samedi 28 novembre 2015

La preuve que les livres ont un pouvoir incroyable

La course au mouton sauvage
Haruki Murakami

Challenge Petit bac 2015

 Points, 2013.

Ami d'un jeune homme surnommé le Rat, un publicitaire assez banal, divorcé, vivant avec une femme dotée de très belles oreilles, voit son univers basculer parce qu'il a publié la photo d'un troupeau d'ovins dans un paysage de montagnes. Parmi ces moutons, l'un d'eux aurait pris possession d'un homme pour en faire le Maître d'un immense empire politique et financier d'extrême droite. Or, le Maître se meurt. Menacé des pires représailles, le publicitaire doit retrouver le mouton avant un mois. 
(Quatrième de couverture de l'édition Seuil)

Murakami me met dans une colère noire. Si vous saviez comme il m'énerve! Je n'ai jamais été dans une telle situation. C'est la deuxième fois que je le lis et je ne sais toujours pas quoi penser de son oeuvre. J'aime ou je n'aime pas? Impossible de le dire
Je pensais que la lecture d'un second roman de l'auteur (ma première rencontre fut Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil) m'éclairerait un peu sur cet étrange écrivain. Et bien, non! Je suis perdue. Je suis incapable d'écrire un avis, tout simplement parce que je n'ai rien compris à ce roman. La course au mouton sauvage est une énigme. Je dois être sacrément limitée intellectuellement pour ne pas comprendre l'un des auteurs contemporains les plus lus. Je suis en colère car je suis une lectrice qui aime la retenue, les non-dits. Murakami sous-entend les choses, je devrais accrocher. Pourtant, j'ai l'impression de ne pas avoir toutes les cartes en main, d'être trop "nouille" pour comprendre la finesse du roman. 
La course au mouton sauvage est un texte facile à lire et assez agréable. Le style fluide, l'humour et la poésie de Murakami en font un roman travaillé et beau. Mais derrière l'histoire loufoque et l'écriture simple se cache une rare complexité. Je suis incapable de vous expliquer les 30 dernières pages du texte. Je n'ai rien compris. Je dois pourtant reconnaître que j'ai aimé partir à l'aventure avec le héros sur les pas de ce mouton étoilé, abandonner une vie médiocre pour quelque chose de plus grand. Mais j'étais en attente de réponses, de lumière ... et je n'ai trouvé que des questions supplémentaires et l'ignorance.
J'aimerai pouvoir mettre des mots sur ma frustration. Murakami me remet en question, met en doute mon statut de lectrice qui aime la finesse et l'originalité. J'aimerai pouvoir dire que Murakami n'est pas un auteur pour moi et ne plus en parler, mais malheureusement, je dois avouer être questionnée, intéressée par ses romans. J'ai ouvert La course au mouton sauvage avec joie toute la semaine. Mais je ne comprends pas ce que veut Murakami, ce qu'il veut faire passer comme message. Je sais qu'il s'agit de "réalisme magique". J'aime Gabriel Garcia Marquez qui l'utilisait pour ses romans et je n'ai jamais ressenti cette sensation d'incompréhension en lisant ses textes. En fermant La course au mouton sauvage, j'ai ressenti la même colère qu'avec Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil. Je suis retournée en arrière, j'ai relu au cas où un détail pouvant m'éclairer m'aurait échappé. Mais non, rien. Si Murakami est lu par tant de personnes, c'est que les gens y trouvent une vérité, un sens! Pourquoi moi je passe systématiquement à côté? Et pourquoi d'un autre côté, suis-je incapable de le haïr, de jeter loin de moi ses romans et que je continue même à en noter les titres dans mon répertoire de livre à lire? Je suis preneuse pour tous les éclaircissements que vous pouvez me fournir. Je suis remontée comme un oiseau à ressort. 
Elle dormait, les bras croisés, en face de moi. Le soleil de ce matin d’automne jetait à travers la fenêtre un léger voile sur ses genoux. Un papillon de nuit venu dont ne sait où voltigeait aux alentours comme un bout de papier tremblant dans le vent. Le papillon se posa bientôt sur son sein, s’y reposa quelques instants avant de repartir comme il était venu. Le papillon disparu, j’eus l’impression qu’elle avait imperceptiblement vieilli."(Haruki Murakami, La course au mouton sauvage, Points, 2013.)

jeudi 12 novembre 2015

Pause russe

 Nouvelles de Pétersbourg
Nicolas Gogol

Folio classique, 2007.

Ce recueil regroupe 5 nouvelles : La perspective Nevski, Le portrait, Le journal d'un fou, Le nez et Le manteau. Toutes ont en commun la ville de Saint Pétersbourg.

J'avais déjà lu deux des Nouvelles de Pétersbourg en début d'année dernière. Il s'agissait du Nez et du Manteau. J'avais apprécié ces textes décalés, cachant beaucoup de profondeur derrière une apparente légèreté. J'étais décidée à me procurer l'ensemble des Nouvelles
Ma deuxième rencontre avec Gogol fut délicieuse. J'ai retrouvé son humour avec joie, mais j'ai également découvert une plume sensible et très poétique. Gogol a une façon incroyable de passer d'un style drôle à un style très sombre. J'ai ressenti toute son âme d'artiste torturé, cet écrivain qui ira jusqu'à se laisser mourir, insatisfait de ne pas réussir à écrire Les âmes mortes, son oeuvre restée inachevée. 
Avec La perspective Neski, on plonge dans les rues de Saint-Pétersbourg. La plume de Gogol rend le texte vivant et la vie pétersbourgeoise remuante. On pourrait rire des aventures de Piskariov, mais Gogol met en lumière le côté sombre de la grande Pétersbourg, ses travers et ses êtres oubliés. 
Le portrait est une histoire fantastique, un récit de tableau hanté par le diable. Interrogeant sur le talent d'un artiste et le pouvoir de l'Art, cette nouvelle est très plaisante à lire. 
J'ai adoré Le journal d'un fou. Complètement loufoque, cette nouvelle n'en est pas moins très profonde et tragique. 
Gogol a une écriture très maîtrisée. Passant du rire à la terreur, mêlant le drame à l'humour, il joue avec les émotions de son lecteur avec génie. Certains auteurs arrivent en quelques pages à nous captiver. C'est le cas de Gogol.
Ce fut encore un plaisir d'ouvrir de la littérature russe. Après Tolstoï, Dostoïevski, Pouchkine, ... je découvre Gogol et son univers à part. Il arrive à me toucher et à m'emmener dans son monde en quelques mots seulement.  J'aime énormément son style et même si Les âmes mortes m'effraie un peu, je compte bien le lire un jour. 
" Tout ce que vous rencontrez sur la perspective Nevski, tout regorge de bonnes manières : les hommes en long pardessus, les mains fourrées dans les poches, les dames en redingotes de satin rose, blanc et bleu d'azur et ravissants chapeaux. Vous rencontrerez ici des favoris uniques, glissés sous la cravate avec un art extraordinaire, surprenant, des favoris de velours, de soie, noirs comme la zibeline ou le charbon, mais qui, hélas, sont le privilège du seul département des Affaires étrangères. A ceux qui servent dans d'autres ministères, la Providence a refusé les favoris noirs, ils doivent, à leur immense déplaisir, les porter roux. "
(La perspective Nevski in Nouvelles de Pétersbourg, Folio classique, 207, p47) 

(Source image : Jardin de Mikhailovsky. artmajeur.com)

samedi 7 novembre 2015

" Plus gros est le mensonge, plus tout le monde le gobe. "

Les apparences
Gillian Flynn 

Sonatine, 2012.

Amy, une jolie jeune femme au foyer, et son mari Nick, propriétaire d’un bar, forment, selon toutes apparences, un couple idéal. Ils ont quitté New York deux ans plus tôt pour emménager dans la petite ville des bords du Mississipi où Nick a grandi. Le jour de leur cinquième anniversaire de mariage, en rentrant du travail, Nick découvre dans leur maison un chaos indescriptible : meubles renversés, cadres aux murs brisés, et aucune trace de sa femme. Quelque chose de grave est arrivée. Après qu’il a appelé les forces de l’ordre pour signaler la disparition d’Amy, la situation prend une tournure inattendue. Chaque petit secret, lâcheté, trahison quotidienne de la vie d’un couple commence en effet à prendre, sous les yeux impitoyables de la police, une importance inattendue et Nick ne tarde pas à devenir un suspect idéal. Alors qu’il essaie désespérément, de son côté, de retrouver Amy, il découvre qu’elle aussi cachait beaucoup de choses à son conjoint, certaines sans gravité et d’autres plus inquiétantes. Si leur mariage n’était pas aussi parfait qu’il le paraissait, Nick est néanmoins encore loin de se douter à quel point leur couple soi-disant idéal n’était qu’une illusion.


Vous savez sûrement que je ne lis que très rarement des polars. Mais parfois, un d'entre eux m'attire irrésistiblement. J'avais noté Les apparences depuis plusieurs mois et j'ai pu enfin le découvrir.
Pour qu'un thriller me plaise, il faut qu'il soit "littéraire". J'entends par là une écriture soignée, une certaine maîtrise de la langue et aussi une analyse profonde des personnages. J'ai lu plusieurs avis sur Les apparences. La plupart faisait l'éloge de l'intrigue palpitante et des nombreuses révélations composant ce "page-turner" captivant. Étrangement, je dois avouer ne pas avoir été soufflée par cet aspect du roman. On comprend assez rapidement le fin mot de l'histoire et je n'ai pas trouvé l'intrigue policière incroyablement bluffante (certains romans de Wilkie Collins ou Agatha Christie m'ont bien plus époustouflé). J'ai été totalement passionnée par ce roman de 600 pages pour autre chose que son intrigue. Gillian Flynn est une véritable écrivain. Elle dissèque, elle analyse, elle éventre chacun de ses personnages. Je ne sais pas si les vrais lecteurs de thriller ont apprécié cette oeuvre. C'est un roman long et lent. Chaque phrase, chaque situation est étudié au millimètre. Gillian Flynn aurait pu écrire l'intrigue en 200 pages, mais elle a choisi de broder autour. Et ce fut pour moi un bonheur.   
Les apparences nous plonge dans une Amérique sombre et détruite par la crise financière. Je me suis réellement vu dans cette ville triste et abandonnée sur les bords du Mississippi. Nous y rencontrons Amy et Nick. Durant tout le roman, chacun leur tour, ils prennent la parole. Ils se contredisent et parfois se répondent. La vision de la vie de couple dans Les apparences est totalement pessimiste, noire et surtout exagérée, poussée à l'extrême. Pourtant, il y a énormément de vrai dans ce roman. Comment ne pas reconnaître une certaine vérité? Comme lors de la description de la première rencontre? Ou durant les premiers mois quand on se sent tellement différents des autres couples autour de soi? Un couple plus fort, plus soudé et surtout pas ringard. Mais au final, la routine, les défauts de chacun, les ennuis professionnels et familiaux nous rattrapent. Malgré le côté extrême de Nick et d'Amy, j'ai trouvé les personnages assez justes. Les apparences est aussi un roman sociologique.
Un roman qui nous happe dès les premières pages. Non pour l'intrigue policière, au final assez simple, mais principalement pour son étude des personnages, son analyse de la vie de couple et ses travers. Un roman-immersion où l'on plonge dans cet univers étouffant et sombre pour en ressortir troublé et mal à l'aise.

" Elle riait avec moi et elle me faisait rire, elle ne me contredisait pas  systématiquement et n’essayait pas toujours d’anticiper mes réactions. Elle ne me parlait jamais avec hargne. Elle était facile à vivre. Tout était tellement facile, bon Dieu ! Et je me suis dit : l’amour vous donne envie d’être un homme meilleur – d’accord, d’accord. Mais peut-être que l’amour, l’amour vrai, vous donne aussi la permission d’être tout bonnement celui que vous êtes. " 
(Les apparences, Gillian Flynn, Sonatine, 2012) 
(Source image : Gone girl. theblacknarcissus)

lundi 2 novembre 2015

Au beau milieu d'un rêve

Rêves cruels
Rhoda Broughton

 L'arbre vengeur, 2014.


Ne traitez plus de folle cette amie qui vous supplie de croire que son dernier rêve, qui vous prédisait de sombres jours, était prémonitoire : même s'il y a de fortes chances qu'elle débloque, on ne sait jamais... Rhoda Broughton, pléthorique aventurière des Lettres qui triompha en Angleterre au tournant du XXe siècle, ne démordit jamais de cette idée qui lui inspira ses nouvelles les plus enlevées, les plus inquiétantes mais aussi les plus drôles, car la dame indigne savait se moquer comme personne des petits délires dont les hommes encombrent leur psyché. En trois histoires perfides jamais lues en français, elle raconte ici quelques rêves cruels et menaçants, les meilleurs comme on le sait, ceux que l'on se plaît à colporter en souriant et avec ce léger frisson qui nous rappelle que le monde de la nuit est celui de toutes les peurs et de toutes les idées les plus invraisemblables... Parfait avant d'éteindre la lumière.


C'est grâce à Lou que j'ai découvert ce texte de Rhoda Broughton. Gardé au chaud pour la période d'Halloween, je l'ai enfin lu.
Trois contes composent ce recueil. Nos héroïnes (puisqu'il ne s'agit que de femmes) se retrouvent mêlées à de sordides histoires. Rêves prémonitoires, nuits sombres, crimes sanglants, tous les ingrédients du roman gothique sont présents. J'ai trouvé ces nouvelles assez réjouissantes. J'ai préféré la première, plus longue et subtile que les deux autres. Rhoda Broughton sait créer l'ambiance angoissante et lourde, nécessaire à ce genre d'histoires. Ces contes ne sont pas franchement terrifiants, mais l'atmosphère y est savoureuse. 
Rhoda Broughton est très moderne. Ces héroïnes prennent des décisions, désobéissent à leur famille, bravent les interdits. Elle se moque également de façon très fine des superstitions de ses contemporains. 
Ces Rêves cruels sont une lecture plaisante et agréable. Rien de révolutionnaire ni bouleversant, mais un bon moment littéraire en cette période de l'année.  
" Ce disant, je passai ma main sur le front, car j'avais les tempes battantes, et je me rendis à la fenêtre. Un gel noir, mordant cruellement, de longs parterres nus encerclés de fer, où il semblait impossible que les gracieux crocus pussent passer leur tête jaune d'or ... un rouge-gorge triste, un pinson, et trois moineaux, tous affamés, évidemment silencieux et cherchant sur les graviers de l'allée ce qui restait des quelques miettes jetées au petit déjeuner. Il n'y avait assurément rien, dans le monde extérieur, pour me remonter le moral. "(Mrs Smith de Longmains in Rêves cruels de Rhoda Broughton, L'arbre vengeur, 2014, p15)
(Source image : Northanger abbey, fr.academic.ru)