Jude l'Obscur
Thomas Hardy
Le mois anglais
Le livre de poche, 1957.
Tout en exerçant son métier de maçon, Jude Fawley rêve d'une vie meilleure et s'acharne à acquérir le savoir et la culture.
La passion qui naît en lui pour sa cousine Sue, mariée à un maître d'école, va lui faire entrevoir d'autres horizons de bonheur et les conduire tous deux à la perdition. (Babelio.com)Il va être dur à écrire cet article tant ce roman est profond et soulève énormément de questions et de débats. Chaque thème et chaque personnage mériteraient des pages et des pages d'analyses. Et vu que je n'en ai ni les compétences, ni la prétention, cela s'annonce mal. Donc, d'avance ... pardon!
J'ai découvert la plume de Thomas Hardy il y a déjà de nombreuses années avec Tess d'Urberville. C'est une lecture qui m'a énormément marquée et j'y repense régulièrement. Les paysages de la campagne anglaise, certaines scènes cultes et émouvantes, ... La vie de Tess n'est qu'une suite de malchances, de bonheurs manqués. Le ton et l'écriture de Hardy ne sont franchement pas gais ... autant le dire tout de suite. J'avais déjà remarqué cela avec Tess d'Urberville, Jude l'obscur me l'a confirmé. Jamais il ne permet à ses héros d'atteindre le bonheur. Parfois (et pendant une très courte période), on pense qu'ils vont pouvoir souffler. Et bien, non, le sort s'acharne. Pourtant, à aucun moment, je n'ai ressenti d'excès, de voyeurisme ou même de sadisme. Thomas Hardy a une très belle écriture, poétique et sensible. C'est un homme pessimiste et très dur dans sa vision de la vie, mais il aime ses personnages et désire sincèrement qu'ils s'en sortent. Malheureusement, le monde est, de son point de vue, trop cruel et impitoyable. Ce n'est pas que Thomas Hardy ne veut pas que Sue, Jude, Tess ou Angel connaissent le bonheur, c'est que pour lui, c'est tout simplement impossible. Si on a la mauvaise idée de sortir des rails, de ne pas tenir compte des conventions (pourtant mal faites) et de préférer écouter son cœur, nous sommes condamnés. Mais là où le pessimisme atteint son apogée, c'est que si à l'inverse, on préfère vivre selon les lois établies, c'est notre âme, nos sentiments les plus profonds que l'on foule aux pieds. Quoi que l'on décide, la paix et le bonheur n'existeront pas. Voilà ... prends ça dans la tête et passe une bonne journée. J'ai retrouvé un peu de la noirceur d'Edith Wharton dans la plume et les propos de Thomas Hardy. Il y a le même sentiment de fatalité quoi que l'on fasse, le même désir de bonheur jamais atteint et toujours cette société puritaine, pleine de faux semblants et d'apparences.
Thomas Hardy a choqué en son temps et je comprends pourquoi. Il démolit absolument toutes les règles établies par la société. On ne peut pas dire que Jude l'obscur donne envie de se ranger et de se marier. La vision de Hardy sur le mariage est glaçante. Balzac l'appelait la "prostitution légale", Thomas Hardy en met lui aussi une couche : "J'ai regardé dans mon livre de prières ce qui concernait la cérémonie du mariage et il me paraît très humiliant de devoir être remise à un mari par quelqu'un. d'après le texte même du service, mon mari me choisit volontairement, de son plein gré, et je ne le choisit pas! Quelqu'un me remet à lui, comme une chèvre, une ânesse ou tout autre animal domestique! Bénie soit votre idée élevée de la femme, ô homme d'Eglise!" (p207) ; "Pourtant, Sue, ce n'est pas pire pour la femme que pour l'homme. C'est ce que certaines femmes ne veulent pas voir et, au lieu de protester contre les conditions du mariage, elles protestent contre l'homme, l'autre victime, comme si une femme dans la foule invectivait l'homme qui la pousse, alors qu'il ne fait que transmettre malgré lui la pression exercé par d'autres" (p348).
J'avais tellement entendu dire que Jude l'obscur était très contraignant à lire, que les scènes difficiles se succédaient sans cesse, que j'ai été étonnée par la lenteur et la douce mélancolie de la première partie. Bien sûr, la critique sociale et religieuse est présente du début jusqu'à la fin, mais la première partie est assez calme dans la tristesse. Il y a de l'amertume, du malheur, de la désillusion, mais pas de grandes tragédies. L'intrigue s’accélère au milieu du roman avec une décision importante dans la vie de Sue et Jude, pour finir avec 100 pages bouleversantes, dramatiques, innommables.
Jude est un personnage très attachant car profondément humain. Il a des faiblesses comme toute personne. Il aimerait atteindre un idéal intellectuel, une force morale sans failles, malheureusement (ou heureusement!), Jude est un homme. Il désire et il aime. Jude est passionné et instinctif. Il écoute ses émotions. Sue, quant à elle, est beaucoup plus difficile à comprendre. Je dirai même qu'elle est impossible à cerner. J'ai souvent été en colère contre elle, malgré tout l'amour que je lui portais. Elle est en lutte permanente entre les envies de son cœur et les exigences de la société. Elle aimerait être capable d'envoyer au diable les préjugés, mais il y a toujours quelque chose qui vient la chambouler, la condamner, parfois même de la manière la plus cruelle qui soit. J'aurai tellement aimé que Sue et Jude vivent sereinement. Ils sont tellement faits l'un pour l'autre, " Ils semblent n'être qu'une personne coupée en deux" (p 278). Lorsqu'ils ont quelques années de bonheur (d'ailleurs qui passent en quelques lignes seulement ... comme un rêve), on sait que ce n'est qu'une question de temps avant que tout s'effondre. Je dois avouer que je ne m'attendais pas à une telle épreuve, à un tel cauchemar. Thomas Hardy est dur avec son lecteur. J'ai dans le cœur un tel sentiment d'injustice, une telle envie d'hurler dans le fond de la gorge que ça en devient étouffant. J'ai tellement d'empathie pour Jude et Sue, ce couple qui ne demandait qu'à vivre tranquillement et simplement. Mais il a fallu que les autres s'en mêlent ... "Je ne puis supporter que ces gens - que tout le monde - trouvent les autres coupables, parce qu'ils ont choisi de vivre à leur manière! Ce sont vraiment ces jugements qui troublent les personnes les mieux intentionnées, jusqu'à les rendre immorales" (p 367) ; "Parce qu'un nuage s'est amassé sur nos têtes, bien que nous n'ayons fait de tort à personne, corrompu personne, trompé personne, bien que nous ayons fait ce qui nous semblait juste et honnête" (p 374).
Il y a beaucoup de choses à dire mais c'est très difficile de trouver les mots, d'être juste. Avec un roman comme celui-là, on a toujours peur de ne pas être à la hauteur. Je devrais prendre le temps de parler d'Arabella, cette femme égoïste et fausse qui réussit pourtant à vivre la tête haute, et de Phillotson, un homme droit et juste que pourtant on n'arrive pas à aimer, ... mais je crains de ne pas avoir assez de clefs pour me lancer dans un travail comme celui-là. J'ai peur de me perdre.
C'est un grand et fort moment littéraire que je viens de vivre. Jude l'obscur est un sublime roman de l'âme humaine. Jude et Sue sont deux ombres qui me hanteront longtemps ... tout comme le fait Tess depuis des années. La plume de Thomas Hardy est extrêmement forte. Elle possède autant de délicatesse, de poésie que de cruauté et de pessimisme. Les deux romans que j'ai lu de cet auteur sont deux coups de cœur. C'est puissant, c'est grand, c'est inoubliable.
" C'était le ton de leurs conversation quotidienne à présent. Le loueur de chambre avait entendu dire qu'ils étaient un ménage bizarre. Ayant vu Arabella embrasser Jude un soir où elle avait pris un cordial, il s'était demandé s'ils étaient vraiment mariés, et se préparait à leur donner congé. Mais un jour, par hasard, il entendit harangué Jude en termes violents, puis lui jeter un soulier à la tête. Ayant reconnu la note habituelle des gens mariés, il en avait conclu qu'ils devaient être respectables et n'avait plus rien dit. "
(Jude l'obscur, Thomas Hardy, Livre de poche, 1957, p 467/468)
(Source image : Jude, 1996. IMDb.com)
15 commentaires:
Un auteur que j'ai si peu lu.
Je n'ai encore jamais lu un seul de ses romans, et je ne suis pas tentée de les lire tout de suite.
J'ai ressenti aussi tant d'émotions en lisant Tess, je m'en souviendrai très longtemps ! Tu parles admiralement bien de celui-ci et je pense bien le lire un jour, mais pas tout de suite car il faut du courage pour voir le monde avec les yeux de Thomas Hardy...
Merci pour ce bel article ! Oui c'est jamais très joyeux du Thomas Hardy mais en même temps c'est si beau ! Tu m'as donné envie de me replonger dans les livres de l'auteur !
Il faudrait que je le relise. C'est l'un de mes grands souvenirs de fac.
Quel beau billet ! On ressent totalement ton enthousiasme alors je note... :-)
Je n'ai jamais rien lu de Thomas Hardy. Sans doute car j'ai peur de la dureté de son univers.
Ton billet est très beau et me donne vraiment envie de réparer un jour cette erreur.
Bonne poursuite du mois anglais!
Denis : Je n'ai lu que deux romans ... du coup, je l'ai assez peu lu aussi ;)
Sharon : Pourtant, je te les conseille! Ceci dit, attends le bon moment, tu as raison.
Eliza : Tout à fait d'accord! Mais un jour, lis-le! C'est un ordre.
Cryssilda : Tant mieux ;)
Anonyme : Un roman inoubliable.
Fondant : Merci ... J'espère que tu le liras vite.
Claire : Je suis ravie.
J'avais prévu de le lire pour le mois anglais, avant de revoir le film, mais je n'aurai pas le temps. Tu parles très bien du personnage de Jude et de la vision de Hardy sur sa société.
Ca c'est du billet madame!!! A la hauteur du talent d'Hardy!!!
Tu rends très bien compte de ce roman qui est un coup de cœur pour moi. J'ai été totalement bouleversée par le destin de Jude et Sue et comme toi, je pense à eux régulièrement. La fin du roman est vraiment terrible, j'en ai des frissons rien que d'y repenser !
Somaja : Merci beaucoup!!!
Lamousmé : Je rougis ... Arrête!
Titine : Oui, je pense qu'ils me poursuivront longtemps. C'est si injuste :( ...
il faut que je lise. a part Tess d'Uberville que je n'ai pas aimé, je n'ai rien lu de cet auteur.
C'est terrible de me tenter comme cela, et en même temps, comme je connais la fin, je suis terrifiée à l'idée de le lire... Même Tess me paraît plus abordable. De toute façon, il faudra bien un jour que j'arrête mes chichis et que je découvre aussi ce chef d'oeuvre.
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