Suite française
Irène Némirovsky
Denoël 2004.
Écrit dans le feu de l'Histoire, Suite française dépeint presque en direct l'Exode de juin 1940, qui brassa dans un désordre tragique des familles françaises de toute sorte, des plus huppées aux plus modestes. Avec bonheur, Irène Némirovsky traque les innombrables petites lâchetés et les fragiles élans de solidarité d'une population en déroute. Cocottes larguées par leur amant, grands bourgeois dégoûtés par la populace, blessés abandonnés dans des fermes engorgent les routes de France bombardées au hasard... Peu à peu l'ennemi prend possession d'un pays inerte et apeuré. Comme tant d'autres, le village de Bussy est alors contraint d'accueillir des troupes allemandes. Exacerbées par la présence de l'occupant, les tensions sociales et frustrations des habitants se réveillent...
Roman bouleversant, intimiste, implacable, dévoilant avec une extraordinaire lucidité l'âme de chaque Français pendant l'Occupation (enrichi de notes et de la correspondance d'Irène Némirovsky), Suite françaiseressuscite d'une plume brillante et intuitive un pan à vif de notre mémoire.
Suite française est un témoignage unique. Rare roman écrit durant la seconde guerre mondiale, il narre en direct l'exode, la peur, les tensions, l'occupation. Parfois décousu, mais toujours pertinent, ce récit nous présente plusieurs personnes prises dans les feux de l'Histoire. La plume d'Irène Némirovsky est très belle. On sent une maturité, un recul qui donne au texte un souffle unique. Lorsque l'on connaît, de plus, sa triste histoire, le texte prend davantage d'ampleur.
La première partie conte l'exode de plusieurs personnages, tous venant de milieux différents, certains sont généreux d'autres opportunistes. Cette galerie de personnages, qui est dans les premières pages déstabilisante, est très bien menée. On les rencontre, les quitte, les retrouve. Tout comme l'incertitude de la guerre, nous ne sommes jamais sûrs de revoir les personnages de ce roman dès qu'une page est tournée.
Pourtant plus classique, ma préférence va à la seconde partie : Dolce. J'ai été très émue par Lucile. Cette douce histoire, sans mièvrerie, sans envolée romanesque, est peinte avec délicatesse et retenue. J'ai aimé les passerelles qui existent entre la première et la seconde partie. Au premier abord, nous avons la sensation qu'ils s'agit de deux histoires distinctes. Même si c'est le cas dans un sens, les deux parties se répondent et se font suite. J'ai dévoré cette seconde partie jusqu'à tard en apnée dans mon lit.
Je reconnais qu'il m'a fallu un peu de temps avant d'entrer dans le roman. Au départ, ce fut une rude épreuve pour mon cœur qui attendait beaucoup de ce texte. J'ai finalement embarqué dans ce témoignage unique et bouleversant. Si j'ai aimé la première partie de l'oeuvre, j'ai succombé à la seconde qui est une pure merveille.
Les bottes... Ce bruit de bottes... Cela passera. L'occupation finira. Ce sera la paix, la paix bénie. La guerre et le désastre de 1940 ne seront plus qu'un souvenir, une page d'histoire, des noms de batailles et de traités que les écoliers ânonneront dans les lycées, mais moi, aussi longtemps que je vivrai, je me rappellerai ce bruit sourd et régulier des bottes martelant le plancher.Suite française, Irène Nemirovsky, Denoël.
(Photos : Romanza2019)
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