La fenêtre panoramique
Richard Yates
Pavillons poche, Robert Laffont, 2017.
April et Frank Wheeler forment un jeune ménage américain comme il y en a tant : ils s'efforcent de voir la vie à travers la fenêtre panoramique du pavillon qu'ils ont fait construire dans la banlieue new-yorkaise. Frank prend chaque jour le train pour aller travailler à New York dans le service de publicité d'une grande entreprise de machines électroniques mais, comme April, il se persuade qu'il est différent de tous ces petits-bourgeois au milieu desquels ils sont obligés de vivre, certains qu'un jour, leur vie changera... Pourtant les années passent sans leur apporter les satisfactions d'orgueil qu'ils espéraient. S'aiment-ils vraiment ? Jouent-ils à s'aimer ? Se haïssent-ils sans se l'avouer ?... Quand leur échec social devient évident, le drame éclate.
La lecture de ce roman n'a pas été de tout repos. Ce texte est dur. Peut-être que certains le trouveront très lisse par rapport à moi mais en ce qui me concerne, je l'ai trouvé difficile. Cependant, il s'agit d'un excellent roman, extrêmement percutant, un classique Étatsunien à lire absolument. J'ai adoré.
Il faut savoir que, cela arrive rarement, j'ai vu le film adapté de l'œuvre il y a plusieurs années. J'avais beaucoup aimé. Je m'en souvenais au final assez peu. Le livre est, en ce qui me concerne, bien plus lourd et sinistre. Richard Yates prend son temps et le texte gagne en intensité et en profondeur. Assister à la chute de ce couple m'a bouleversée. Bien que je sois (très) satisfaite de ma vie et de mes choix, il faut reconnaître que parfois les aléas de la vie viennent nous chambouler. On peut vite se retrouver enfermer dans un cadre et une vie qui ne sont pas ceux que nous souhaitions. Le boulot, la résidence pavillonnaire, les enfants que l'on n'a pas le temps de voir grandir, le stress, le manque de temps, ... Je suis personnellement heureuse de mes choix qui m'ont fait quitter la vie métro-boulot-dodo. J'ai été encore plus fière en lisant Fenêtre panoramique et en me disant que mes choix m'avaient éloignée (peut-être) d'une vie trop lisse qui m'aurait pesée. Pourtant, j'ai compris. J'ai compris comme tout pouvait aller vite. A quel point, on peut passer à côté ... A côté du grain de folie, du coup de tête, du rêve d'enfant. Et pourtant, je ne peux aussi m'empêcher de penser : est-ce si grave de ne pas réaliser nos folies d'enfance? Je ne peux pas ne pas penser au sublime film Là-haut de Pixar qui montre bien que la plus belle des aventures n'est pas de réaliser des aventures incroyables, mais de partager sa vie avec des êtres que l'on aime. Un thème à débattre.
April et Frank étaient de jeunes gens passionnés, fougueux et amoureux. Plein de rêves et de projets, ils se retrouvent cernés dans une vie ennuyeuse. Ce qui m'a le plus attristée, c'est qu'April et Frank sont persuadés d'être différents des autres, différents des voisins et leur vie étroite, persuadés qu'ils sont plus intéressants et originaux. Quand ils ouvrent les yeux et constatent que leur vie est sensiblement la même que leurs voisins, tout s'effondre. Et c'est en cela que j'ai été chamboulée et questionnée. Faut-il se gâcher le présent parce qu'il est différent de ce que l'on a prévu? Faut-il réaliser nos rêves à tout prix? Sommes-nous si exceptionnels en comparaison des voisins que parfois nous jugeons injustement? Faut-il être satisfait de ce que l'on a ou chercher à atteindre de nouveaux objectifs? Est-ce qu'April et Frank n'auraient pas été plus heureux en acceptant le tournant de leur vie et en essayant de rendre ce quotidien plus magique ? Ou devaient-ils quoi qu'il en coûte tout quitter et vivre leur rêve de voyage et d'aventures? Où est le bonheur? Ne serait-il pas tout simplement en nous? Et dans notre faculté à être satisfait tout en réalisant ce qui nous tient vraiment à coeur? April ne saura pas trouver le bonheur au fond d'elle. Elle choisira le malheur et le drame. Ses décisions, ses crises de nerfs, ses violences verbales m'ont mise mal à l'aise. April est en souffrance et Richard Yates le décrit merveilleusement bien. La fenêtre panoramique, c'est tout le vernis américain qui craquelle. Ce roman interroge sur le rôle que nous jouons dans notre propre vie, sur notre capacité à être heureux, sur nos choix. La vie de Frank et April est terrible de réalisme. Elle est le reflet de tous ces drames sourds, ces souffrances intérieures qui ne se voient pas mais détruisent de l'intérieur beaucoup de gens autour de nous ... parfois proches. Un roman maîtrisé d'un bout à l'autre, dérangeant et bouleversant.
[...] à un moment donné, quand Frank évoqua "le vide sans espoir de toutes choses dans ce pays", il s'arrêta pile sur l'herbe et parut foudroyé.
- Voilà, maintenant vous l'avez dit, déclara-t-il. Le vide sans espoir. Bien des gens déplorent ce vide. Là où je travaillais, sur la Côte, c'était notre grand sujet de conversation à tous. Nous passions des nuits entières à discuter sur le vide, sur le néant, sur la vanité de toute chose. Pourtant, personne ne le qualifiait de "sans espoir". C'était là que nous nous dégonflions. Peut-être parce qu'il faut déjà avoir une certaine dose de courage pour voir le vide, et qu'il en faut sacrément plus pour voir le sans espoir. Je pense que, lorsque l'on voit le sans espoir, il ne reste plus qu'à ficher le camp. Quand on peut.
(Photo : Romanza2021)
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