mercredi 20 avril 2022

" Je n’ai pas de plus haute ambition que de savourer au mieux chaque journée qui passe."


Quand rentrent les marins
Angela Huth

Quai Voltaire, 1998.

Myrtle est aussi réservée, sage et modeste qu'Annie est pétulante, séductrice et vaniteuse. Élevées dans un petit port perdu au fin fond de l'Écosse, elles ont appris ensemble à devenir des femmes. Des femmes de marins pêcheurs, dont le lot quotidien est lié à chaque caprice de l'océan, au retour de leur homme, aux rumeurs qui enflamment tout le village dès qu'un étranger en frôle le pavé... Patiemment, Myrtle s'emploie à calmer les toccades passagères de son amie et à pallier sa négligence à l'égard de Janice, l'unique fille d'Annie. Jusqu'au jour où survient le pire, et où le drame emporte avec lui tous les remparts contre les déchaînements des passions. Contre ces non-dits qui éclatent avec d'autant plus de force qu'ils ont été si savamment et si longtemps protégés.

Voici un roman bien doux et bien agréable! Je me suis réfugiée dans ce texte comme on se réfugie sous notre couette après une dure journée. Pourtant ce roman n'est pas tendre. Il malmène très souvent son lecteur. L'histoire est tragique et émouvante. Mais Angela Huth sait comme personne prendre la main de son lecteur et l'amener près de ses personnages. Nous sommes transportés dans leur univers comme des amis, des voisins, des proches. Je me suis promenée dans cette petite ville d'Ecosse, dans ces petites rues fouettées par le vent. J'étais près de Myrtle, ce personnage fantastique et inoubliable. J'ai retrouvé dans Quand rentrent les marins ce que j'ai aimé dans Les filles de Hallows Farm il y a quelques années : Cette description fine du caractère humain, de ses incohérences, ses doutes, ses contradictions. Myrtle est un personnage d'une humanité incroyable. Myrtle est devenue mon amie, comme les trois filles de Hallows farm. Je retrouve dans Angela Huth ce que j'aime aussi chez Tracy Chevalier, je trouve ces deux écrivaines très proches. Ce sont des conteuses. Elles nous racontent des histoires de femmes. Elles ne taisent rien de leurs tristesses, leurs joies, leurs ambivalences. Elles écrivent vrai. 
Quand rentrent les marins est le roman des petits plaisirs de la vie, le bonheur d'un rayon de soleil, le réconfort d'une tasse de thé, le frisson d'un souffle de vent, la beauté d'un arbre et celle d'un souvenir. 
Quand rentrent les marins est un roman magnifique. Ce texte très lent est un vrai bonheur de lecture. J'y ai croisé des personnages attachants, énervants, touchants. J'ai refermé la dernière page de ce roman avec dans le cœur la sensation de laisser des amis derrière moi. 
Merci à mon amie UnlivreUnthé qui m'a offert ce roman. 

C'est une femme corpulente, aux mains rugueuses comme la morue salée, et grande. Le plafond de la cuisine ne se trouve qu'à quelques centimètres de sa tête. Elle se meut avec une dextérité accomplie dans cet espace exigu, balançant ses larges hanches avec dignité. Archie dit qu'elle lui fait parfois penser à une cantatrice, tant elle semble glisser lorsqu'elle déambule."

" On ne coupe pas aux gens le cœur en quatre, quand on leur a déjà vidé les poches. "

La joie de vivre
Emile Zola

Le livre de poche, 1964.

Près d’Arromanches, dans la maison du bord de mer où ils se sont retirés après avoir cédé leur commerce de bois, les Chanteau ont recueilli Pauline, leur petite cousine de dix ans qui vient de perdre son père. Sa présence est d’abord un surcroît de bonheur dans le foyer puis, autour de l’enfant qui grandit, les crises de goutte paralysent peu à peu l’oncle Chanteau, la santé mentale de son fils Lazare se dégrade, l’héritage de Pauline fond dans les mains de ses tuteurs, et le village lui-même est rongé par la mer.

La joie de vivre est mon 13ème Rougon Macquart et sa lecture fut un régal. J'ouvre Zola avec toujours beaucoup de confiance et de joie. Je sais que j'y trouverai une langue riche, émouvante, satirique, juste. La joie de vivre n'a pas échappé à la règle. Il est tombé à un moment de ma vie où j'avais besoin de me réfugier dans la littérature, cette chère amie qui ne m'a jamais trahie. 

La vie de la petite Pauline est émouvante, déchirante. J'ai été extrêmement touchée par les injustices qu'elle subit. Zola tape juste, chamboule son lecteur, fait feu à chaque coup. J'ai souvent eu la larme à l'œil en lisant les mots de ce roman. Zola les choisit avec soin, mais parfois fait le choix aussi de se taire et de laisser s'installer le silence. Un regard, la description d'un lieu ou d'un paysage et tout est dit. 

Zola reste le naturaliste que l'on connaît et nous offre également des scènes terribles et difficilement soutenables. La scène de l'accouchement dans La joie de vivre par exemple vaccinerait toute femme d'avoir un enfant. Je m'en souviendrai longtemps. Comme toujours, cette terrible scène est juste et pertinente. Elle montre les personnages en train de se révéler, relance les dés et, dans un certain sens, rétablit un ordre. 

Les personnages sont tous plus marquants les uns que les autres. Mon personnage préféré est sans aucun doute Véronique, la bonne. Par sa rudesse mêlée de bienveillance et de gentillesse, elle semble bien trop blanche pour ce monde sans cœur. Ses réparties sont fabuleuses et les dernières pages la concernant m'ont bouleversée. Mme Chanteau, quant à elle, m'a scandalisée. Cette femme envieuse et vénale malmène Pauline et crée beaucoup des malheurs existants dans cette famille. 

Il me reste encore 7 titres des Rougon Macquart et je me délecte d'avance de découvrir ces histoires. 

"La mer, qui montait, avait une lamentation lointaine, pareille à un désespoir de foule pleurant la misère. Sur l'immense horizon, noir maintenant, flambait la poussière volante des mondes. Et, dans cette plainte de la terre écrasée sous le nombre sans fin des étoiles, l'enfant crut entendre près d'elle un bruit de sanglots."

jeudi 2 décembre 2021

Nostalgie universitaire

La vie de Marianne
Marivaux

Classique Pocket, 2020.
 

" C'est une femme qui raconte sa vie... "
Comment Marianne, jeune orpheline rescapée d'une attaque de bandits, est devenue la comtesse de ***, nous ne l'apprendrons jamais. Marianne, cependant, était déjà Marianne. Jolie et pleine d'esprit, raisonnable et lucide, la " belle enfant " voit tout, sait tout, déjà, de l'ambivalence des bienfaits et des inconstances de l'amour – assez pour dépasser sa condition et proposer, sous la plume du divin Marivaux, le plus badin, pénétrant, spontané des romans de son siècle.

J'avais ressenti, à l'époque où j'avais acheté ce roman, une envie folle de me replonger dans des œuvres du 16 et 17ème siècles. J'ai senti, lors de cette escapade dans la librairie Mollat à Bordeaux, une sorte de bouffée de nostalgie. Je me suis revue à l'époque, étudiante en Lettres, lorsque je passais des heures dans la grande librairie près de la fac', à attendre l'arrivée de mes trains pour rentrer dans ma campagne. J'ai tout revu : cette ambiance feutrée, la nuit presque complète dehors, l'éclairage de la librairie, l'odeur des livres et mon insatiable besoin de lire. Mes années fac' ont été si riches que j'y pense souvent avec plaisir et émotion. Dans cette librairie, j'ai acheté mes romans pour la fac bien sûr mais aussi mes romans "plaisir". A l'université, nous avions une prof de littérature du 16ème (et aussi de rhétorique, grammaire et stylistique) qui était particulièrement fabuleuse, Mme Balique. Magnifique femme, indépendante et dynamique qui nous donnait envie de se précipiter à la librairie à la fin de chacun de ses cours. J'ai appris, avec elle, à aimer cette période littéraire que j'avais tendance à délaisser. Nous avons découvert la verve de cette époque, lu La Fontaine avec passion, pleuré en lisant La princesse de Clèves, ri en parcourant La Bruyère ou Jacques le fataliste de Diderot (lu 3 fois et que j'aime d'amour), tremblé en parcourant Choderlos de Laclos. C'est dans cette bourrasque nostalgique que je me suis précipitée un soir d'automne sur La vie de Marianne de Marivaux. Je ne vous cache pas que ce qui est passionnant dans cette époque, c'est l'étude des textes, l'analyse des discours. J'aurais sûrement davantage apprécié La vie de Marianne si j'avais pu l'étudier en parallèle de ma lecture. Mais n'allez pas croire que je n'ai pas aimé. Loin de là! J'ai passé un bien agréable moment en compagnie de ce gai luron de Marivaux et de cette tendre Marianne. Alors oui, c'est désuet, franchement patriarcal et un brin cul-cul parfois, mais c'est ce qui fait aussi le charme de ces textes. Cette lecture demande de prendre du recul, de la replacer dans son contexte. La langue est belle, fine, pointue. Les beaux passages pleins de sentiments laissent place à l'humour et à la satire des plus réjouissantes. J'aime cette époque, cette liberté dans les mots et les pensées. J'aime la façon dont les auteurs manipulent les mots, disent sans dire vraiment ... mais disent tout de même. J'aime qu'ils fassent confiance à notre intelligence et notre sens de la double lecture. Alors oui, ce n'est pas un roman que l'on attrape aussi facilement qu'un texte plus romanesque ou contemporain. C'est une lecture plus exigeante, plus lente, mais sous ces aspects désuets, on y trouve des vérités encore actuelles sur l'esprit des Hommes et l'âme humaine. 
Je retournerai de temps en temps vers ces textes du 16ème avec bonheur et nostalgie. 
" Si on savait ce qui se passe dans la tête d'une coquette en pareille cas, combien son âme est déliée et pénétrante ; si on voyait la finesse des jugements qu'elle fait sur les goûts qu'elle essaye, et puis qu'elle rebute, et puis qu'elle hésite de choisir, et qu'elle choisit enfin par pure lassitude : car souvent elle n'est pas contente, et son idée va toujours plus loin que son exécution ; si on savait tout ce que je dis là, cela ferait peur, cela humilierait les plus forts esprits, et Aristote ne paraîtrait plus qu'un petit garçon."

(Photo : Romanza2021) 

mardi 30 novembre 2021

Au pays des Fjords

Kristin Lavransdatter
Sigrid Undset


 La cosmopolite, Stock, 2014. 

Sigrid Undset s'empare du Moyen-Âge scandinave pour dépeindre la vie de Christine Lavransdatter, jeune femme qui ose vivre sans craindre de briser les tabous sociaux et religieux de son temps. Défiant l'autorité du père tant respecté, elle refuse en effet d'épouser l'homme que celui-ci lui destine car elle aime Erlend, le chevalier au passé scandaleux. Rien ne pourra désormais la séparer de cet homme à qui elle se donne sans hésiter. Mais le couple que forment Christine et Erlend va subir l'épreuve de la réalité. La jeune femme, amante passionnée à seize ans, épouse et mère à dix-sept, se retrouve maîtresse du domaine de Husaby. Très vite elle va apprendre à le diriger, à devenir celle sur qui tous et toutes se reposent.

Je possède cet énorme pavé depuis quelques années déjà. J'étais tombée sur un article de Lilly au sujet d'un autre roman de Sigrid Undset, Vigdis la farouche. J'ai ensuite rencontré ce gros roman en librairie, le plus connu de l'autrice, et je l'ai tout de suite ajouté à ma liste de Noël. J'aime les épopées, les sagas, les pavés qui nous embarquent dans d'autres univers. J'ai attendu un moment cependant avant de l'ouvrir. On ne se lance pas dans cette brique comme on se lance dans un gentil roman de 300 pages. J'ai attendu cet été et mon roadrip norvégien d'un mois et demi pour me lancer dans l'aventure. Lire ce roman au milieu des Fjords et de la toundra fut un moment unique

Cette lecture fut riche, très riche. Texte dense et complexe, il faut du temps pour s'attaquer à Kristin Lavransdatter. Mais les efforts sont récompensés. Oui, je vous le dis, ça en vaut la peine. Pour vous rassurer, ce roman n'est pas compliqué à lire. L'écriture est fluide, facile et l'intrigue tient le lecteur en haleine pendant les 1170 pages. On accompagne Kristin avec émotion dans sa vie difficile. Elle mérite d'être lue cette vie! Quelle leçon de courage! Kristin devra, toute sa vie, lutter contre le joug masculin. En vain. Cette héroïne paiera toute son existence le fait d'avoir épousé un homme un peu enfantin, immature et boudeur. Kristin a autant suscité chez moi le respect que la pitié. Mon âme de femme du XXIème siècle a souvent soupiré et eu envie de hurler " Quitte-le!". Mais nous sommes au Moyen âge, en Scandinavie ... et une femme ne part pas. 

Kristin et Erlend vont s'aimer (on pourrait discuter longuement de cette relation. J'y ai vu pour ma part une domination telle que Tess d'Urberville peut la vivre avec Alec chez Hardy. La jeune Kristin est, certes amoureuse, mais tombée dans les mains d'un homme plus âgé qui aurait pu faire preuve de patience et de maîtrise de soi!). Ils vont braver l'interdiction de se marier. Seule Kristin paiera toute sa vie cette décision. La culpabilité, le remord, les affronts, ... Erlend n'en sera pas ou peu accablé. Kristin sera la pêcheresse. Elle expiera sa faute jusqu'à la mort. Ce roman pourrait vous sembler très moralisateur. Je ne cache pas qu'il est très imprégné de religion, l'être humain est un pêcheur qui doit se repentir de ses fautes. Cependant, c'est le roman d'une femme qui lutte, qui se bat, qui s'oppose et qui essaie de s'en sortir envers et contre tous. Sigrid Undset prend partie pour son héroïne qui, dès son plus jeune âge, sera exposée au désir des hommes et qui paiera cher sa beauté et sa force. 

Kristin Lavransdatter est très complexe. J'ai choisi de le lire en immersion. De me laisser aller. Cependant, une lecture "crayon en main" aurait été intéressante. Une thèse ne suffirait pas pour aborder tous les thèmes de ce roman. J'aurais aimé le lire à l'université et pouvoir l'étudier. 

Une lecture marquante, passionnante, envoûtante. Une lecture qui soulève bien des débats. Il faut lire ce texte et ne pas se laisser intimider par ses 1700 pages. C'est un roman monde, bouleversant et révoltant. 

" Cela lui fit l'effet d'un réveil, quand ils sortirent de la forêt et traversèrent les prairies au-dessus des Martestokker. Le soleil était bas, et la ville et la baie s'étendaient à leurs pieds dans une lumière claire et pâle. Dans le calme du soir, les bruits arrivaient de loin comme s'ils sortaient de la fraîcheur des bas-fonds. La roue d'une voiture grinçait quelque part sur un chemin ; des chiens aboyaient en se répondant, dans les fermes, à travers la ville. Mais, dans la forêt, derrière eux, les oiseaux faisaient entendre à pleins gosiers leurs trilles et leurs chants. Le soleil, maintenant, était couché. "

(Photo : Romanza2021) 

lundi 5 juillet 2021

" Une fille c'est un garçon blessé."

Fille
Camille Laurens

Gallimard, 2020.

FILLE, nom féminin
1. Personne de sexe féminin considérée par rapport à son père, à sa mère.
2. Enfant de sexe féminin.
3. (Vieilli.) Femme non mariée.
4. Prostituée.

Laurence Barraqué grandit avec sa sœur dans les années 1960 à Rouen.
"Vous avez des enfants? demande-t-on à son père. – Non, j’ai deux filles", répond-il.
Naître garçon aurait sans doute facilité les choses. Un garçon, c’est toujours mieux qu’une garce. Puis Laurence devient mère dans les années 1990. Être une fille, avoir une fille : comment faire ? Que transmettre ?

L’écriture de Camille Laurens atteint ici une maîtrise exceptionnelle qui restitue les mouvements intimes au sein des mutations sociales et met en lumière l’importance des mots dans la construction d’une vie.

Ce roman de Camille Laurens est, je pense, nécessaire ... même si je ne lui ai pas trouvé que des qualités. Je dois admettre … et il s'agit peut-être de naïveté de ma part … que la vie de son héroïne m'a paru cumuler trop de clichés, trop d'incidents pour être crédible. Cependant, si je prends ce texte comme une métaphore de toutes les difficultés que peuvent rencontrer les femmes au cours de leur vie, je ne peux que le trouver juste et pertinent. Plus que comme un roman, Fille doit être lu comme un essai.

Nous suivons Laurence. Dès sa naissance, elle est brimée par sa situation de « fille ». Son sexe va définir son parcours. J'ai trouvé ce propos très pessimiste. Je crois que j'ai grandi dans une bulle. Je suis la seule fille d'une fratrie de trois , petite dernière après deux garçons, je n'ai jamais eu la sensation d'être un « poids » et un « boulet ». Ai-je eu de la chance ? Suis-je un OVNI ? Je ne nie pas ce qui est écrit dans Fille. Je suis consciente que tout ce qui est écrit est réel et juste. C'est la cumulation qui me questionne. J'ai décidé de prendre cette histoire dans son côté métaphorique et j'y ai finalement cru. Comme un essai de ce qu'est être une fille au XXème et XXIème siècle, ce roman nous questionne sur la féminité, la maternité, la sexualité. J'ai été très émue par les différents malheurs et les nombreuses tragédies de la vie de Laurence. Le texte est très bien écrit. La fin laisse poindre une lueur, une éclaircie dans la vie des femmes. Elles font bouger les choses, osent parler, font leurs propres choix. 

Un texte difficile, mais à lire comme une grande allégorie de la vie d'une femme.  

" A propos de filles, il y a une chose bizarre. Tu es une fille, c'est entendu. Mais tu es aussi la fille de ton père. Et la fille de ta mère. Ton sexe et ton lien de parenté ne sont pas distincts. Tu n'as et n'auras jamais que ce mot pour dire ton être et on ascendance, ta dépendance et ton identité. La fille est l'éternelle affiliée, la fille ne sort jamais de la famille. Le Dr Galiot, au contraire, a eu un garçon et il a eu un fils. Tu n'as qu'une entrée dans le dictionnaire, lui en a deux. Le phénomène se répète avec le temps : quand tu grandis, tu deviens "une femme" et, le cas échéant, "la femme de".
L'unique mot qui te désigne ne cesse jamais de souligner ton joug, il te rapporte toujours à quelqu'un - tes parents, ton époux, alors qu'un homme existe en lui-même, c'est la langue qui le dit, comme la grammaire t'expliquera plus tard, dans ta petite école de filles jouxtant celle des garçons, que "le masculin l'emporte sur le féminin".

Être fidèle ou infidèle?

Washington square 
Henry James

Livre de poche, Biblio, 2016.

Quoi de plus délicat que les relations entre un veuf inconsolable et une fille qui ne ressemble pas à sa mère? A New York, l'implacable docteur Sloper vit seul avec son unique enfant, Catherine, un être vulnérable.

Une vieille tante écervelée papillonne entre eux. Un soir surgit un jeune homme au visage admirable. Dans la vénérable demeure de Washington Square, le quatuor est en place pour jouer un morceau dissonant.

Voici un roman que j'ai beaucoup apprécié lors de ma lecture et qui, pourtant, me laisse peu de souvenirs plusieurs semaines après l'avoir lu. Etrange!
Henry James est un auteur que je connais peu, mais que je désire connaître davantage depuis quelques années. J'ai lu et aimé l'angoissant Tour d'écrou et apprécié ce Washington square dont il est question aujourd'hui. J'espère un jour me plonger dans ses longs romans comme Portrait de femme
Washington square est un roman facile aux chapitres courts et efficaces. J'ai vite plongé dans cet univers de haute bourgeoisie New-yorkaise me rappelant (bien évidemment) ma chère Edith Wharton. Catherine est un personnage attachant et touchant. Cette pauvre héroïne ne fait que subir le poids de l'autorité masculine. Pourtant, Catherine a du tempérament, mais il sera toujours question des hommes de sa vie et de leur pouvoir sur elle. La tante de Catherine est un personnage intéressant. Passionnée de romantisme en tout genre, elle embarque sa nièce dans une aventure périlleuse. Sous forme de vaudeville à la sauce "bonnes mœurs puritaines", Washington Square fut agréable à lire ... bien que j'ai ensuite assez vite oublié l'histoire. 
"Elle était romanesque, sentimentale, et folle de petits secrets et de mystères – passion bien innocente, car jusque-là ses secrets lui avaient servi à peu près autant que des bulles de savon. Elle ne disait pas non plus toujours la vérité ; mais cela non plus n’avait pas grande importance, car elle n’avait jamais eu rien à cacher. Elle aurait rêvé d’avoir un amoureux et de correspondre avec lui sous un faux nom par le canal d’une poste privée ; je m’empresse de dire que son imagination ne s’aventurait jamais vers des réalités plus précises. "

" L’âme souffre lorsqu’on a conscience de sa lâcheté et cela incite à chercher refuge dans la seule violence des mots. "

Le puits de solitude
Marguerite Radcliffe Hall

Gallimard, 2005.

Le puits de solitude fit scandale lors de sa parution à Londres en 1928, où il fut interdit et les exemplaires imprimés jetés au feu. Marguerite Radclyffe Hall y dépeint l'amour de deux femmes, contrarié par une société hostile, et prend la défense de cette minorité incomprise et méprisée. Véritable plaidoyer en faveur de l'homosexualité, Le puits de solitude est aujourd'hui une référence littéraire reconnue par tous.

J'ai mis plusieurs semaines à lire ce gros pavé. Offert par Unlivreunthé il y a plusieurs années, j'ai enfin pris le temps de me plonger dans ce beau roman

Ce qui frappe dans Le puits de solitude c'est sa douceur et sa lenteur. Ce texte est d'une simplicité presque naïve et enfantine. Alors que le propos traité est dur, l'homosexualité dans une époque où elle était interdite, le roman narre le parcours de Stephen de façon douce. Bien sûr, son parcours est difficile, injuste et émouvant, mais l'auteure cherche à montrer que Stephen est un être humain comme tout le monde. Elle ne cherche pas le rocambolesque, elle veut juste prouver l'absurdité de la société qui empêche deux êtres humains de s'aimer librement. 

Le puits de solitude nous offre de magnifiques tableaux, telles des œuvres impressionnistes, nous observons la lumière éphémère de l'aube, un bouquet qui embaume, une caresse sur la main. Bien que lent, ce roman n'ennuie pas, il enveloppe. C'est tout doucement, sans s'en rendre compte, que l'on est happé par ce texte. 

Un très beau texte dont les dernières pages m'ont serré le cœur.  

"On la jugeait singulière, ce qui, dans ce milieu, équivalait à une réprobation. Troublée, malheureuse, comme un tout petit enfant, cette large créature musclée se sentait seule, elle n'avait pas encore appris cette dure leçon : elle n'avait pas encore appris que la place la plus solitaire en ce monde est réservée aux sans-patrie du sexe."

vendredi 18 juin 2021

Y a un blème!

L'anomalie 
Hervé Le Tellier

 Gallimard, 2020 (Prix Goncourt)

«Il est une chose admirable qui surpasse toujours la connaissance, l’intelligence, et même le génie, c’est l’incompréhension.»
En juin 2021, un événement insensé bouleverse les vies de centaines d’hommes et de femmes, tous passagers d’un vol Paris-New York. Parmi eux : Blake, père de famille respectable et néanmoins tueur à gages ; Slimboy, pop star nigériane, las de vivre dans le mensonge ; Joanna, redoutable avocate rattrapée par ses failles ; ou encore Victor Miesel, écrivain confidentiel soudain devenu culte.
Tous croyaient avoir une vie secrète. Nul n’imaginait à quel point c’était vrai.
Roman virtuose où la logique rencontre le magique, L’anomalie explore cette part de nous-mêmes qui nous échappe.

Ceux qui me suivent depuis un moment savent que je ne lis que peu de littérature contemporaine et presque jamais de prix littéraires. Mais parfois, on m'en offre et comme j'aime découvrir de nouvelles choses, je les lis avec plaisir. 
Lorsque j'ai reçu L'anomalie pour Noël, j'étais sceptique. Je ne savais pas à quoi m'attendre. Je l'ai finalement ouvert curieuse de voir ce que j'allais y trouver. 
Les premières pages m'ont beaucoup plu. J'ai aimé cette polyphonie assez mystérieuse, ces tranches de vie justes et bien écrites. Hervé Le Tellier a de belles tournures de phrases et une sensibilité pleine d'humour et de tendresse. J'étais aussi très pressée de savoir ce qui se tramait (car oui, je n'en avais aucune idée. Je dois être la seule à ne pas avoir été divulgâchée). Finalement, mon intérêt s'est relâché dès que l'on apprend le fin mot de l'histoire (vers la moitié du roman). Je n'ai pas adhéré à l'hypothèse proposée. Bien sûr, j'ai conscience qu'il ne fallait pas le prendre au premier degré, avoir un certain recul et de l'humour. Ces ingrédients marchent souvent bien avec moi, mais là, non. Même si je reconnais que l'écriture de Hervé Le Tellier est efficace et juste et que j'ai eu à certains moments du mal à lâcher le roman, je trouve que L'anomalie ne tient pas dans la longueur. Au bout d'un moment, on se lasse, on décroche. L'auteur n'arrive pas à tenir son histoire jusqu'au bout. 
Une expérience intéressante cependant. Cela m'a fait du bien de lire un roman facile, plus léger qu'un classique et assez original. A découvrir donc.
"Depuis la mort de mon père, il y a plus de trente ans, je gardais toujours dans ma poche une briquette. Ce n’était ni un fétiche, ni un porte-bonheur. Juste quelques grammes de souvenir, presque une habitude. On m’a rendu celle que conservait le Victor qui s’est suicidé, et elles sont désormais deux. J’ai oublié laquelle est laquelle, et je les ai unies. Je ne saurais dire ce qu’elles symbolisent, mais j’ai l’impression d’avoir plus de choix, d’être plus libre que jamais. Malgré tout, je n’aime pas trop ce mot de « destin ». Ce n’est qu’une cible qu’on dessine après coup à l’endroit où s’est fichée la flèche."


mercredi 12 mai 2021

" Personne ne s’intéresse et ne croit à rien, en dehors de sa propre petite médiocrité confortable ."

 La fenêtre panoramique

Richard Yates

Pavillons poche, Robert Laffont, 2017.

April et Frank Wheeler forment un jeune ménage américain comme il y en a tant : ils s'efforcent de voir la vie à travers la fenêtre panoramique du pavillon qu'ils ont fait construire dans la banlieue new-yorkaise. Frank prend chaque jour le train pour aller travailler à New York dans le service de publicité d'une grande entreprise de machines électroniques mais, comme April, il se persuade qu'il est différent de tous ces petits-bourgeois au milieu desquels ils sont obligés de vivre, certains qu'un jour, leur vie changera... Pourtant les années passent sans leur apporter les satisfactions d'orgueil qu'ils espéraient. S'aiment-ils vraiment ? Jouent-ils à s'aimer ? Se haïssent-ils sans se l'avouer ?... Quand leur échec social devient évident, le drame éclate.

La lecture de ce roman n'a pas été de tout repos. Ce texte est dur. Peut-être que certains le trouveront très lisse par rapport à moi mais en ce qui me concerne, je l'ai trouvé difficile. Cependant, il s'agit d'un excellent roman, extrêmement percutant, un classique Étatsunien à lire absolument. J'ai adoré.

Il faut savoir que, cela arrive rarement, j'ai vu le film adapté de l'œuvre il y a plusieurs années. J'avais beaucoup aimé. Je m'en souvenais au final assez peu. Le livre est, en ce qui me concerne, bien plus lourd et sinistre. Richard Yates prend son temps et le texte gagne en intensité et en profondeur. Assister à la chute de ce couple m'a bouleversée. Bien que je sois (très) satisfaite de ma vie et de mes choix, il faut reconnaître que parfois les aléas de la vie viennent nous chambouler. On peut vite se retrouver enfermer dans un cadre et une vie qui ne sont pas ceux que nous souhaitions. Le boulot, la résidence pavillonnaire, les enfants que l'on n'a pas le temps de voir grandir, le stress, le manque de temps, ... Je suis personnellement heureuse de mes choix qui m'ont fait quitter la vie métro-boulot-dodo. J'ai été encore plus fière en lisant Fenêtre panoramique et en me disant que mes choix m'avaient éloignée (peut-être) d'une vie trop lisse qui m'aurait pesée. Pourtant, j'ai compris. J'ai compris comme tout pouvait aller vite. A quel point, on peut passer à côté ...  A côté du grain de folie, du coup de tête, du rêve d'enfant. Et pourtant, je ne peux aussi m'empêcher de penser : est-ce si grave de ne pas réaliser nos folies d'enfance? Je ne peux pas ne pas penser au sublime film Là-haut de Pixar qui montre bien que la plus belle des aventures n'est pas de réaliser des aventures incroyables, mais de partager sa vie avec des êtres que l'on aime. Un thème à débattre. 

April et Frank étaient de jeunes gens passionnés, fougueux et amoureux. Plein de rêves et de projets, ils se retrouvent cernés dans une vie ennuyeuse. Ce qui m'a le plus attristée, c'est qu'April et Frank sont persuadés d'être différents des autres, différents des voisins et leur vie étroite, persuadés qu'ils sont plus intéressants et originaux. Quand ils ouvrent les yeux et constatent que leur vie est sensiblement la même que leurs voisins, tout s'effondre. Et c'est en cela que j'ai été chamboulée et questionnée. Faut-il se gâcher le présent parce qu'il est différent de ce que l'on a prévu? Faut-il réaliser nos rêves à tout prix? Sommes-nous si exceptionnels en comparaison des voisins que parfois nous jugeons injustement? Faut-il être satisfait de ce que l'on a ou chercher à atteindre de nouveaux objectifs? Est-ce qu'April et Frank n'auraient pas été plus heureux en acceptant le tournant de leur vie et en essayant de rendre ce quotidien plus magique ? Ou devaient-ils quoi qu'il en coûte tout quitter et vivre leur rêve de voyage et d'aventures? Où est le bonheur? Ne serait-il pas tout simplement en nous? Et dans notre faculté à être satisfait tout en réalisant ce qui nous tient vraiment à coeur? April ne saura pas trouver le bonheur au fond d'elle. Elle choisira le malheur et le drame. Ses décisions, ses crises de nerfs, ses violences verbales m'ont mise mal à l'aise. April est en souffrance et Richard Yates le décrit merveilleusement bien. La fenêtre panoramique, c'est tout le vernis américain qui craquelle. Ce roman interroge sur le rôle que nous jouons dans notre propre vie, sur notre capacité à être heureux, sur nos choix. La vie de Frank et April est terrible de réalisme. Elle est le reflet de tous ces drames sourds, ces souffrances intérieures qui ne se voient pas mais détruisent de l'intérieur beaucoup de gens autour de nous ... parfois proches. Un roman maîtrisé d'un bout à l'autre, dérangeant et bouleversant. 

[...] à un moment donné, quand Frank évoqua "le vide sans espoir de toutes choses dans ce pays", il s'arrêta pile sur l'herbe et parut foudroyé.
- Voilà, maintenant vous l'avez dit, déclara-t-il. Le vide sans espoir. Bien des gens déplorent ce vide. Là où je travaillais, sur la Côte, c'était notre grand sujet de conversation à tous. Nous passions des nuits entières à discuter sur le vide, sur le néant, sur la vanité de toute chose. Pourtant, personne ne le qualifiait de "sans espoir". C'était là que nous nous dégonflions. Peut-être parce qu'il faut déjà avoir une certaine dose de courage pour voir le vide, et qu'il en faut sacrément plus pour voir le sans espoir. Je pense que, lorsque l'on voit le sans espoir, il ne reste plus qu'à ficher le camp. Quand on peut.

(Photo : Romanza2021) 

samedi 17 avril 2021

" Ce n'est pas le coupable qui importe . Ce sont les innocents "

Témoin indésirable

Agatha Christie
Editions les masques, 1966.

Dans la maison où a été assassinée Mme Argyle, n'étaient présents à l'heure du crime que le mari, la gouvernante, une infirmière et les cinq enfants adoptés par le couple. Déclaré coupable, un des garçons est mort en prison quand, deux ans après le procès, un témoin à décharge se présente pour confirmer son alibi. Cependant, la famille fera grise mine à cet homme scrupuleux venu réhabiliter le jeune homme. C'est qu'il n'y a pas qu'une vérité : celle que fera éclater le docteur Calgary est bien sombre et, plus cruellement que tout autre, blessera bien du monde.

Voici un Agatha Christie au scénario très alléchant. 

Alors qu'un crime au sein d'une famille a été résolu il y a plusieurs mois, un témoin incongru vient réfuter cette sentence. Le criminel ne peut pas être celui qui a été condamné et mort en prison, car ce dernier était avec le témoin en question au moment des faits. Mais alors? Cela signifie que le meurtrier impuni est toujours présent au sein de la famille? Qui est-ce? 

Le propos est brillant et très ingénieux. Si cette sublime intrigue est digne d'Ils étaient dix (anciennement nommé Les dix petits nègres) ou du Crime de l'Orient express, l'ensemble du roman n'en a pas la profondeur. Tout le génie de ce roman est dans cette situation pour le moins inconfortable : un criminel vit en tout impunité dans la famille mais personne ne sait de qui il s'agit. En ce qui concerne le crime en lui même ainsi que le nom du coupable, il n'y a rien de bien incroyable. J'ai été presque déçue de la résolution de l'intrigue. L'intérêt principal réside dans ce huis clos plein de non dits maîtrisé d'une main de maître et dans la psychologie de ces personnages troubles que Christie sait si bien traiter.

Bien qu’elle ne fût plus tout à fait jeune avec ses trente-six ou trente-huit ans, elle était très séduisante cette Gwenda : un corps moulé à souhait, une chevelure et des yeux d’un noir intense. Mais ce qui retenait particulièrement l’attention, c’était la vitalité du personnage, alliée à la vive intelligence du regard. Le premier, Argyle rompit le silence, non sans une certaine froideur : — Je n’ai pas l’impression de compliquer quoi que ce soit, docteur, et ce n’est nullement mon intention. Il serait peut-être préférable d’en venir au sujet même ? — Parfaitement d’accord. Auparavant, je tiens à vous exprimer mes regrets des paroles qui m’ont échappé. Elles sont dues à l’insistance avec laquelle votre fille et vous-même avez affirmé que l’affaire en question était définitivement close. Ce qui ne correspond nullement à la réalité.


(Photos : Romanza2021)