vendredi 18 septembre 2009

Des préférences sexuelles

A la recherche du temps perdu Tome 4
Sodome et Gomorrhe
Marcel Proust
Livre de poche, 2008.

Posté dans l'escalier pour épier le retour du duc et de la duchesse de Guermantes, c'est en fait M. de Charlus que le narrateur aperçoit soudain dans la cour de l'hôtel : avec le giletier Jupien, le baron échange des regards troublants, avant de la suivre dans la boutique qui donne sur la cour ; intrigué, le narrateur change alors de poste d'observation, et descend dans une boutique vide et contigüe d'où il n'entend que des sons violents, mais qui par la suite suffiront à lui faire comprendre « qu'il y a une chose aussi bruyante que la souffrance, c'est le plaisir ».Paru en deux volumes en 1921, puis l'année suivante, Sodome et Gomorrhe est en effet pour le héros la révélation de l'homosexualité masculine dont le romancier brosse un tableau sans indulgence, que suivra vers la fin du livre l'évocation des penchants d'Albertine, maintenant entrée davantage dans la vie du héros qui s'irrite de ses fréquentations. Car Sodome et Gomorrhe est aussi autre chose qu'un roman de l'inversion, et Proust n'a pas tort de dire à son éditeur Gallimard : « Cet ouvrage est le plus riche en faits psychologiques et romanesques que je vous aie encore donné. »

Bien que Proust soit mon chouchou et que je me régale en lisant ses romans, j'avoue que jamais je n'aurai pensé lire Sodome et Gomorrhe aussi vite. Proust, même si je l'aime de tout cœur, reste un auteur parfois dur à lire, au style vite fatigant. Je ne pensais pas que l'on pouvait dévoré un volume de La recherche du temps perdu en un rien de temps … et pourtant … si! Je viens de m'engloutir 600 pages de Proust en une semaine sans me forcer, avec le sourire aux lèvres et le cœur plein d'amour.
Sodome et Gomorrhe se dévore. J'ai totalement été prise dans le roman. Je n'arrivais presque plus à le lâcher. C'est, sans aucun doute, le tome le plus drôle de La recherche, en tout cas pour l'instant. J'ai énormément ri. Sodome et Gomorrhe voit réapparaître les salons de Mme Verdurin et ça, ça vaut de l'or. Et puis, M. de Charlus, à la fois si comique et si touchant. Les réflexions de Proust, ses critiques, ses interpellations au lecteur, le tout crée un mélange de satire, de comédie de moeurs et d'humour décapant.
Mais ce tome voit apparaître aussi une grande sensualité. Chaque mot, chaque phrase, chaque instant est imprégné d'érotisme et de désir. Un texte où l'on parle de sexe, de préférence, de séduction.
Enfin, malgré l'ambiance sensuelle et le ton humoristique de ce roman, on retrouve, dans certains passages, la magnifique et bouleversante plume de Proust. Lorsque le narrateur prend enfin conscience que plus jamais il ne verra sa chère grand-mère ou lorsqu'il parle de la transformation de sa mère depuis cette cruelle perte, les larmes me sont venues aux yeux. Marcel Proust a vraiment l'art de mettre exactement chaque mot là où il faut, de trouver dans chaque âme, chaque lecteur, un écho à ce qu'il dit, ressent, évoque.
Un magicien des émotions et des mots.

" Dans chacune des trois lettres que je reçus de maman avant son arrivée à Balbec, elle me cita Mme de Sévigné, comme si ces trois lettres eussent été non pas adressées par elle à moi, mais par ma grand-mère adressées à elle. Elle voulut descendre sur la digue voir cette plage dont ma grand-mère lui parlait tous les jours en lui écrivant. Tenant à la main l' "en-tout-cas " de sa mère, je la vis de la fenêtre s'avancer toute noire, à pas timides, pieux, sur le sable que des pieds chéris avaient foulé avant elle, et elle avait l'air d'aller à la recherche d'une morte que les flots devaient ramener. "
(Sodome et Gomorrhe
, Proust, Livre de poche, 2008, p 244)

(Source image : histoire-image.org - Robert de Montesquiou par Boldini)

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Je ne me suis jamais essayé à Proust, peur de ne pas comprendre, de m'ennuyer, bref ... Mais à te voir en parler je me dit que quelqu'un qui aime Zola et Dumas doit savoir ce qu'elle dit !

Romanza a dit…

Matilda : Proust, soit on adore, soit on déteste, mais il ne laisse jamais indifférent.

Lilly a dit…

Je t'envie de lire Proust avec une telle facilité. Moi je n'ose pas. Je lis chaque fois les premières pages, j'aime, j'adore, mais je me dis que ce n'est pas le moment. Ton billet est très beau, et me donne envie de tenter encore une fois.

Titine a dit…

Merci de mettre en valeur un élément fondamental chez Proust : l'humour. Je trouve que c'est important d'en parler surtout lorsque l'on szit à quel point cet auteur effraie les lecteurs. Je suis comme toi une inconditionnelle de Proust et j'ai lu cet été "Sodome et Gomorrhe". Tous les étés je lis un volume de la Recherche pour pouvoir être bien imprégnée de son univers. Je le lis aussi très vite et je me retiens pour ne pas enchaîner avec un autre volume! Je fais durer le plaisir...