles centrales de Paris récemment construites par Baltard que Zola situe le troisième épisode des Rougon-Macquart. Après « la course aux millions » décrite dans La curée, ce sera la fête breughelienne du Ventre de Paris, tourbillonnante et bigarrée, ses amoncellements de victuailles, ses flamboiements de couleurs, ses odeurs puissantes de fermes, de jardins et de marées.
Florent, arrêté par erreur après le coup d’Etat du 2 décembre 1851, s’est évadé du bagne de Cayenne au bout de sept ans d’épreuves. Il retrouve à Paris son demi-frère qui, marié à la belle Lisa Macquart, fait prospérer l’opulente charcuterie Quenu Gradelle. Mais la place de Florent est-elle à leurs côtés ? A-t-il renoncé à ses rêves de justice ? Car si l’Empire a su procurer au « ventre boutiquier, au ventre de l’honnête moyenne… le consentement large et solide de la bête broyant le foin au râtelier », il n’a guère contenté les affamés. Et la grande kermesse flamande va réveiller bientôt l’éternel affrontement des Maigres et des Gras.
(Mon 10ème Rougon-Macquart après : La curée, L'assommoir, Nana, Pot-Bouille, Au bonheur des dames, Germinal, La terre, Le rêve et La bête humaine).
Zola.
Que dire?
Depuis ma lecture d'un recueil de nouvelles en 5ème, j'aime cet auteur profondément. Chaque roman me prend aux tripes. Bien sûr, certains plus que d'autres. Mais je reste à chaque fois bluffée par son génie. De Thérèse Raquin aux romans des Rougon-Macquart, je plonge totalement dans ce monde noir et pessimiste.
Le ventre de Paris est plus "calme" dans son intrigue que d'autres textes de la série. Pourtant, on y trouve autant de fausseté, de haine et de saleté. Zola arrive avec une parfaite maîtrise à nous plonger dans ces Halles bruyantes aux odeurs à la fois entêtantes, douces et écœurantes.
Les personnages de ce texte ne sont pas attachants. Il n'y a pas ici de douces Denise ou d'émouvantes Gervaise. Lisa, la sœur de cette dernière, cache derrière son tablier immaculé et ses joues roses, un désir étouffant de perfection. Sa vie ne doit en aucun cas être bouleversée. Prête à tout pour rétablir l'équilibre, Lisa est un personnage complexe, exigeant et fier. Florent, quant à lui, est assez passif. Il erre entre les pages sans jamais vraiment maîtriser sa vie.
Le ventre de Paris est le roman du regard. Les voisins se toisent, s'observent, s'affrontent à distance. Nous nous sentons étouffés dans ces rues où tout le monde se connaît, où le paraître est plus important que l'amitié et l'entraide. Sans être aussi violent que d'autres titres, je pense notamment à La bête humaine, Germinal ou La terre, Le ventre de Paris est extrêmement oppressant.
J'ai, en lisant ce texte, encore plus compris l'importance de découvrir l'intégralité des romans de la série de Rougon-Macquart. J'ai toujours eu envie de tous les lire. Mais Le ventre de Paris m'a presque donné envie de les dévorer tous à la suite. Parcourant l'arbre généalogique de la famille, j'ai observé les liens entre les personnages. Je suis fascinée par ce que Zola a crée. J'ai croisé Claude Lantier, entendu parler de Gervaise, du terrible Saccard, ... en lisant Le ventre de Paris. J'aime les interactions entre chaque roman. J'ai aussi envie de connaître tout ce que j'ignore encore comme la vie de Pauline, la fille de Lisa et Quenu, ou celle de Claude, l'artiste.
Un monde fascinant qui me met à genou à chaque lecture. Une maîtrise impressionnante. Une plume intelligente, pleine de symboles, d'images, de sous-entendus.
Chef d'oeuvre.
" La belle Lisa resta debout dans son comptoir, la tête un peu tournée du côté des Halles; et Florent la contemplait, muet, étonné de la trouver si belle. Il l'avait mal vue jusque-là, il ne savait pas regarder les femmes. Elle lui apparaissait au-dessus des viandes du comptoir. Devant elle, s'étalaient, dans des plats de porcelaine blanche, les saucissons d'Arles et de Lyon entamés, les langues et les morceaux de petit salé cuits à l'eau, la tête de cochon noyée de gelée, un pot de rillettes ouvert et une boîte de sardines dont le métal crevé montrait un lac d'huile; puis, à droite et à gauche, sur des planches, des pains de fromage d'Italie et de fromage de cochon, un jambon ordinaire d'un rose pâle, un jambon d'York à la chair saignante, sous une large bande de graisse. Et il y avait encore des plats ronds et ovales, les plats de la langue fourrée, de la galantine truffée, de la hure aux pistaches; tandis que, tout près d'elle, sous sa main, étaient le veau piqué, le pâté de foie, le pâté de lièvre, dans des terrines jaunes. "
(Le ventre de Paris, E. Zola, Chapitre 2, Livre de poche, 2014)( Image ; The fish hall at the central market - Victor Gabriel Gilbert)