Climats
André Maurois
Livre de poche, 1968.
Philippe Marcenat, fils de grands bourgeois limousins conventionnels et rigides, s'éprend passionnément de la ravissante Odile Malet et l'épouse malgré l'hostilité de ses parents.
Histoire d'un double échec conjugal, Climats, roman d'une finesse psychologique exceptionnelle, écrit dans une langue admirable, est l'ouvrage le plus célèbre et le plus représentatif du talent de romancier d'André Maurois.
Ce petit roman, tombé quasiment dans l'oubli, m'a profondément bouleversée.
Composé de deux partie, deux lettres, nous y rencontrons Philippe, homme exigeant et complexe, Odile, une âme éprise de liberté et Isabelle, jeune femme compréhensive et soumise. La première lettre est écrite par Philippe. Adressée à Isabelle, cette longue missive raconte son premier mariage avec Odile. Il se livre totalement avant de demander à Isabelle de devenir sa seconde épouse. La lettre suivante, écrite par Isabelle, narre sa vie avec Philippe, leur rencontre, leur union.
D'une écriture limpide, fluide, extrêmement agréable, André Maurois nous fait rentrer dans l'intimité de ses trois personnages avec beaucoup d'émotion. J'ai emmené Philippe, Odile et Isabelle partout avec moi durant toute ma lecture ... et même après.
Philippe m'a, en toute honnêteté, beaucoup agacée. Je l'ai trouvé égoïste, nombriliste, prétentieux et j'en passe. Même si je l'ai, lui aussi, emmené partout avec moi, car il fait intégralement parti de cette histoire, ce n'est pas lui que j'ai aimé. Il m'a parfois touchée, mais je ne l'ai pas toujours compris. Isabelle, quant à elle, est touchante. Bien trop gentille pour moi, elle reste une femme émouvante, que l'on prend sincèrement en affection. Mais le plus beau personnage reste Odile. Je crois que c'est l'un des plus beaux personnages littéraires que j'ai pu rencontrer. J'ai corné presque chaque page tant les réflexions et le caractère d'Odile étaient sublimes. J'ai compris son désir de liberté, sa soif de vivre et d'être elle-même, d'être femme avant d'être épouse. Je relisais avidement certains passages avec dans le coeur un sentiment de compréhension presque violent. Odile était vivante devant moi. J'ai pu la toucher, l'écouter, la comprendre : " Que vous cherchez loin! me dit-elle avec pitié ... Qu'est-ce que vous croyez? Qu'est-ce que vous craignez? ... Que je sois avec un homme? Qu'est-ce que vous voulez que je fasse d'un homme? ... Ce que vous ne comprenez pas, c'est que je veux être seule pour être seule. Et même, si vous voulez que je sois tout à fait franche, je veux surtout ne pas vous voir pendant quelques jours. Vous me fatiguez tellement par vos craintes, par vos soupçons, que je suis obligée de surveiller mes phrases, de faire attention de ne pas me contredire, comme un accusé chez le juge d'instruction ... Ici, j'ai passé une journée délicieuse, j'ai lu, j'ai rêvé, j'ai dormi, je me suis promenée dans la forêt. Demain, j'irai au château voir des miniatures ... Tout cela est si simple, si vous saviez." (p 67). Philippe étouffe Odile, la détruit, tue ce qu'il a pourtant tant aimé en elle, sa joie de vivre, son enthousiasme, sa passion pour l'existence : " Mais plus je connaissais ma femme, et plus je comprenais qu'elle possédait une faculté d'oubli qui la faisait semblable à un enfant. Rien n'était plus contraire à ma propre nature, à mon esprit qui notait, accumulait, enregistrait."(p 48)
Ce roman m'a également fait beaucoup réfléchir. D'une grande finesse d'analyse, Climats nous renvoie à nos propres craintes, à des questionnements profonds sur les sentiments, les émotions, les réactions que l'on peut avoir dans nos relations avec les autres ou avec nous même : " Ce qui vous perd, lui disais-je, c'est que vous vous acceptez telle que vous êtes, comme si nous recevions notre caractère tout fait. Mais on peut former son caractère, on peut le refaire. " (p 63)
André Maurois aimait la littérature et ça se sent. J'ai relevé énormément de références à la lecture. Les personnages sont conditionnés par leurs lectures, apprennent à se connaître grâce à leur préférences littéraires. Ils lisent, se réfugient dans la lecture, se découvrent, se déchirent, se loupent ou se retrouvent dans les pages des romans qu'ils lisent : " C'était curieux les lettres d'Odile, elle écrivait comme une petite fille. Elle disait : "Je suis très tranquille. Je ne fais rien. Il pleut. Je lis. J'ai relu Guerre et paix. " (p 70) ; " Rien n'était plus facile que de comprendre les goûts de Philippe, il était de ces lecteurs qui ne cherchent qu'eux-mêmes dans les livres. Souvent je trouvais les siens couverts de notes que je déchiffrais avec difficulté et qui m'aidaient à suivre sa pensée à travers celle de l'auteur. " (p 145).
Climats est un court roman qui contient tous les questionnements de la vie. C'est un concentré d'émotions.
Je vais offrir ce petit roman partout autour de moi. Peut-être échappera t-il ainsi un peu à l'oubli!
" La pelouse ensoleillée de Gandumas. Plus bas, dans la plaine le village de Chardeuil, voilé par une brume de chaleur tremblante. Un petit garçon, enfoncé jusqu'à mi-corps dans un trou qu'il a creusé près du tas de sable guette, dans l'immense paysage qui l'entoure, l'arrivée d'un invisible ennemi. Ce jeu était inspiré par la lecture de mon livre favori, la Guerre de forteresse de Danrit. "
(Climats, Livre de poche, 1968, p 14)
(Source image : femmes-en-1900.over-blog.com)