Au temps du roi Edouard
Vita Sackville-West
Le mois anglais
Livre de poche, 2012.
« Margaret prétend qu'elle veut épouser un peintre, dit Sylvia, en regardant sa fille avec compassion. — Quoi ! s'écria la duchesse, un peintre ? Quel peintre ? A-t-on jamais entendu chose pareille ? La fille de lady Roehampton épouser un peintre ? Mais non, mais non... Vous épouserez Tony Wexford, et nous verrons après ce qu'on pourra faire pour le peintre », ajouta-t-elle, en lançant à Sylvia un coup d'œil rapide.
Dans cette chronique grinçante de l'aristocratie anglaise du début du XXe siècle, Vita Sackville-West fait craquer sous les passions le vernis des bonnes manières.
Rencontrée il y a quelques temps avec l'intéressant et troublant Paola, je poursuis ma découverte de la plume de Vita Sackville-West. Au temps du roi Edouard est un roman à la fois délicieux et cruel que j'ai adoré parcourir. On ne peut pas faire plus "british". On s'y coule avec bonheur, on savoure l'humour grinçant, on erre dans les salons mondains et on se délecte de l'écriture fine et précise.
Au temps du roi Edouard est un subtil mélange entre petit roman douillet à l'intrigue savoureuse et roman intelligent, satirique, invitant à la réflexion. J'ai aimé m'y plonger ... comme lorsque je m'installe pour visionner Downton abbey (la comparaison est inévitable. On s'y croirait). J'ai aimé la vie de la haute aristocratie, suivre leurs habitudes, leurs idées, j'ai admiré leurs toilettes et leurs demeures. Mais j'ai également parcouru ce texte avec l’œil critique de Vita Sackville-West. Ce monde d'hypocrites n'est fait que de faux semblants et dirigé par des codes stupides, "Elle ne portait pas de diadème. Le fait que Lady Roehampton ne portait pas de diadème aux bals de la cour faisait dire aux autres femmes, avec un sourire moitié désapprobateur, moitié envieux, que lady Roehampton méprisait les usages. Une telle audace allait jusqu'à l'insolence." (p111). Je me suis rebellée, comme Lady Viola, j'ai dit non. Vita Sackville-West montre bien avec ce roman le déchirement que l'on ressent, on est pris entre fascination et rébellion. On admire ce monde tout en le méprisant. Tout comme la touchante et naïve Thérèse qui prend conscience de l'absurdité du monde qui pourtant la faisait rêver : "Pourtant, elle était forcée d'admettre qu'elles parlaient toutes pour ne rien dire." (p194). On dévore des yeux les belles dames de la noblesse, mais on n'envie pas leur snobisme et leur haute idée d'elles-mêmes. Nous avons beau être fascinés par les belles toilettes et les belles manières, qui serait capable de supporter ce monde guindé et étriqué? " Lucie aimait les fanfreluches et était incapable d'apprécier la simplicité de sa fille. Elle avait de beaux yeux, c'est vrai, et des sourcils bien arqués ; mais pourquoi était-elle pâle comme une sainte et coiffée comme une madone? " (p61).
Au temps du roi Edouard est assez court et le désir de Vita Sackville-West n'est pas de nous faire aimer les personnages ou de s'y attacher. Là, n'est pas le sujet. On traverse leur vie, on les croise, partage leur existence, tout en ayant conscience que tout ça est assez superflu. J'ai préféré m'intéresser aux descriptions, à leurs habitudes, à leurs mœurs. J'ai aimé écouter leur cœur, mais d'une façon assez distante, je dois l'avouer. Toujours est-il que Sackville-West nous offre une galerie de personnages irrésistible. Toutes ces ladies sont hilarantes, pitoyables, grotesques. Tout ce petit monde enfermé sur lui-même est fascinant à observer. Viola et Sébastien sont des personnages très vivants. Ils sont l'avenir, le début d'un nouveau monde. Viola est sûre de ses choix, tandis que Sébastien lutte entre l'amour de son domaine, de son héritage et ses envies profondes, " S'ils étaient en bonne santé, ils devaient se révolter. " (p73).
On savoure Au temps du roi Edouard plus qu'on ne le lit. C'est une ambiance, un petit monde à part. On se tient un peu éloigné, on observe. Une jolie approche de l'époque edwardienne, de ses us et coutumes, mais également un roman à l'intrigue passionnante et aux personnages fascinants.
"Mon cher enfant, votre vie a été tracée le jour de votre naissance. Vous êtes allé dans une école préparatoire, puis à Eton, puis à Oxford; maintenant, vous entrerez dans les Gardes. Vous aurez beaucoup d'histoires d'amour, la plupart avec des femmes du monde mariées; vous fréquenterez les maisons dont on parle; vous aurez un rôle à la cour; vous porterez un uniforme blanc et rouge, qui vous ira très bien; vous serez courtisé et persécuté par toutes les mères de Londres"
(Au temps du roi Edouard, V Sackville-West, Livre de poche, 2012, p77)
(Source image : Paxton, String of Pearls 1908)
3 commentaires:
Un petit roman qui m'a l'air fort intéressant ! Je note !
Depuis toute passion abolie, je me dis que je vais en lire d'autres. Je note celui-là, les galeries de portraits m'intéressent toujours, surtout de période que je connais moins...
Je note le nom de l'auteur...J'aime ce que tu dis sur l'observation d'un monde un peu à part, j'aime les atmosphère (et puis bon la caution DA n'y est pas pour rien non plus)
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