dimanche 23 février 2020

De l'importance d'être constant

Mansfield park
Jane Austen

10/18, 2017.


Sans richesse ni éducation, la jeune Fanny Price n'a rien pour séduire la bonne société anglaise. Pourtant, dans la faste demeure de Mansfield Park où l'a recueillie son oncle, il lui faut faire bonne figure. Entre frustrations et vexations, que sera-t-elle prête à sacrifier pour être acceptée dans le monde enjôleur de ses cousins ? 
Roman d'apprentissage précurseur, Mansfield Park est le plus surprenant des romans de Jane Austen.



Et bien voilà ... j'ai lu le dernier roman (achevé) de Jane Austen que je n'avais pas encore lu. Une page se tourne, c'est vrai, pourtant je ne ressens aucune tristesse. C'est la joie qui domine. Je sais, avec certitude, que ces chers romans sont tout près de moi, prêts à être lus et relus quand je le souhaite. J'ai l'assurance d'avoir de belles et longues heures de lecture en compagnie de Lizzie, Elinor, Anne, Emma, Catherine et Fanny. Savoir que ces six histoires sont en moi et disponibles à tout moment, savoir que je peux revivre les aventures de ces attachantes héroïnes me remplit d'une joie sans nom

Je reconnais avoir eu un peu peur en commençant Mansfield park. Je pense que ce n'est pas pour rien que j'ai choisi de lire ce roman en dernier. Je ne l'ai jamais vu cité comme roman préféré de Jane Austen et certains lecteurs ne l'aiment clairement pas. J'avais un peu peur de l'attaquer. 
Les premières pages sont surprenantes. Fanny est une héroïne atypique. Par sa situation sociale et son caractère, on la voit peu et on ne l'entend presque pas dans les premiers chapitres. Ayant l'habitude des héroïnes austiniennes charismatiques, cela m'a quelque peu perturbée. Mais je me suis vite attachée à Fanny. Elle n'a pas la fougue d'une Lizzie ou la présence d'esprit d'une Elinor, mais elle a un caractère qui lui est propre et que j'ai su apprécier. 
La quatrième de couverture affirme que Mansfield park est le roman le plus surprenant de Jane Austen et je ne peux que confirmer. Je ne vais pas y aller par quatre chemins, Mansfield park est le roman que j'ai le moins aimé des six de l'autrice. Je dois reconnaître que c'est la première fois que je trouve quelques longueurs à un roman de Jane Austen. Autant je suis incapable de choisir entre Orgueil et préjugés, Raison et sentiments, Emma, Northanger abbey et Persuasion, que je peux affirmer que Mansfield park est celui qui m'a le moins séduite. Ceci dit, je l'ai aimé. J'ai mis du temps à réellement rentrer dedans, mais j'ai réussi et j'ai adoré retrouver la plume de dame Austen. J'ai embarqué comme toujours dans cette histoire de mariage, de silences, de convenances. Mansfield park ne possède pas les rebondissements des autres romans et ses héros n'ont pas la prestance des autres personnages austiniens, mais on y retrouve la plume vive de Jane Austen, son art des sous-entendus, sa critique sociale, son humour, sa sensibilité. Mansfield park est digne de la grande écrivaine. Si le sujet est moins passionnant que les autres romans et les personnages moins inoubliables, il n'en reste pas moins que Mansfield park est un roman qui se déguste et se savoure
J'ai été frustrée (bien sûr) par l'histoire de Fanny et Edmond. Les autres romans de Jane Austen nous montrent l'évolution des sentiments, les premiers émois et les doutes. Ici, nous ne voyons jamais Edmond amoureux de Fanny. Le tout est bouclé en quelques lignes à la fin du roman. J'avais ressenti la même frustration au sujet de Marianne et le colonel Braddon  dans Raison et sentiments. Même si Edmond est un héros bien fade à côté de Darcy ou Wentworth, je l'ai trouvé émouvant dans son aveuglement. Quant aux personnages secondaires, ils sont très réussis. Les Crawford sont de purs personnages austiniens. J'ai souvent eu envie d'arracher les cheveux de Mary, tout en la trouvant également moderne et libre. J'ai été aussi très surprise par le côté très "libertin" de Mansfield park. Même si les comportements indécents sont présents dans les oeuvres de Jane Austen (Lydia et Wickham dans Orgueil et préjugés, Willoughby dans Raison et sentiments, Isabella dans Northanger abbey), jamais je ne les ai vus autant présents. La scène du théâtre est croustillante à souhait  (bien que possédant une morale très conservatrice) et Maria est un personnage vraiment étonnant dans l'oeuvre de Jane Austen. Entre les personnages secondaires parfaits, l'intrigue générale percutante, il s'en fallait de peu pour que Mansfield park soit au même niveau que les 5 autres romans. Mais ... il manque un brin de je-ne-sais-quoi. Moins de longueur, une héroïne plus passionnée, un héros moins pâlot peut-être.

Indéniablement à part dans l'oeuvre de Jane Austen, Mansfield park est étonnant. Après avoir eu quelques craintes à la lecture des premiers chapitres, j'ai rapidement retrouvé ce que j'aime chez l'écrivaine anglaise. Il ne sera pas mon préféré, je le reconnais, mais j'ai passé de belles heures de lecture, j'ai frissonné pour Fanny, j'ai ri, j'ai été choquée .... bref .... j'ai lu Jane Austen. 

Plus qu'une chose à faire désormais, déguster les textes de jeunesse et les œuvres inachevées de Jane Austen ... et aussi relire les textes que j'ai tant aimés. Tellement hâte de retrouver Elizabeth et les autres. 
" Mais Mlle Frances désobligea toute sa famille en s’éprenant d’un lieutenant de marine, sans éducation, sans fortune et sans avenir. Elle aurait difficilement pu s’arrêter à un choix plus malencontreux. Sir Thomas Bertram avait tout intérêt, autant par principe que par fierté, à souhaiter que tous ceux de sa famille aient une situation respectable et aurait aidé de bon coeur la soeur de Lady Bertram dans ce sens. Mais la profession du mari de celle-ci était si peu intéressante qu’avant qu’il n’ait eu le temps de trouver le moyen de les aider, une mésintelligence profonde intervint entre les deux soeurs. C’était ce qui devait naturellement arriver à la suite d’un mariage aussi désastreux. Pour éviter des reproches inutiles, Mme Price n’avait jamais écrit à sa famille à ce sujet, jusqu’à ce qu’elle fût mariée. "
(Photos : Romanza2020)

lundi 10 février 2020

Par Satan

Un bébé pour Rosemary
Ira Levin

J'ai lu, 1977.

Un cinq pièces au Bradford en plein cœur de New York, quel bonheur pour un jeune couple! Rosemary et Guy n'en reviennent pas. Les jaloux disent que l'immeuble est maudit, marqué par la magie noire, que le sinistre Marcato y habita, que les sœurs Trench y pratiquèrent des sacrifices immondes...
Peu de temps après l'arrivée de Rosemary, une jeune fille se jette par la fenêtre.
Une étrange odeur règne dans les appartements. Quant aux voisins, leurs yeux sont bizarres, leurs prévenances suspectes. Guy lui-même change, et sa jeune femme, poursuivie par des rêves atroces, lutte en vain contre une terreur grandissante.
Que deviendra, dans ces conditions, le bébé de Rosemary... ?

J'ai lu ce roman depuis plusieurs mois maintenant. Je vais essayer de vous en parler malgré tout. 
J'avais noté ce classique de la littérature fantastique depuis quelques temps déjà et je suis ravie d'avoir pris le temps de le découvrir car j'ai énormément aimé cette lecture.
Un bébé pour Rosemary est extrêmement bien écrit. C'est un roman oppressant, très efficace et juste. J'ai tremblé près de la naïve Rosemary, craint pour ma vie et celle de mon bébé. Le suspense est bien mené car Ira Levin arrive à nous tenir en haleine tout en prenant son temps, en laissant des moments de pause, en nous décrivant le quotidien comme si tout était normal. Je pense que même les lecteurs n'étant pas attirés par les romans fantastiques pourraient apprécier cette oeuvre. Un bébé pour Rosemary a un déroulé assez classique, une langue fluide et le merveilleux, bien qu'omniprésent, ne tombe pas dans l'excès. 
Le personnage de Rosemary est inoubliable. Le lecteur ne peut qu'être en harmonie avec elle. Comme elle, il semble devenir fou, s'imagine des choses incroyables, ne se fie plus à personne, se révèle être plus fort qu'il ne le croyait. Le lecteur est enfermé avec Rosemary, il est en elle, devient elle. Les dernières pages nous tiennent en haleine. On referme le livre ... tout en continuant à penser à Rosemary pendant plusieurs semaines.
Je recommande chaudement ce roman mené à la perfection d'un bout à l'autre. Un classique à lire absolument! 
" Rosemary ne se souvenait des sinistres avertissements de Hutch que lorsqu'elle descendait au sous-sol pour faire la lessive, environ tous les quatre jours, et cela la mettait mal à l'aise. L'ascenseur de service était déjà peu rassurant (petit, sujet à des grincements et à des secousses inattendues, et sans liftier pour le manœuvrer), et le sous-sol lui-même était un endroit peu engageant, avec ses couloirs de brique au badigeon écaillé, au bout desquels on entendait s'éloigner des bruits de pas étouffés, où des portes qu'on ne voyait pas se refermaient brusquement avec un bruit sourd, et où de vieux réfrigérateurs au rebut tournaient leur porte contre le mur sous des ampoules électriques à l'éclat brutal derrière leurs muselières de grillage.C'était là, se rappelait Rosemary, qu'on avait trouvé, il n'y avait pas si longtemps, le cadavre d'un nouveau né enveloppé dans un journal. L'enfant de qui était-ce? Et comment était-il mort? Qui l'avait découvert? La personne qui l'avait abandonné avait-elle été arrêtée, et condamnée? "
Un bébé pour Rosemary, Ira Levin. 
(Photos : Romanza2020)

Montjoie Saint Denis .... Version royaume de Logres!


Le chevalier de la Charrette
Chrétien de Troyes
Lettres gothiques, Le livre de poche, 1992.

Un terrible événement survient au château du roi Arthur : la reine Guenièvre est enlevée par le perfide Méléagant. C'est alors qu'un mystérieux chevalier, monté sur une charrette, part à sa recherche.En parfait chevalier courtois, Lancelot est prêt à accomplir les plus grands exploits et à affronter les pires épreuves par amour pour sa dame. 

C'est un grand bond dans le temps que j'ai fait en relisant Chrétien de Troyes. J'ai repensé à la fac et ses heures d'ancien français, les passages de Yvain et le chevalier au lion appris par cœur et les cours fastidieux mais passionnants d'étymologie. Bref ... j'ai aimé retrouvé la plume de Chrétien de Troyes. Les romans de cet auteur ne se lisent pas comme les autres. On ne peut s'empêcher de lire les vers à voix haute à la manière d'un troubadour. Je mentirai en n'avouant pas que certains passages sont un peu longs et lourds, mais le tout a un charme si particulier que l'on oublie vite. Je pense qu'avoir suivi des cours en littérature médiévale permet de mieux apprécier ces textes. Je connais les codes du merveilleux, repère certains clins d’œil, les sous-entendus de Chrétien de Troyes, les liens avec les différents textes sur les chevaliers de La table ronde. C'est un avantage majeur. Mais je pense cependant que tout le monde peut apprécier ces romans désuets, plein de fraîcheur, où se mêlent humour et aventure, action et sentiment amoureux
J'ai préféré Yvain et le chevalier au lion au Chevalier à la charrette. Je trouve au premier une profondeur que le second n'a pas. Yvain contient plus d'action, une galerie de personnages plus intéressante et des sentiments courtois plus développés. Mais peut-être que mes souvenirs sont faussés par la nostalgie.
Quoi qu'il en soit il faut découvrir ou redécouvrir Chrétien de Troyes. 
" Un jour de l'Ascension, nous dit-il,Le roi Arthur avait tenu sa couravec tout le lustre et la beauté qu'il y souhaitait,comme il convenait à un roi.Après le repas le roi ne bougea pasd'entre ses compagnons ;il y avait dans la salle quantité de nobles ;la reine y était présente, et avec elle, je le crois bien,maintes belles dames courtoiseshabiles à parler en langue française. "
Le chevalier à la charrette, Chrétien de Troyes.
(Photos : Romanza2020)

Destinée

L'héritière
Hanne-Vibeke Holst
Pocket, 2015.

Copenhague à l’approche des fêtes. Charlotte Damgaard, trente-cinq ans, mariée et mère de deux enfants, vient de démissionner de son poste à la direction d’une ONG dédiée au développement de projets écologiques. Elle souhaite se consacrer à sa vie de famille et suivre son mari, à qui l’on vient d’offrir le poste de ses rêves, en Ouganda. Mais alors que les cartons sont faits et la maisonnée sur le départ, un coup de téléphone vient bousculer ce joli programme. Vittrup, le Premier Ministre Social Démocrate, propose à Charlotte le poste de Ministre de l’Environnement. Une opportunité qu’elle ne peut refuser, mais un choix lourd de conséquences.
Pendant neuf mois, nous suivons son ascension politique fulgurante, dévoilant peu à peu les coulisses, les alliances ou querelles intestines, et les coups (bas) médiatiques. Mais jusqu’où est-elle prête à aller pour atteindre ses objectifs et satisfaire son ambition ? Tiraillée entre sa carrière et sa vie de famille, Charlotte parviendra-t-elle à concilier son statut de femme politique, de mère et d’épouse ?

Voici un roman que je n'aurais probablement pas lu sans ma mère. C'est elle qui me l'a offert et je dois avouer avoir aimé cette excursion bien loin de ma zone de confort. 
Il faut dire que ce roman est bien écrit et son intrigue est prenante. Nous rencontrons Charlotte, une militante écologiste de renom. Alors qu'elle s'apprête à (enfin) mettre sa carrière de côté pour laisser sa chance à son mari qui jusqu’à maintenant restait au foyer et s'occupait de la maison et de leurs jumeaux, le premier ministre l'appelle pour lui demander de devenir sa ministre de l'écologie.  Chamboulement! Son mari la soutient, lui dit de foncer, laisse (encore) sa carrière de côté et tout semble bien se goupiller. Sauf que le vie politique va s'avérer bien difficile et la vie personnelle de Charlotte va être malheureusement malmenée. 
Ce que j'ai aimé dans ce roman, c'est étonnement sa simplicité. En lisant la quatrième de couverture, je m'attendais à un vrai thriller politique où les coups les plus bas sont permis. Finalement, même si le monde dépeint est assez dur, il est surtout réaliste. Oui, il y a de l'hypocrisie, des entourloupes, des faux-amis, mais il y a aussi une cause commune, une envie de faire bouger les choses, des assistants qui se serrent les coudes. J'ai bien aimé voir les coulisses du pouvoir. Suivre Charlotte dans sa vie de maman-ministre est agréable. Je me suis attachée à elle, cette femme dynamique, qui a peur de se perdre dans cette vie publique si difficile. Certes, les romans contemporains parlant de choses actuelles m'évadent (et m'évaderont) toujours moins que les classiques anciens, mais j'ai voyagé tout de même dans ce Danemark attirant et dépaysant
Cependant certains points m'ont moins convaincue. Bien que parlant d'une femme de pouvoir, ce roman a des propos parfois déstabilisant sur la femme. Charlotte est souvent décrite comme quelqu'un d'attirant et les hommes qu'elle côtoie se permettent des "choses" que la vague #metoo n'aurait sûrement pas permises ... mais le plus étonnant c'est que Charlotte ne les relève pas. Tout paraît ... normal! Est-ce une critique de la part de l'auteure? Ou la simple description factuelle de ce milieu? Je reste dans l'interrogation.
Toujours est-il que ce fut une jolie surprise. Même si les romans actuels traitant de notre société ne sont vraiment pas mes lectures favorites, j'ai apprécié ce voyage en terre inconnue. Je pense même lire un jour l'autre roman de Hanne-Vibeke Holst, Le prétendant.
" Elle n'a pas peur du noir. Seulement des images.Il est plus de minuit, entre le 20 et le 21 décembre. Charlotte ne dort pas. Elle garde les yeux ouverts pour ne pas se laisser envahir par les images. Elle essaye de distinguer les objets et les meubles dans la pénombres. L'armoire, la chaise, les molakani sud-américains sur les murs, les lames des stores vénitiens. Elle écoute le son diffus de la circulation sur Jagtvejen, entend le bruit lointain d'un klaxon, puis celui de la sirène d'un véhicule. Elle se laisse bercer par le jazz langoureux qui provient de l'appartement d'en dessous. Les notes sensuelles d'un solo de saxophone flottent a travers le plancher comme des volutes bleus d'une cigarettes. Celui lui rappelle New-York, le club ou ils avaient dansé un soir a Greenwich Village. Avant les jumeaux. Les jumeaux qui toussent de temps en temps de l'autre coté du mur. Surtout Jens a cause de son asthme. Elle démêle ses jambes des longues jambes de son homme, se dégage de son bras posé autour de ses épaules. Le bras retombe lourdement sur le drap. Rien ne peut réveiller Thomas, ni le son du canon, ni les ambulances, ni la toux des enfants. Il dort du sommeil du juste, selon sa propre expression, du sommeil d'un homme qui n'est jamais poursuivi par ses démons. Comment pourrait-il comprendre les siens ? "
L'héritière, Hanne-Vibeke Holst 
(Photos : Romanza2020)