jeudi 1 octobre 2015

" Elle respectait les lys dans les champs ..."

Toute passion abolie
Vita sackville-West

Le livre de poche, Editions Autrement, 2011.

Le jour même de la mort de son mari Henry Holland, comte de Slane, lady Slane décide de vivre enfin sa vie. Elle a quatre-vingt-huit ans. Lady Slane surprend alors son entourage en se retirant à Hampstead. Dans sa nouvelle demeure, toute passion abolie par l'âge et le choix du détachement, lady Slane se sent libre enfin de se souvenir et de rêver.

Même si l'on ne recherche que la simplicité, comment échapper à la complexité de la vie? " (p68)
J'ai déjà lu Vita Sackville-West à deux reprises. J'ai aimé chacune de mes lectures, pourtant il aura fallu attendre Toute passion abolie pour que je ressente un réel coup de cœur. Cette troisième rencontre m'a totalement bouleversée.  
J'ai été prise par surprise, je ne m'y attendais pas. L'histoire de Lady Slane m'a conquise et envoûtée. Dès les premiers mots, je me suis sentie enveloppée ... comme dans un bain de mousse. Toute passion abolie est d'une délicatesse rare. Chaque phrase, chaque mot est juste. Sans fioritures, avec naturel, Vita Sackville-West offre un texte sublime. 
J'ai aimé la simplicité de ce roman. Toute passion abolie est un hymne aux instants précieux. Paysages, pensées et souvenirs se mêlent pour nous offrir d'inoubliables pages de Littérature. 
Les réflexions de cette vieille héroïne attachante ont résonné en moi. J'ai compris ses mots et ses pensées. Entre ironie et gravité, Lady Slane revient sur sa vie et ses erreurs. 
" Écoutant Genoux, qui imperturbablement racontait son passé, elle se demanda quelles blessures étaient les plus profondes : celles, véritables et physiques, de la réalité ou les meurtrissures invisibles et mentales de l'imagination. " (p203). 
Ce qui fait la richesse de ce roman, c'est l'héroïne et son état d'esprit d'acceptation, de paix et de sérénité. Elle a des regrets, mais elle trouve enfin à quatre-vingt-huit ans, la tranquillité qu'elle a toujours recherché. 
" Pour ce qui est de la beauté, il suffisait de la regarder, si raffinée, si âgée, tellement charmante, authentique sculpture d'ivoire, fluide silhouette blottie dans son fauteuil, menue, souple, le reflet des flammes seul ajoutant un éclat de lumière sur ses joues et sa chevelure neigeuse. La jeunesse ne peut rivaliser avec la beauté qui émane d'une telle personne, songea t-il encore. Chez une jeune femme, le visage n'est rien d'autre qu'une page encore vierge. Il n'y a qu'à nos âges qu'il est possible de s'installer aussi paisiblement, dans un calme absolu, comme si toute hâte, tout mouvement étaient désormais abolis, et qu'il ne reste rien que l'attente et l'acceptation. " (p156). 
J'ai eu envie moi aussi de connaître ce sentiment de paix, de revenir avec calme et clarté sur ma vie. J'ai aimé les pages où elle prend son indépendance, visite sa nouvelle maison, crée des liens d'amitié avec de touchants et loufoques personnages. Même si Toute passion abolie est parfait de bout en bout, j'aurai aimé plus de pages, j'aurai aimé vivre un peu plus longtemps près de Lady Slane.  

Toute passion abolie est également très engagé. Texte féministe, il met en lumière le peu de liberté des femmes et leur soumission perpétuelle. Sous un masque de gentillesse et de galanterie, les hommes prennent le destin de leur épouse et de leurs filles en main. Certes Lady Slane n'a pas été malheureuse, elle reconnaît elle-même qu'elle a aimé son mari et vécu une existence riche. Mais ce n'est pas cette vie là qu'elle désirait. Elle a du se contenter de ce qu'on lui offrait, sans jamais avoir la possibilité de faire ses choix.
" Comme les femmes font du tapage autour du mariage! pensait-elle, mais qui les blâmerait, puisqu'il est la seule et unique histoire de leur vie? n'est-ce pas pour ce rôle qu'elles ont été façonnées, habillées, déguisées, éduquées - si tant est qu'on puisse appeler cet apprentissage une éducation - , protégées, gardées à l'abri, couvées, parquées, réprimées, et tout cela pour que, le moment venu, on puisse les livrer, ou qu'elles puissent livrer leurs filles, au service de l'Homme? " (p119)
Mon avis est extrêmement décevant. Je n'arrive pas à écrire ce qui m'a tant émue dans les mots de Vita Sackville-West. Ce fut un moment intense de lecture, une immersion totale. J'avais parfois envie de revenir en arrière, d'entendre de nouveau certaines phrases, certaines pensées si justes de Lady Slane. 
"Simplicité" est le mot le plus juste pour parler de Toute passion abolie. Simplicité des mots et de l'histoire. Mais de cette simplicité ressort une force incroyable. Tout passion abolie est un texte que je relirai. Pour l'instant, je n'arrive pas à le reposer dans ma bibliothèque car je continue à grignoter quelques passages. Cette oeuvre ne m'a pas encore tout révélé. 
C'est le livre d'une vie. Celui que l'on ressort, que l'on redécouvre à tout âge.
Un livre rare.
" Elle avait parfois éprouvé la sensation de vivre dans une humanité plongée dans un monde d'illusions, embarquée dans des rêves à la fois dérisoires et dangereux. Ce système lui semblait être basé sur des conceptions fausses. Le hasard seul avait fait que les hommes avaient pris l'or et non la pierre comme symbole de la réussite, qu'ils bâtissaient leur vie sur l'esprit de compétition et non sur la tendresse. Mais pourquoi n'était-il pas venu à l'esprit des habitants de la planète qu'elle tournerait beaucoup mieux tout simplement avec des pierres et de la tendresse? "
(Toute passion abolie, Vita Sackville-West, Livre de poche, 2011, p97) 

(Source image : Lady in white, Théo Van Rysselberghe)

5 commentaires:

Eliza a dit…

Tu me donnes tellement envie de le relire !! J'avais littéralement adoré ce roman et comme toi j'ai été très surprise de tomber sur ce coup de coeur auquel je ne m'attendais pas !

Romanza a dit…

Un sublime roman. Je suis très frustrée car je n'arrive pas à en parler!

Mind The Gap a dit…

Tu en parles bien justement. Il y a pas mal de choses qui m'attirent dans cette histoire et j'aimerais bine lire un jour Vita...amie et compagne de Virginia Woolf.
J'aime les auteures anglaises et puis il est question aussi du Nord de Londres avec Hamstead.
Ce roman m'a l'air optimiste, mais j'ai peur de me sentir bine vieux après lecture...

Fleur a dit…

Moi aussi je l'avais beaucoup aimé. C'est rare de lire un roman dont le personnage principal est une femme très âgée. J'avais peur que ce soit ennuyeux et finalement ce roman était parfait. Comme toi, j'ai aussi été sensible à la thématique féministe.

Fanny a dit…

Je trouve que tu en parles très bien contrairement à ce que tu penses ! J'ai envie de le lire depuis un moment mais ton avis me donne envie de le noter dans la liste pour mon père noël !