" C'est une femme corpulente, aux mains rugueuses comme la morue salée, et grande. Le plafond de la cuisine ne se trouve qu'à quelques centimètres de sa tête. Elle se meut avec une dextérité accomplie dans cet espace exigu, balançant ses larges hanches avec dignité. Archie dit qu'elle lui fait parfois penser à une cantatrice, tant elle semble glisser lorsqu'elle déambule."
Près de la plume ... au coin du feu
Bienvenue sur mon blog littéraire. Mes lectures, mes bonheurs, ...
mercredi 20 avril 2022
" Je n’ai pas de plus haute ambition que de savourer au mieux chaque journée qui passe."
" On ne coupe pas aux gens le cœur en quatre, quand on leur a déjà vidé les poches. "
La vie de la petite Pauline est émouvante, déchirante. J'ai été extrêmement touchée par les injustices qu'elle subit. Zola tape juste, chamboule son lecteur, fait feu à chaque coup. J'ai souvent eu la larme à l'œil en lisant les mots de ce roman. Zola les choisit avec soin, mais parfois fait le choix aussi de se taire et de laisser s'installer le silence. Un regard, la description d'un lieu ou d'un paysage et tout est dit.
Zola reste le naturaliste que l'on connaît et nous offre également des scènes terribles et difficilement soutenables. La scène de l'accouchement dans La joie de vivre par exemple vaccinerait toute femme d'avoir un enfant. Je m'en souviendrai longtemps. Comme toujours, cette terrible scène est juste et pertinente. Elle montre les personnages en train de se révéler, relance les dés et, dans un certain sens, rétablit un ordre.
Les personnages sont tous plus marquants les uns que les autres. Mon personnage préféré est sans aucun doute Véronique, la bonne. Par sa rudesse mêlée de bienveillance et de gentillesse, elle semble bien trop blanche pour ce monde sans cœur. Ses réparties sont fabuleuses et les dernières pages la concernant m'ont bouleversée. Mme Chanteau, quant à elle, m'a scandalisée. Cette femme envieuse et vénale malmène Pauline et crée beaucoup des malheurs existants dans cette famille.
Il me reste encore 7 titres des Rougon Macquart et je me délecte d'avance de découvrir ces histoires.
"La mer, qui montait, avait une lamentation lointaine, pareille à un désespoir de foule pleurant la misère. Sur l'immense horizon, noir maintenant, flambait la poussière volante des mondes. Et, dans cette plainte de la terre écrasée sous le nombre sans fin des étoiles, l'enfant crut entendre près d'elle un bruit de sanglots."
jeudi 2 décembre 2021
Nostalgie universitaire
" Si on savait ce qui se passe dans la tête d'une coquette en pareille cas, combien son âme est déliée et pénétrante ; si on voyait la finesse des jugements qu'elle fait sur les goûts qu'elle essaye, et puis qu'elle rebute, et puis qu'elle hésite de choisir, et qu'elle choisit enfin par pure lassitude : car souvent elle n'est pas contente, et son idée va toujours plus loin que son exécution ; si on savait tout ce que je dis là, cela ferait peur, cela humilierait les plus forts esprits, et Aristote ne paraîtrait plus qu'un petit garçon."
(Photo : Romanza2021)
mardi 30 novembre 2021
Au pays des Fjords
Sigrid Undset s'empare du Moyen-Âge scandinave pour dépeindre la vie de Christine Lavransdatter, jeune femme qui ose vivre sans craindre de briser les tabous sociaux et religieux de son temps. Défiant l'autorité du père tant respecté, elle refuse en effet d'épouser l'homme que celui-ci lui destine car elle aime Erlend, le chevalier au passé scandaleux. Rien ne pourra désormais la séparer de cet homme à qui elle se donne sans hésiter. Mais le couple que forment Christine et Erlend va subir l'épreuve de la réalité. La jeune femme, amante passionnée à seize ans, épouse et mère à dix-sept, se retrouve maîtresse du domaine de Husaby. Très vite elle va apprendre à le diriger, à devenir celle sur qui tous et toutes se reposent.
Je possède cet énorme pavé depuis quelques années déjà. J'étais tombée sur un article de Lilly au sujet d'un autre roman de Sigrid Undset, Vigdis la farouche. J'ai ensuite rencontré ce gros roman en librairie, le plus connu de l'autrice, et je l'ai tout de suite ajouté à ma liste de Noël. J'aime les épopées, les sagas, les pavés qui nous embarquent dans d'autres univers. J'ai attendu un moment cependant avant de l'ouvrir. On ne se lance pas dans cette brique comme on se lance dans un gentil roman de 300 pages. J'ai attendu cet été et mon roadrip norvégien d'un mois et demi pour me lancer dans l'aventure. Lire ce roman au milieu des Fjords et de la toundra fut un moment unique.
Cette lecture fut riche, très riche. Texte dense et complexe, il faut du temps pour s'attaquer à Kristin Lavransdatter. Mais les efforts sont récompensés. Oui, je vous le dis, ça en vaut la peine. Pour vous rassurer, ce roman n'est pas compliqué à lire. L'écriture est fluide, facile et l'intrigue tient le lecteur en haleine pendant les 1170 pages. On accompagne Kristin avec émotion dans sa vie difficile. Elle mérite d'être lue cette vie! Quelle leçon de courage! Kristin devra, toute sa vie, lutter contre le joug masculin. En vain. Cette héroïne paiera toute son existence le fait d'avoir épousé un homme un peu enfantin, immature et boudeur. Kristin a autant suscité chez moi le respect que la pitié. Mon âme de femme du XXIème siècle a souvent soupiré et eu envie de hurler " Quitte-le!". Mais nous sommes au Moyen âge, en Scandinavie ... et une femme ne part pas.
Kristin et Erlend vont s'aimer (on pourrait discuter longuement de cette relation. J'y ai vu pour ma part une domination telle que Tess d'Urberville peut la vivre avec Alec chez Hardy. La jeune Kristin est, certes amoureuse, mais tombée dans les mains d'un homme plus âgé qui aurait pu faire preuve de patience et de maîtrise de soi!). Ils vont braver l'interdiction de se marier. Seule Kristin paiera toute sa vie cette décision. La culpabilité, le remord, les affronts, ... Erlend n'en sera pas ou peu accablé. Kristin sera la pêcheresse. Elle expiera sa faute jusqu'à la mort. Ce roman pourrait vous sembler très moralisateur. Je ne cache pas qu'il est très imprégné de religion, l'être humain est un pêcheur qui doit se repentir de ses fautes. Cependant, c'est le roman d'une femme qui lutte, qui se bat, qui s'oppose et qui essaie de s'en sortir envers et contre tous. Sigrid Undset prend partie pour son héroïne qui, dès son plus jeune âge, sera exposée au désir des hommes et qui paiera cher sa beauté et sa force.
Kristin Lavransdatter est très complexe. J'ai choisi de le lire en immersion. De me laisser aller. Cependant, une lecture "crayon en main" aurait été intéressante. Une thèse ne suffirait pas pour aborder tous les thèmes de ce roman. J'aurais aimé le lire à l'université et pouvoir l'étudier.
Une lecture marquante, passionnante, envoûtante. Une lecture qui soulève bien des débats. Il faut lire ce texte et ne pas se laisser intimider par ses 1700 pages. C'est un roman monde, bouleversant et révoltant.
" Cela lui fit l'effet d'un réveil, quand ils sortirent de la forêt et traversèrent les prairies au-dessus des Martestokker. Le soleil était bas, et la ville et la baie s'étendaient à leurs pieds dans une lumière claire et pâle. Dans le calme du soir, les bruits arrivaient de loin comme s'ils sortaient de la fraîcheur des bas-fonds. La roue d'une voiture grinçait quelque part sur un chemin ; des chiens aboyaient en se répondant, dans les fermes, à travers la ville. Mais, dans la forêt, derrière eux, les oiseaux faisaient entendre à pleins gosiers leurs trilles et leurs chants. Le soleil, maintenant, était couché. "
(Photo : Romanza2021)
lundi 5 juillet 2021
" Une fille c'est un garçon blessé."
Gallimard, 2020.
Nous suivons Laurence. Dès sa naissance, elle est brimée par sa situation de « fille ». Son sexe va définir son parcours. J'ai trouvé ce propos très pessimiste. Je crois que j'ai grandi dans une bulle. Je suis la seule fille d'une fratrie de trois , petite dernière après deux garçons, je n'ai jamais eu la sensation d'être un « poids » et un « boulet ». Ai-je eu de la chance ? Suis-je un OVNI ? Je ne nie pas ce qui est écrit dans Fille. Je suis consciente que tout ce qui est écrit est réel et juste. C'est la cumulation qui me questionne. J'ai décidé de prendre cette histoire dans son côté métaphorique et j'y ai finalement cru. Comme un essai de ce qu'est être une fille au XXème et XXIème siècle, ce roman nous questionne sur la féminité, la maternité, la sexualité. J'ai été très émue par les différents malheurs et les nombreuses tragédies de la vie de Laurence. Le texte est très bien écrit. La fin laisse poindre une lueur, une éclaircie dans la vie des femmes. Elles font bouger les choses, osent parler, font leurs propres choix.
Un texte difficile, mais à lire comme une grande allégorie de la vie d'une femme.
" A propos de filles, il y a une chose bizarre. Tu es une fille, c'est entendu. Mais tu es aussi la fille de ton père. Et la fille de ta mère. Ton sexe et ton lien de parenté ne sont pas distincts. Tu n'as et n'auras jamais que ce mot pour dire ton être et on ascendance, ta dépendance et ton identité. La fille est l'éternelle affiliée, la fille ne sort jamais de la famille. Le Dr Galiot, au contraire, a eu un garçon et il a eu un fils. Tu n'as qu'une entrée dans le dictionnaire, lui en a deux. Le phénomène se répète avec le temps : quand tu grandis, tu deviens "une femme" et, le cas échéant, "la femme de".
L'unique mot qui te désigne ne cesse jamais de souligner ton joug, il te rapporte toujours à quelqu'un - tes parents, ton époux, alors qu'un homme existe en lui-même, c'est la langue qui le dit, comme la grammaire t'expliquera plus tard, dans ta petite école de filles jouxtant celle des garçons, que "le masculin l'emporte sur le féminin".
Être fidèle ou infidèle?
"Elle était romanesque, sentimentale, et folle de petits secrets et de mystères – passion bien innocente, car jusque-là ses secrets lui avaient servi à peu près autant que des bulles de savon. Elle ne disait pas non plus toujours la vérité ; mais cela non plus n’avait pas grande importance, car elle n’avait jamais eu rien à cacher. Elle aurait rêvé d’avoir un amoureux et de correspondre avec lui sous un faux nom par le canal d’une poste privée ; je m’empresse de dire que son imagination ne s’aventurait jamais vers des réalités plus précises. "
" L’âme souffre lorsqu’on a conscience de sa lâcheté et cela incite à chercher refuge dans la seule violence des mots. "
Le puits de solitude fit scandale lors de sa parution à Londres en 1928, où il fut interdit et les exemplaires imprimés jetés au feu. Marguerite Radclyffe Hall y dépeint l'amour de deux femmes, contrarié par une société hostile, et prend la défense de cette minorité incomprise et méprisée. Véritable plaidoyer en faveur de l'homosexualité, Le puits de solitude est aujourd'hui une référence littéraire reconnue par tous.
J'ai mis plusieurs semaines à lire ce gros pavé. Offert par Unlivreunthé il y a plusieurs années, j'ai enfin pris le temps de me plonger dans ce beau roman.
Ce qui frappe dans Le puits de solitude c'est sa douceur et sa lenteur. Ce texte est d'une simplicité presque naïve et enfantine. Alors que le propos traité est dur, l'homosexualité dans une époque où elle était interdite, le roman narre le parcours de Stephen de façon douce. Bien sûr, son parcours est difficile, injuste et émouvant, mais l'auteure cherche à montrer que Stephen est un être humain comme tout le monde. Elle ne cherche pas le rocambolesque, elle veut juste prouver l'absurdité de la société qui empêche deux êtres humains de s'aimer librement.
Le puits de solitude nous offre de magnifiques tableaux, telles des œuvres impressionnistes, nous observons la lumière éphémère de l'aube, un bouquet qui embaume, une caresse sur la main. Bien que lent, ce roman n'ennuie pas, il enveloppe. C'est tout doucement, sans s'en rendre compte, que l'on est happé par ce texte.
Un très beau texte dont les dernières pages m'ont serré le cœur.
"On la jugeait singulière, ce qui, dans ce milieu, équivalait à une réprobation. Troublée, malheureuse, comme un tout petit enfant, cette large créature musclée se sentait seule, elle n'avait pas encore appris cette dure leçon : elle n'avait pas encore appris que la place la plus solitaire en ce monde est réservée aux sans-patrie du sexe."
vendredi 18 juin 2021
Y a un blème!
En juin 2021, un événement insensé bouleverse les vies de centaines d’hommes et de femmes, tous passagers d’un vol Paris-New York. Parmi eux : Blake, père de famille respectable et néanmoins tueur à gages ; Slimboy, pop star nigériane, las de vivre dans le mensonge ; Joanna, redoutable avocate rattrapée par ses failles ; ou encore Victor Miesel, écrivain confidentiel soudain devenu culte.
Tous croyaient avoir une vie secrète. Nul n’imaginait à quel point c’était vrai.
Roman virtuose où la logique rencontre le magique, L’anomalie explore cette part de nous-mêmes qui nous échappe.
"Depuis la mort de mon père, il y a plus de trente ans, je gardais toujours dans ma poche une briquette. Ce n’était ni un fétiche, ni un porte-bonheur. Juste quelques grammes de souvenir, presque une habitude. On m’a rendu celle que conservait le Victor qui s’est suicidé, et elles sont désormais deux. J’ai oublié laquelle est laquelle, et je les ai unies. Je ne saurais dire ce qu’elles symbolisent, mais j’ai l’impression d’avoir plus de choix, d’être plus libre que jamais. Malgré tout, je n’aime pas trop ce mot de « destin ». Ce n’est qu’une cible qu’on dessine après coup à l’endroit où s’est fichée la flèche."
mercredi 12 mai 2021
" Personne ne s’intéresse et ne croit à rien, en dehors de sa propre petite médiocrité confortable ."
La fenêtre panoramique
Richard Yates
Pavillons poche, Robert Laffont, 2017.
April et Frank Wheeler forment un jeune ménage américain comme il y en a tant : ils s'efforcent de voir la vie à travers la fenêtre panoramique du pavillon qu'ils ont fait construire dans la banlieue new-yorkaise. Frank prend chaque jour le train pour aller travailler à New York dans le service de publicité d'une grande entreprise de machines électroniques mais, comme April, il se persuade qu'il est différent de tous ces petits-bourgeois au milieu desquels ils sont obligés de vivre, certains qu'un jour, leur vie changera... Pourtant les années passent sans leur apporter les satisfactions d'orgueil qu'ils espéraient. S'aiment-ils vraiment ? Jouent-ils à s'aimer ? Se haïssent-ils sans se l'avouer ?... Quand leur échec social devient évident, le drame éclate.
La lecture de ce roman n'a pas été de tout repos. Ce texte est dur. Peut-être que certains le trouveront très lisse par rapport à moi mais en ce qui me concerne, je l'ai trouvé difficile. Cependant, il s'agit d'un excellent roman, extrêmement percutant, un classique Étatsunien à lire absolument. J'ai adoré.
Il faut savoir que, cela arrive rarement, j'ai vu le film adapté de l'œuvre il y a plusieurs années. J'avais beaucoup aimé. Je m'en souvenais au final assez peu. Le livre est, en ce qui me concerne, bien plus lourd et sinistre. Richard Yates prend son temps et le texte gagne en intensité et en profondeur. Assister à la chute de ce couple m'a bouleversée. Bien que je sois (très) satisfaite de ma vie et de mes choix, il faut reconnaître que parfois les aléas de la vie viennent nous chambouler. On peut vite se retrouver enfermer dans un cadre et une vie qui ne sont pas ceux que nous souhaitions. Le boulot, la résidence pavillonnaire, les enfants que l'on n'a pas le temps de voir grandir, le stress, le manque de temps, ... Je suis personnellement heureuse de mes choix qui m'ont fait quitter la vie métro-boulot-dodo. J'ai été encore plus fière en lisant Fenêtre panoramique et en me disant que mes choix m'avaient éloignée (peut-être) d'une vie trop lisse qui m'aurait pesée. Pourtant, j'ai compris. J'ai compris comme tout pouvait aller vite. A quel point, on peut passer à côté ... A côté du grain de folie, du coup de tête, du rêve d'enfant. Et pourtant, je ne peux aussi m'empêcher de penser : est-ce si grave de ne pas réaliser nos folies d'enfance? Je ne peux pas ne pas penser au sublime film Là-haut de Pixar qui montre bien que la plus belle des aventures n'est pas de réaliser des aventures incroyables, mais de partager sa vie avec des êtres que l'on aime. Un thème à débattre.
April et Frank étaient de jeunes gens passionnés, fougueux et amoureux. Plein de rêves et de projets, ils se retrouvent cernés dans une vie ennuyeuse. Ce qui m'a le plus attristée, c'est qu'April et Frank sont persuadés d'être différents des autres, différents des voisins et leur vie étroite, persuadés qu'ils sont plus intéressants et originaux. Quand ils ouvrent les yeux et constatent que leur vie est sensiblement la même que leurs voisins, tout s'effondre. Et c'est en cela que j'ai été chamboulée et questionnée. Faut-il se gâcher le présent parce qu'il est différent de ce que l'on a prévu? Faut-il réaliser nos rêves à tout prix? Sommes-nous si exceptionnels en comparaison des voisins que parfois nous jugeons injustement? Faut-il être satisfait de ce que l'on a ou chercher à atteindre de nouveaux objectifs? Est-ce qu'April et Frank n'auraient pas été plus heureux en acceptant le tournant de leur vie et en essayant de rendre ce quotidien plus magique ? Ou devaient-ils quoi qu'il en coûte tout quitter et vivre leur rêve de voyage et d'aventures? Où est le bonheur? Ne serait-il pas tout simplement en nous? Et dans notre faculté à être satisfait tout en réalisant ce qui nous tient vraiment à coeur? April ne saura pas trouver le bonheur au fond d'elle. Elle choisira le malheur et le drame. Ses décisions, ses crises de nerfs, ses violences verbales m'ont mise mal à l'aise. April est en souffrance et Richard Yates le décrit merveilleusement bien. La fenêtre panoramique, c'est tout le vernis américain qui craquelle. Ce roman interroge sur le rôle que nous jouons dans notre propre vie, sur notre capacité à être heureux, sur nos choix. La vie de Frank et April est terrible de réalisme. Elle est le reflet de tous ces drames sourds, ces souffrances intérieures qui ne se voient pas mais détruisent de l'intérieur beaucoup de gens autour de nous ... parfois proches. Un roman maîtrisé d'un bout à l'autre, dérangeant et bouleversant.
[...] à un moment donné, quand Frank évoqua "le vide sans espoir de toutes choses dans ce pays", il s'arrêta pile sur l'herbe et parut foudroyé.
- Voilà, maintenant vous l'avez dit, déclara-t-il. Le vide sans espoir. Bien des gens déplorent ce vide. Là où je travaillais, sur la Côte, c'était notre grand sujet de conversation à tous. Nous passions des nuits entières à discuter sur le vide, sur le néant, sur la vanité de toute chose. Pourtant, personne ne le qualifiait de "sans espoir". C'était là que nous nous dégonflions. Peut-être parce qu'il faut déjà avoir une certaine dose de courage pour voir le vide, et qu'il en faut sacrément plus pour voir le sans espoir. Je pense que, lorsque l'on voit le sans espoir, il ne reste plus qu'à ficher le camp. Quand on peut.
(Photo : Romanza2021)
samedi 17 avril 2021
" Ce n'est pas le coupable qui importe . Ce sont les innocents "
Témoin indésirable
Dans la maison où a été assassinée Mme Argyle, n'étaient présents à l'heure du crime que le mari, la gouvernante, une infirmière et les cinq enfants adoptés par le couple. Déclaré coupable, un des garçons est mort en prison quand, deux ans après le procès, un témoin à décharge se présente pour confirmer son alibi. Cependant, la famille fera grise mine à cet homme scrupuleux venu réhabiliter le jeune homme. C'est qu'il n'y a pas qu'une vérité : celle que fera éclater le docteur Calgary est bien sombre et, plus cruellement que tout autre, blessera bien du monde.
Voici un Agatha Christie au scénario très alléchant.
Alors qu'un crime au sein d'une famille a été résolu il y a plusieurs mois, un témoin incongru vient réfuter cette sentence. Le criminel ne peut pas être celui qui a été condamné et mort en prison, car ce dernier était avec le témoin en question au moment des faits. Mais alors? Cela signifie que le meurtrier impuni est toujours présent au sein de la famille? Qui est-ce?
Le propos est brillant et très ingénieux. Si cette sublime intrigue est digne d'Ils étaient dix (anciennement nommé Les dix petits nègres) ou du Crime de l'Orient express, l'ensemble du roman n'en a pas la profondeur. Tout le génie de ce roman est dans cette situation pour le moins inconfortable : un criminel vit en tout impunité dans la famille mais personne ne sait de qui il s'agit. En ce qui concerne le crime en lui même ainsi que le nom du coupable, il n'y a rien de bien incroyable. J'ai été presque déçue de la résolution de l'intrigue. L'intérêt principal réside dans ce huis clos plein de non dits maîtrisé d'une main de maître et dans la psychologie de ces personnages troubles que Christie sait si bien traiter.
Bien qu’elle ne fût plus tout à fait jeune avec ses trente-six ou trente-huit ans, elle était très séduisante cette Gwenda : un corps moulé à souhait, une chevelure et des yeux d’un noir intense. Mais ce qui retenait particulièrement l’attention, c’était la vitalité du personnage, alliée à la vive intelligence du regard. Le premier, Argyle rompit le silence, non sans une certaine froideur : — Je n’ai pas l’impression de compliquer quoi que ce soit, docteur, et ce n’est nullement mon intention. Il serait peut-être préférable d’en venir au sujet même ? — Parfaitement d’accord. Auparavant, je tiens à vous exprimer mes regrets des paroles qui m’ont échappé. Elles sont dues à l’insistance avec laquelle votre fille et vous-même avez affirmé que l’affaire en question était définitivement close. Ce qui ne correspond nullement à la réalité.
(Photos : Romanza2021)