mardi 9 septembre 2014

" Elle n'avait jamais beaucoup aimé les livres car ils ne parlaient pas d'elle. "

Angel 
Elizabeth Taylor

Rivages poche, 1991.

Ce qu'Elizabeth Taylor a montré à travers ce récit haletant mieux qu'à travers toute prose moralisante, ce sont les dangers, les pièges de la littérature-miroir, qui s'enferme en sa propre ignorance et flatte chez le lecteur ses instincts de fuite égoïste. Angel raconte la grandeur et décadence d'une adolescente mythomane, qui deviendra l'un des auteurs les plus connus de son temps. A travers cette fresque où revit la belle campagne anglaise /.../, c'est : la littérature qui endort et abêtit, la médiocrité des aspirations, la sottise des illusions jamais perdues, l'entêtement des natures tyranniques qui se croient invulnérables - l'aveuglement, en un mot, de ceux qui ne veulent pas savoir. " (Extrait de la préface de Diane de Margerie)

Elizabeth Taylor m'avait charmée l'année dernière avec son simple mais touchant Mrs Palfrey Hôtel Claremont. Je me souviens d'une écriture juste, vraie, montrant avec finesse les questionnements humains, l'isolement, la tendresse. Grâce à l'enthousiaste avis de Shelbylee sur Angel, une envie viscérale de m'y plonger à mon tour m'a saisie. Et tant mieux, car je viens de passer 5 jours passionnants. 
Autant le dire tout de suite, Angel se dévore. Véritable "page-turner", j'ai englouti cette histoire passionnante et prenante. On pourrait, à tort, croire qu'Angel est un texte sentimental (une jeune et pauvre jeune fille, devenant riche et épousant l'homme qu'elle aime, et blabla), mais on ferait une terrible erreur. Le roman d'Elizabeth Taylor est tout le contraire. Son héroïne est franchement exécrable et antipathique, son histoire cruelle et même sordide dans la dernière partie et sa plume ne tombe jamais dans le mélodrame ou la mièvrerie, mais au contraire, nous offre des pages assez sobres, simples et fines
Avouons que l'on préfère en général des personnages auxquels s'identifier, des héros passionnés, non sans défauts certes mais agréables tout de même. Je trouve les auteurs choisissant intentionnellement des personnages aux caractères spéciaux et repoussants, très courageux et particulièrement intelligents. Dans la lignée d'Emma ou de Scarlett O'Hara, E. Taylor nous présente une héroïne égoïste, capricieuse, menteuse, bornée .... Il est très difficile d'aimer Angel. D'ailleurs, je ne l'ai pas aimé. Mais on la prend en pitié, on admire son obstination et sa confiance (son aveuglement?) absolue en elle-même. J'ai aimé la façon dont elle se réfugie dans son imagination. Elle est touchante dans sa façon d'écrire : " Angel ne remarqua rien. Elle était à Saint-Pétersbourg, et ses personnages engoncés dans les fourrures filaient en troïka sur la neige sans fin. La révolution russe avait enflammé son imagination : c'étaient de grandes scènes animées, de somptueuses demeures et des seigneurs arrogants, sur fond d'immenses forêts de sapins où erraient des loups, de vastes domaines peuplés de serfs hauts en couleur ; puis des cosaques,  des étudiants tuberculeux, de la musique, des chandeliers, des intrigues et des adultères ; et son thème favori : un destin tragique pour des héros beaux et fiers " (p 267). 
Angel est un roman fin et assez complexe dans son analyse. J'aime la façon très pure d'écrire d'E. Taylor, tout en abordant de grands questionnements, de grands thèmes. Il y aurait beaucoup à dire sur le caractère d'Angel, sa façon de s'évader du quotidien en écrivant, son envie de ne jamais évoquer le passé, sa fierté qui voile ses failles et ses doutes, sa relation aux autres, ... Personne n'arrivera à la cerner complètement, chacun se questionne ... tout comme le lecteur : " Un jour, il aperçut un grand cactus dans la vitrine d'un fleuriste. D'une poussée malingre et hérissée de piquants s'était épanouie une immense fleur inquiétante, solitaire et incongrue, un monstrueux accident. Et il avait songé à Angel" (p 115) ; Derrière ces débordements d'imagination, ce romantisme effréné et cette ignorance, j'ai cru entrevoir de l'acuité et de la méfiance. Elle ne trouve pas, quant à elle, le monde amusant, et elle est aux aguets, prête à empêcher les autres d'y trouver du plaisir - surtout à ses dépens" (p 88). Nous croisons aussi Nora, sa belle-sœur dévouée, ainsi qu'Esmé son mari, un peintre médiocre que j'ai trouvé assez touchant. Certes, il est peu fidèle et assez arrogant, mais j'ai aimé ses tourments, sa culpabilité vis à vis d'Angel. C'est un être très seul et malheureux. Théo, l'éditeur d'Angel, est peut-être le seul personnage "normal" du roman avec sa femme Hermione. Pourtant, je l'ai trouvé assez hypocrite. 
J'ai bien conscience que cet avis est totalement brouillon et mal écrit, mais il y a tant de choses à dire que je m'y perds. Une chose est sûre, la plume d'Elizabeth Taylor est belle, touchante et intelligente et elle mérite de reprendre sa place dans nos bibliothèques. Je vous encourage vivement (vous ordonne même) de dénicher ses œuvres et de les découvrir. Vous rencontrerez une oeuvre nostalgique, délicate et pertinente. 

" - Je crois que le secret de votre pouvoir sur les gens est que vous communiez avec vous-même, non avec vos lecteurs.
Et il s'écarta.
Elle réfléchit une seconde, prit une gorgée de vin, et, les sourcils froncés, lui lança un regard étonné. Elle se demandait comment il avait deviné la vérité sur ses expériences quasi hypnotiques, cet acte de volonté au moyen duquel elle se projetait dans un autre monde dont elle émergeait, au bout d'un certain temps, physiquement recrue. Dans ces moments de fièvre, le lecteur n'existait pas.
- Oui, c'est vrai, dit-elle."
(Angel, E. Taylor, Rivages poche, 1991, p 196)


(Source image : Johann Peter Hasenclever Die sentimentale. largesizepaintings.blogspot.com)

2 commentaires:

Shelbylee a dit…

Je suis très contente de t'avoir poussé à la sortir de ta PAL :-) Je vois que tu es autant sous le charme que moi. Je te comprends bien quand tu dis que c'est difficile d'en parler tellement ce roman est riche en thématiques et en émotions. Je pense que le vrai tour de force est de réussir à ce qu'on s'attache à des personnages aussi exécrables. Je compte bien continuer ma découverte d'Elizabeth Taylor. Par contre, je ne te conseille pas La palladienne, roman de jeunesse qui m'a déçue (on ne peut pas toujours être formidable).

Emjy a dit…

Contente aussi que tu sois tombée sous le charme d'Elizabeth Taylor, qui compte parmi mes auteurs préférés depuis quelques années. D'elle, j'ai beaucoup aimé Angel, Mrs Palfrey, Hotel Claremont et Une partie de cache-cache.