jeudi 23 août 2018

Week-end de Pâques


Plus jamais d'invités!
Vita Sackwille-West

Le livre de poche, Biblio, 2009.

"Ils avaient si longtemps mené des vies séparées, se rencontrant seulement à la surface des choses, qu'il fut stupéfait de surprendre ce regard si tendre, si inquiet. Elle avait essayé de capter son attention par un sourire, pour lui montrer qu'elle était avec lui, mais il s'était détourné pour échanger quelques mots avec Juliet. Il pouvait faire confiance à Rose pour qu'elle le protège, mais il n'était pas question de la laisser pénétrer dans son intimité.
A l'instigation de Rose, sa femme, Walter Mortibois invite son frère, sa belle-soeur, son beau-frère et leur fils, ainsi qu'une excentrique lady, à passer le week-end dans leur splendide demeure d'Anstey. Toutefois, il leur préfère la compagnie de Svend, son berger allemand adoré... Rien d'étonnant chez cet esthète d'une froideur de glace, qui depuis des décennies ignore jusqu'à sa propre femme, malgré les efforts désespérés de Rose, obstinément amoureuse. Ce n'est pas l'irruption d'invités engoncés dans leurs petits égoïsmes qui risque d'y changer grand-chose ! Jusqu'à ce que, brusquement, un double drame ne vienne brouiller les cartes et (enfin) réchauffer les cœurs. 

Dans ce court roman, Vita Sackwille-West nous amène, le temps d'un week-end pascal, au fond des cœurs. Comme toujours, Vita Sackwille-West offre une fine analyse de l'esprit humain dans tout ce qu'il a de complexe et incompréhensible
J'ai été embarquée dans ce roman. J'ai trouvé dans ce huis-clos un soupçon de Hitchcock, mêlé à une pincée de Zweig, le tout arrosé d'une subtile ironie. J'ai retrouvé avec beaucoup de joie la plume très belle de Sackwille-West, son ton "British" irrésistible et son univers délicat. Sous cette couche de vernis se cachent les doutes, les secrets, les frustrations. Vita Sackwille-West ne nous livre pas tout et on referme le roman plein d'interrogations, mais c'est ce qui fait l'intérêt de Plus jamais d'invités!. Le lecteur ignore beaucoup de choses, il imagine, suppose, déduit ... sans être sûr. Ce qui fait de ce roman, une lecture prenante, singulière et mystérieuse
Plus jamais d'invités! me confirme, même si cela n'était pas nécessaire, tout le talent de Vita Sackwille-West et mon envie de découvrir davantage son oeuvre. 

(Mes autres chroniques sur l'auteure : Paola, Au temps du roi Edouard, Toute passion abolie, Infidélités)
" Il avait réfléchi pendant des longues années avant d'arriver à cette conclusion qui lui paraissait d'une logique absolue. Ce n'était pas un cynique professionnel, amateur de ces petites phrases à la Voltaire, piquantes et faciles, que l'on attendrait volontiers de la part d'une vedette du barreau. Au contraire, on était souvent surpris de déceler de la tendresse dans ses propos. Venant d'un homme moins dur, elle aurait pu révéler une certaine sentimentalité. Mais la profonde humanité de Walter Mortibois était aussi célèbre que sa cruauté. Parfois, au cours d'une discussion, un mot, une petite phrase pouvaient révéler qu'il avait saisi au plus profond de lui-même la souffrance et la folie de la race humaine. On avait un jour entendu son frère Gilbert remarquer que Walter était à ce point tourmenté et bouleversé par son amour pour l'humanité en général qu'il ne lui restait plus aucune compassion à dispenser à son pauvre prochain ! "Si vous observez l'horizon lointain", avait dit Gilbert, "vous ignorez le brin d'herbe qui se trouve à vos pieds". "Plus jamais d'invités!, V. Sackwille-West
(Photos : Romanza2018)

vendredi 17 août 2018

Le temps des cathédrales

Les piliers de la terre
Ken Follett

Le livre de poche, 2007.

Dans l'Angleterre du XIIe siècle ravagée par la guerre et la famine, des êtres luttent pour s'assurer le pouvoir, la gloire, la sainteté, l'amour, ou simplement de quoi survivre.

Les batailles sont féroces, les hasards prodigieux, la nature cruelle.
La haine règne, mais l'amour aussi, malmené constamment, blessé parfois, mais vainqueur enfin quand un Dieu, à la vérité souvent trop distrait, consent à se laisser toucher par la foi des hommes.

Abandonnant le monde de l'espionnage, Ken Follet, le maître du suspense, nous livre avec "Les Piliers de la Terre" une œuvre monumentale dont l'intrigue, aux rebonds incessants, s'appuie sur un extraordinaire travail d'historien. Promené de pendaisons en meurtres, des forêts anglaises au cœur de l'Andalousie, de Tours à Saint-Denis, le lecteur se trouve irrésistiblement happé dans le tourbillon d'une superbe épopée romanesque dont il aimerait qu'elle n'ait pas de fin.


Bon et bien voilà! Ces deux dernières semaines, j'ai été occupée à lire Les piliers de la terre qui dormait sur mes étagères depuis bien longtemps. J'ai passé de bons moments en sa compagnie. Cette lecture fut, sur certains points, tout à fait satisfaisante. Cependant, j'ai un avis plus mesuré sur d'autres aspects du roman. Ce fut une lecture agréable, mais ce fut loin d'être un coup de cœur. 
J'aime les romans historiques ... et malheureusement, je n'en lis pas assez. Il faudrait que j'y remédie sérieusement. Je dois reconnaître que j'ai apprécié d'en lire un. Apprendre un fait de l'Histoire d’Angleterre que je ne connaissais pas (le naufrage du Vaisseau blanc et ce qui a suivi) m'a enthousiasmée. Même si Ken Follett ne creuse pas assez le sujet selon moi. 
L'aspect que j'ai le plus aimé reste l'histoire des constructions de cathédrales. Etant déjà fascinée par les édifices religieux, j'avoue que je les regarderai encore plus intensément maintenant. En regardant une cathédrale ou une église, je ne pourrai pas ne pas penser aux centaines de personnes qui ont versé sang et sueur dans sa construction. J'ai également apprécié les pages parlant de la vie des moines et de l'organisation du clergé. 
J'ai suivi avec intérêt les aventures des personnages. J'ai parfois tourné les pages avec avidité. Je me suis prise au jeu et j'étais heureuse de les retrouver dès que j'avais un moment. Malgré ses 1050 pages, j'ai lu ce roman assez rapidement. Il a eu l'effet que je cherchais : me sentir plonger dans un autre monde pendant quelques jours
Mais (... par ce qu'il y a un mais ...) certains points ne m'ont pas plu. Notamment, l'écriture de Follett. Elle n'est pas mauvaise. Je dirai même qu'elle est efficace. Cependant, j'ai été ennuyée par son manque de caractère, d'empreinte. Il raconte des faits de façon agréable, mais il n'y a presque aucune figure de style, de non-dits, de sous-entendus, de finesse. J'ai souvent pensé qu'un Dumas ou un Dickens aurait réussi à soulever cette écriture trop plate et conventionnelle. L'autre aspect qui m'a dérangé, c'est le côté très téléphoné de l'intrigue : 100 pages où les méchants gagnent, 100 pages où les gentils se relèvent plus forts, 100 pages où les méchants répliquent violemment, 100 pages où les gentils trouvent une solution pour se défendre, etc ... etc ... Au bout d'un moment, ce  roulement perpétuel m'a agacée. 
Je mentirai en vous disant que je n'ai pas apprécié ce roman, car j'ai passé deux semaines très agréables. Je pensais très souvent dans ma journée à Tom, Jack et Aliéna. J'ai été émue, terrifiée et en colère. Mais je trouve que ce roman manque de qualité. Il manque quelque chose dans l'écriture et dans l'intrigue qui aurait pu le rendre bien meilleur. C'est trop simple, trop plat parfois. Ça marche plutôt bien certes ... mais ça marche comme une saga d'été diffusée à la télévision pour laquelle on se passionne tout en sachant pertinemment qu'elle est pleine de défauts.
Je ne sais pas encore si je m'attaquerais à Un monde sans fin du même auteur. Peut-être un jour ... si j'ai envie d'une longue lecture pleine de rebondissements ... tout en ayant pleinement conscience que je n'aurai pas d'illumination littéraire et que le style risquera sûrement de m'agacer parfois. 
Un roman à découvrir.
" La vie de moine était la plus étrange et la moins naturelle qu'on pût imaginer. Les moines passaient la moitié de leur vie à s'imposer des souffrances et un inconfort qu'ils auraient pu facilement éviter, et l'autre moitié à marmonner à toutes les heures du jour et de la nuit des prières dans des églises vides. Ils renonçaient délibérément à tout ce qui était agréable : les filles, le sport, les fêtes et la vie de famille. Jack avait bien remarqué que les plus heureux d'entre eux avaient trouvé une activité qui leur apportait de grandes satisfactions : enluminer des manuscrits, écrire l'histoire, faire la cuisine, étudier la philosophie ou - par exemple Philip - transformer un village endormi comme Kingsbridge en une ville prospère. "
(Les piliers de la terre, K. Follett)
(Photos : Romanza2018)

jeudi 9 août 2018

Pause durassienne estivale

Dix heures et demie du soir en été
Marguerite Duras

Folio, 1990.

L'Espagne. L'été. 
Pierre et Maria, leur petite fille Judith et leur amie Claire sont en vacances, en route vers Madrid. Un violent orage les force à s'arrêter et à trouver un abri dans l'hôtel déjà surpeuplé d'une petite ville où un crime passionnel vient de défrayer la chronique: Rodrigo Paestra vient en effet de tuer sa femme et l'amant de celle-ci, avant de prendre la fuite par les toits. Dans la chaleur étouffante de la nuit, l'amour entre Maria et Pierre s'étiole à mesure que le désir monte entre Claire et Pierre et que Maria s'étourdit à grand renfort de petits verres de manzanilla... Et dans la chaleur étouffante de la nuit où elle ne parvient pas à dormir, Maria aperçoit une silhouette sur le toit d'une maison voisine: Rodrigo Paestra. Rencontre sans parole, improbable et éphémère.

Dix heures et demie du soir en été est mon 5ème Duras après Yann Andréa Steiner, Cahiers de la guerre et autres textes, L'amant de la Chine du Nord et Un barrage contre le Pacifique. Cette lecture ne fut pas ma préférée de Duras. Un barrage contre le Pacifique reste indétrônable. Cependant, je me suis lovée entre les pages de ce court texte avec bonheur.
Je ne saurai expliquer ce qui me touche dans l'écriture de Duras. Je l'ai découverte assez tard. Je ne l'ai jamais lue à l'université de Lettres (au grand malheur d'un de nos professeurs extrêmement strict et érudit, spécialisé dans le XXème et passionné de Duras, Malraux, Michaux, Colette ...), je ne l'ai lue qu'une fois mes études finies. Yann Andréa Steiner m'a laissé peu de souvenirs. J'étais passée à côté. C'est avec les Cahiers de la guerre, puis L'amant de la Chine du Nord que la plume de Duras a touché mon cœur. L'été dernier, il y a eu Un barrage contre le Pacifique qui fut un véritable coup de cœur. J'y repense encore avec émotion. Pourtant, étrangement, je ne prends pas un roman de Duras comme je prendrais un roman de Zola, Balzac, Hardy, Austen, Zweig ou un de mes autres auteurs chouchous. Ma main se tend vers un livre de Duras toujours avec fébrilité. Je ne sais pas pourquoi. Cependant dès les premiers mots, je suis emportée. Certains lui reprochent ses phrases trop concises, son écriture très cinématographique, la violence des sentiments, ses personnages déstabilisants et peu attachants. De mon côté, j'adhère à tout cela. Duras vise juste, va droit au cœur. En peu de mots, elle dit toutDix heures et demie du soir en été en est un bel exemple. Il se passe tant de choses dans ces 150 petites pages. Maria, Pierre et Claire forment un triangle amoureux touchant et juste. J'ai suivi Maria dans ses interrogations avec beaucoup d'émotions. J'ai ressenti toute la tragédie silencieuse qui se jouait devant moi. Cette tragédie si simple et courante qu'est la fin d'une histoire d'amour, la fin d'un couple. J'ai trouvé Pierre touchant. Il est tiraillé. Il ne peut plus lutter malgré son envie. Le respect qui existe entre ces trois personnages est saisissante. En plus de l'histoire, il y a cette écriture, toujours si vraie, précise, tranchante
Je n'aurais jamais pensé que Duras gravirait progressivement les étages de mon panthéon littéraire. J'ai longtemps été persuadée que cette auteure n'était pas pour moi. Pourtant plus les années passent, plus elle grimpe ... doucement mais sûrement. 
" C'est encore une fois les vacances. Encore une fois les routes d'été. Encore une fois des églises à visiter. Encore une fois dix heures et demie du soir en été. Des Goya à voir. Des orages. Des nuits sans sommeil. Et la chaleur.

Un crime a lieu cependant qui aurait pu, peut-être,changer le cours de ces vacances-là .
Mais au fond qu'est-ce qui peut faire changer le cours des vacances ? "
(Dix heures et demie du soir en été, Marguerite Duras)
(Photos : Romanza2018)