mardi 23 septembre 2014

" Notre cause est juste, mais on la défend très mal"

Les sirènes de Bagdad
Yasmina Khadra


Pocket, 2007.


Kafr Faram. Un petit village aux confins du désert irakien. On y débat devant la télévision, on s'y ennuie, on attend, loin de la guerre que viennent de déclencher les Occidentaux. Mais le conflit va finir par rattraper cette région où la foi, la tradition et l'honneur ne sont pas des mots vides de sens. Quand une nouvelle humiliation vient profaner ce qu'un Bédouin a de plus sacré, alors s'ouvre le temps de la colère et de la riposte. Seul le sang pourra laver ce qui a été souillé...

Avec Les sirènes de Bagdad, j'ai été violemment confrontée à l'Histoire, à notre Histoire. En tant que lectrice de "classiques" essentiellement, les romans que je lis parlent d'époques que je n'ai pas connues. Et j'aime les romans historiques se passant au Moyen Âge, à la Renaissance ou toute autre période assez éloignée de la mienne. Il est très rare que je lise des romans parlant de l'actualité. 
Les sirènes de Badgad m'a fait mal. Si ma génération a bien connu une grande tragédie historique, c'est bien les attentats du 11 septembre et tout ce qui a suivi. Et là, je me suis retrouvée à lire une histoire profondément actuelle, terriblement réelle. On ne peut pas allumer la télé ou lire un journal sans que l'on constate la déchirure de plus en plus importante entre l'Orient et l'Occident. Des bombes, des exécutions, des civils tués, ... 
J'ai lu que le journal Le point avait écrit sur Yasmina Khadra qu' "avec subtilité, il ne donne aucune réponse, mais à voir et à comprendre". Je trouve cela très juste. Ce qui m'a chamboulée dans la lecture de ce texte, c'est de prendre davantage conscience du puits sans fond dans lequel l'Orient et l'Occident sont tombés. La paix est-elle encore envisageable? En refermant ce roman, on ressent un grand sentiment d'impuissance et de pessimisme. Les deux camps ont raison ... les deux camps ont tort. Tous se plongent dans la violence, la mort et la terreur. Les sages, les éclairés ne sont malheureusement plus écoutés. 
J'ai compris, à travers l'histoire du héros, pourquoi certains irakiens, pourtant pacifiques, se retrouvent kamikazes. Les dérapages et les excès de l'armée américaine ont fait naître dans le cœur de certains irakiens une haine qui pourtant n’existait pas avant. La sagesse n'est plus possible, l'appel à l'apaisement, non plus. Ils tombent dans un cercle vicieux de violence et de terrorisme. Oui il y a les fanatiques, les fous, les partisans de la haine : "Les agissements des fedayin nous rabaissent aux yeux du monde ... Nous sommes les Irakiens, cousin. Nous avons onze mille ans d'histoire derrière nous. C'est nous qui avons appris aux hommes à rêver." (p 173). Mais pour la plupart et c'est ce que nous montre Yasmina Khadra, ce sont des hommes blessés, humiliés et surtout totalement perdus. L'auteur ne dénigre personne. L'Orient comme l'Occident, tout le monde est submergé, dépassé par ce conflit. La seule condamnation qu'il prononce, celle de l'ignorance ... entraînant la violence. 
J'ai ressenti la colère des irakiens face à notre mépris : " Ils nous prennent pour des attardés /.../. Nous les Arabes, les êtres les plus fabuleux de la terre, qui avons tant donné au monde, qui lui avons appris à ne pas se moucher à table, à se torcher, à cuisiner, à calculer, à se soigner ... Qu'ont-ils gardé de nous, ces dégénérés de la modernité? Une caravane de dromadaires enfaîtant les dunes au coucher du soleil? Un poussah en robe blanche satinée et en keffieh claquant ses millions dans les casinos de la Côte d'Azur? Des clichès, des caricatures, ... " (p 140).
Bien que le sujet soit traité avec beaucoup d'intelligence, l'écriture de Yasmina Khadra en elle-même ne m'a pas tout à fait convaincue. Il écrit de façon fluide et efficace, mais j'ai ressenti un manque de naturel, de spontanéité qui m'a laissée perplexe. Que ce soit dans la narration parfois un peu trop intellectuelle et pompeuse ou les dialogues qui se veulent familiers, mais qui au final, manquent de simplicité, le style est parfois trop prétentieux. 
C'est extrêmement difficile de parler d'un sujet si actuel. Ce que j'ai aimé dans ce roman, c'est que Yasmina Khadra remet les choses à leur place. Je ne supporte pas les amalgames. Les intégristes sont dangereux, toute forme de fanatisme est à détruire. Mais ne les confondons pas avec les musulmans. Et l'auteur ne parle pas que des Arabes. Il parle aussi les occidentaux. Non, ils ne sont pas tous racistes et persuadés de leur surpuissance. La plupart d'entre eux ne sont que des femmes et des hommes qui espèrent la paix et vivre tranquillement ... comme nous le rappelle les sublimes dernières pages du roman. 
Un roman à la fois très beau, prônant la paix et la sagesse, mais atrocement pessimiste et noir. J'ai vécu difficilement le fait de lire quelque chose de si actuel et près de moi, de mon Histoire. Je n'étais plus dans des récits de chevaliers, de rois, de complots de couloirs et empoisonnements, mais bien dans les attentats suicides, les décapitations et autres horreurs quotidiennes.
Un livre important à lire

Ce qui était terrifiant, dans cette histoire, était l'aisance avec laquelle je passais d'un univers à l'autre sans me sentir dépaysé. C'est d'une facilité ! Je m'étais couché garçon docile et affable, et je m'étais réveillé dans la chair d'une colère inextinguible. Je portais ma haine comme une seconde nature ; elle était mon armure et ma tunique de Nessus, mon socle et mon bûcher ; elle était tout ce qui me restait en cette vie fallacieuse et injuste, ingrate et cruelle."
(Les sirènes de Bagdad, Y. Khadra, Pocket, 2007)

(Sources image : lecourrierdumaghrebetdelorient.info)

Aucun commentaire: