dimanche 6 décembre 2020

Zut alors!

La vie devant ses yeux
Laura Kasischke

Le livre de poche, 2014.

Diana vient d'atteindre la quarantaine.
Elle a apparemment tout pour être heureuse : un mari professeur de philosophie, une jolie petite fille et une belle maison. Elle est cette mère de famille américaine typique qui accompagne les sorties scolaires de sa fille, qui cuisine admirablement et enseigne le dessin à mi-temps. Pourtant le passé - et l'événement traumatisant qui en est au cœur - ne cesse de la hanter, par bouffées, et ces flashes sont autant de ruptures dans la narration du présent de Diana.
Par un effet d'éclatement chronologique, Laura Kasischke crée ainsi une sorte de science-fiction "domestique", et nous livre une critique cruelle de l'Amérique petite-bourgeoise.

Alors autant je suis une grande fan de l'univers de Laura Kasischke et une accro à ses histoires mystérieuses et pleines d'ombres, que là, avec La vie devant ses yeux, j'ai été assez déçue

Pourtant le scénario de début était alléchant. Du Kasischke parfait : un non-dit, un vernis qui craque, une famille parfaite pas si parfaite. Mais voilà, alors que ça marche normalement du feu de Dieu avec moi, là ça n'a pas pris. En lisant La vie devant ses yeux, j'ai compris toutes les critiques que certains lecteurs pouvaient faire à Kasischke. Beaucoup disent qu'il ne se passe rien dans ses romans, que c'est bavard, surfait. Je n'irai pas jusque là, car j'aime définitivement Kasischke. Mais je ne peux qu'avouer que La vie devant ses yeux est peu palpitant. Etrangement, Kasischke nous livre dès les premières pages le secret de la vie de Diana. On attend autre chose durant toute la lecture, un secret encore inavoué. Et puis, non. Rien. On lit donc des dizaines de pages de la vie de Diana qui vit mal son secret, vit dans la douleur de la culpabilité. Puis arrive la fin. Une fin énigmatique ... que je n'ai pas comprise. J'adore les fins inachevées de Kasischke, les questions qui restent sans réponses, les ombres persistantes, ... mais là, il n'y a aucun mystère qui reste, c'est juste que la fin est écrite dans un style très métaphorique et que je n'ai pas tout saisi. 
L'idée de départ était bonne. Une femme vit avec un poids sur le cœur, une épée de Damoclès qu'elle traine depuis l'adolescence. Elle s'efforce d'être parfaite mais sa vie n'est qu'un mensonge. J'aurais aimé que Kasischke ne dévoile pas le fin mot de l'histoire dès le début. En évoquant l'amitié de Diana et Maureen en flashback, en créant (comme elle sait si bien le faire) une ambiance lourde presque surnaturelle qui fait planer le doute sur un éventuel roman fantastique et enfin une révélation finale, cela aurait bien mieux marché. 
J'ai retrouvé un scénario digne de Kasischke mais non traité comme l'aurait fait Kasischke normalement. Mais bien sûr, cette déception ne refroidit pas mon intérêt pour cette auteure que j'adore lire et que je relirai avec bonheur. En attendant une nouvelle lecture kasischkienne, je vais me dénicher le film adapté de La vie devant ses yeux qui me permettra sûrement d'y voir plus clair. 

PS : Une fois cet article rédigé, j'ai lu l'avis d'une lectrice sur Babelio qui me fait repenser toute ma vision du roman. Je crois que je suis vraiment totalement passée à côté du texte. Je n'ai pas vu les messages de Kasischke glissés dans le récit qui font basculer le roman dans quelque chose de très différent. J'ai presque envie de le relire avec en tête cette interprétation du texte. Je m'en veux un peu d'être passée à côté de cette analyse. 
"L’été...
Tout ce désir et tout cet espoir moite du printemps avaient finalement abouti à quelque chose. Chez elle, les pivoines s’étaient ouvertes, dans le jardin devant sa maison, comme les manches d’un joli chemisier - mais elles étaient restées collantes, douces, couvertes de petites fourmis rouges.
L’herbe était verte comm du fard à paupières, verte comme du satin.
Le ciel était un gros bonbon bien dur.
Et les abeilles s’agitaient autour du chèvrefeuille, comme de minuscules petits anges dorés jouant de la trompette.
Les lys venaient juste de fleurir, et une brise parfumée s’élevait de leurs cœurs intacts pour envahir le monde. "
(Photos : Romanza2020)

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