L'éducation sentimentale
Gustave Flaubert
Défi J'aime les classiques (Avril)
Livre de poche, 1986.
Entre Mme Arnoux qui passe dans la vie les yeux baissés, fidèle à son honneur, et Rosanette, la fille de joie, Frédéric hésite. Flaubert dissèque une société qui s'enivre de vertu tout en se goinfrant de plaisirs faciles.
Nous sommes à la veille de la Révolution de 48. Jamais l'on a plus débattu de la démocratie, de la République et de la propriété. Ses amis s'engagent, militent, Frédéric, lui, pense à sa carrière et calcule. La bêtise règne sur les salons bourgeois, dans les réunions politiques, les salles de rédaction et les ateliers. L'éducation sentimentale est le roman de la parole qui ne mène qu'au rêve en amour, en politique comme au travail. De ce chef d'oeuvre noir où Flaubert a mis tant de lui-même, tout le roman contemporain est sorti.
J'avais adoré Madame Bovary il y a environ 5 ans. L'éducation sentimentale m'a nettement moins convaincu. Il y a du très bon. Flaubert écrit magnifiquement bien et on se sent tout petit face à lui. Pourtant, la magie n'a pas opéré. Enfin, pas entièrement dirons nous.
D'abord, j'ai été ravie de me plonger dans un gros pavé classique (j'adooore!). De plus, j'étais en vacances à la campagne, sans un bruit, sans télévision, juste la nature et ses premiers rayons de soleil printaniers, mon roman, mon thé. Bref, la situation idéale. Pourtant, j'ai eu beaucoup de mal à me laisser emporter par Flaubert. Il a par moment réussi à me faire rêver, mais à d'autres moments, je lisais ... sans réellement savoir quoi! Ce roman contient de très belles scènes. Des scènes qui marquent, qui bousculent, qui bouleversent (je pense notamment à cette si magnifique scène finale avec Mme Arnoux). Mais malheureusement ce n'est pas toujours le cas. Tout n'est pas palpitant dans ce roman. Je me retrouve dans le même état d'esprit qu'après Pour qui sonne le glas. Beaucoup de belles images en tête, des personnages attachants, mais aussi beaucoup de souvenirs de lecture laborieuse.
J'ai aimé Rosanette, Madame Arnoux, Louise et Madame Dambreuse. Je trouve les personnages féminins sublimes. Qu'elles soient futiles, divines, niaises, ambitieuses, menteuses, bouleversantes ou énervantes, elles sont toutes superbes. J'ai trouvé Frédéric bien pâle et fade à côté d'elles. J'ai aimé toutes les scènes avec Mme Arnoux, la rencontre, les épines des roses, le rendez-vous manqué. C'est un très beau personnage pour qui j'ai ressenti beaucoup de tendresse et de respect. J'ai aimé également certaines scènes de la vie parisienne, les révoltes, les débats. Parfois, Flaubert quitte la monotonie de son récit et nous crée des scènes splendides.
Parmi les connaissances de Frédéric, je n'ai pas réussi à savoir exactement qui était qui et qui pensait quoi. On s'y perd! Les noms ne sont pas faciles à retenir, leurs idées politiques non plus. J'ai totalement abandonné l'idée de reconnaître chaque personnage. Je me suis tenue aux principaux.
Un texte qui a beaucoup de qualités, mais qui est long, complexe et parfois d'un ton tellement détaché que l'on n'arrive pas à se plonger dedans. L'écriture de Flaubert m'a rappelée par moment celle des frères Goncourt. Je n'ai jamais réussi à me faire à leur ton froid, distant, pas concerné. j'ai lu trois romans d'eux (La fille Elisa, Germinie Lacerteux, Manette Salomon) sans jamais réussir à ressentir de la pitié pour leurs personnages .... à cause de leur style étrange. Flaubert n'est pas détaché à ce point car j'ai réellement aimé les personnages de ce roman, mais parfois, sa mise à distance par rapport aux événements est troublante, déstabilisante.
Un classique à lire ... si on aime les classiques et que l'on est patient. Bien que les 500 pages soient dures à avaler, une histoire pleine de qualités remplie de scènes magnifiques. J'ai tout de même nettement préféré dans la même veine Le lys dans la vallée de Balzac.
L'avis d'Erzébeth.
" Celle [la maison] de Rosanette l'amusait. On venait là le soir, en sortant du club ou du spectacle; on prenait une tasse de thé, on faisait une partie de loto; le dimanche, on jouait des charades; Rosanette, plus turbulente que les autres, se distinguait par des inventions drolatiques, comme de courir à quatre pattes, ou de s'affubler d'un bonnet de coton. Pour regarder les passants par la croisée, elle avait un chapeau de cuir bouilli; elle fumait des chibouques, elle chantait des tyroliennes. /.../
Presque toujours, il trouvait Mme Arnoux montrant à lire à son bambin, ou derrière la chaise de Marthe qui faisait des gammes sur son piano; quand elle travaillait à un ouvrage de couture, c'était pour lui un grand bonheur que de ramasser, quelquefois, ses ciseaux. Tous ses mouvements étaient d'une majesté tranquille; ses petites mains semblaient faites pour épandre des aumônes, pour essuyer des pleurs, et sa voix, un peu sourde naturellement, avait des intonations caressantes et comme des légèretés de brise. /..../
La fréquentation de ces deux femmes faisait dans sa vie comme deux musiques : l'une folâtre, emportée, divertissante, l'autre grave et presque religieuse; /.../"
(L'éducation sentimentale, Flaubert, 1986, Livre de poche, p170/171)
(Source image : 1st-art-gallery.com. Illustration Le lys dans la vallée de Balzac)