mercredi 22 octobre 2014

" ... je serais toujours prisonnière de cette cloche de verre, je mijoterais toujours dans le même air vicié. "

La cloche de détresse
Sylvia Plath

 L'imaginaire Gallimard, 2011.


Esther Greenwood, dix-neuf ans, est à New York avec d'autres lauréates d'un concours de poésie organisé par un magazine de mode. De réceptions en soirées passées pour tuer le temps, ce sont quelques jours d'une existence agitée et futile que vit la narratrice. En même temps, elle se souvient de son enfance, de son adolescence d'étudiante américaine, des amours qu'elle a connues. Tout bascule lorsque Esther quitte New York. Tentatives de suicide, traitements de choc, guérison, rechutes, et, pour finir, l'espoir. Esther est à la fois «patiente» dans l'univers hospitalier et observatrice au regard aigu de ce monde, qui a pour toile de fond l'Amérique des années 50.

J'ai eu un peu de mal à rentrer dans le roman de Sylvia Plath. Mon état d'esprit peut-être. Mais il faut dire aussi que La cloche de détresse commence étrangement. Esther, l'héroïne, semble spectatrice de sa propre vie. Que le lecteur soit mis à distance est une chose assez fréquente. Mais que l'héroïne, la narratrice elle-même, soit complètement détachée de ce qui lui arrive, c'est assez nouveau pour moi. C'est après, en poursuivant le roman, que j'ai compris pourquoi Sylvia Plath avait décrit Esther ainsi. Tout a un sens, tout est étudié. J'ai compris ma bêtise. Je n'ai pas saisi sur le coup toute la subtilité de l'écriture de Plath. Dès les premiers mots, il est clair qu'Esther glisse doucement vers la dépression. Cette bête est encore cachée, tapie dans l'ombre, mais elle est là, elle attend. La cloche de détresse est un vrai plongeon dans le côté sombre de l'être humain. Ce roman fait froid dans le dos car la dépression semble si facile à ressentir, si évidente, si humaine qu'on prend réellement conscience que cela peut arriver à tout le monde. Cette "cloche de verre" sublimement décrite par Plath est quelque part en nous
Le roman de Plath est un témoignage poignant de l'univers psychiatrique et de l'esprit perdue et isolée d'une personne suicidaire. J'ai été terrifiée par les séances d'électrochocs, les couloirs des hôpitaux, les blouses blanches, le regard des autres. La cloche de détresse ne peut que avoir été écrit par une personne ayant connue ce milieu, ayant traversé cette période sombre de la dépression. J'ai été terriblement émue dans les dernières pages. Lorsqu'on lit ce roman, on ne peut que penser à l'auteur. L'espoir est présent dans cette oeuvre puissante ... pourtant, je n'ai pu que songer avec tristesse à Sylvia Plath qui a mis fin à ses jours tout juste 1 mois après la publication de ce roman. L'espoir ne fut pas assez fort, pas assez durable ... Ce cercle vicieux, cette impossibilité de vivre, ce sentiment d'enfermement à l'intérieur de soi-même ... J'ai refermé ce roman avec un gros poids dans le cœur

" - T'inquiète pas, me disait-elle en souriant, la première fois tout le monde crève de frousse!

J'ai essayé de sourire, mais ma peau était devenue sèche, comme du parchemin.
Le docteur Gordon fixait deux plaques de métal de chaque côté de ma tête. Il les a maintenues en place avec des attaches qui me sciaient le front, puis il m'a donné un fil métallique à mordre.
J'ai fermé les yeux.
Il s'est produit un bref silence, comme un souffle intérieur.
Puis quelque chose s'est abaissé pour m'emporter et m'a secouée comme si c'était la fin du monde. Wheeeee-ee-ee-ee-ee, cela me vrillait à l'intérieur comme dans un espace parcouru d'éclairs bleus, et à chaque éclair de grandes secousses me rossaient jusqu'à ce que je sente mes os se briser et la sève me fuir comme celle d'une plante sectionnée.
Je me suis demandé quelle chose terrible j'avais bien pu commettre. "

(La cloche de détresse, S. Plath, Imaginaire Gallimard, 2011)

(Source image : La belle et la bête, Disney. puzzlepuzzles.net)

5 commentaires:

Karine:) a dit…

C'est étrange ce roman. Je veux le lire mais il me fait peur en même temps.

romanza a dit…

Karine : Je pense que si on a connu la dépression, ce livre doit être terrible tant il décrit dans les moindres détails ce gouffre sombre. Mais en ce qui me concerne, ne l'ayant pas connu (pour l'instant :-) ) j'ai réussi à lire le roman sans plonger dans l'obscurité comme Esther.

Valérie a dit…

As-tu lu Les femmes du braconnier de Claude Pujade-Renaud sur la relation tumultueuse et destructrice entre Sylvia Plath et un poète anglais connu?
J'ai beaucoup aimé ce roman.

Fanny a dit…

Ton billet est très beau ! J'ai ce roman dans ma bibliothèque, je veux le lire depuis un moment mais j'ai toujours l'impression de ne pas être dans le bon état d'esprit quand je voudrais le lire.
Je viens de découvrir ton blog et je l'aime beaucoup !
A très bientôt !

Romanza a dit…

Effectivement, je pense que notre état d'esprit est important au moment de la lecture ...
J'ai découvert ton blog récemment aussi et je l'aime aussi beaucoup.
Au plaisir!