lundi 3 octobre 2011

Peut-on toucher un souvenir du bout des doigts?

Dans la main du diable
Anne-Marie Garat

Babel, 2007

Automne 1913. A Paris et ailleurs - de Budapest à la Birmanie en passant par Venise -, une jeune femme intrépide, Gabrielle Demachy, mène une périlleuse enquête d'amour, munie, pour tout indice, d'un sulfureux cahier hongrois recelant tous les poisons - des secrets de cœur au secret-défense. Habité par les passions, les complots, le crime, l'espionnage, et par toutes les aventures qu'en ce début du XXe siècle vivent simultanément la science, le cinéma ou l'industrie, Dans la main du diable est une ample et voluptueuse fresque qui inscrit les destinées sentimentales de ses personnages dans l'histoire d'une société dont la modernité est en train de bouleverser les repères. En 1913, Gabrielle Demachy s'avance, lumineuse et ardente, dans les rues de Paris, sur les chemins du Mesnil ; entre l'envol et la chute, entre eaux et sables, la voici qui s'engage dans le roman de sa vie..

Ouf! 1300 pages et 2 mois de lecture, cela faisait longtemps qu'un roman ne m'avait pas suivi durant autant de temps ...
J'ai énormément apprécié ce roman. Certes, il n'est pas sans défauts, mais je suis restée 2 mois en totale immersion dans les lignes de ce beau roman.
Je pense que beaucoup de personnes ayant lu ce texte ont pensé qu'il y avait beaucoup trop de pages, que l'intrigue pouvait tenir en 500 pages, pas plus. J'ai trouvé au contraire que ce roman prenait son temps et que c'était fort agréable. Dans notre époque où les romanciers enchaînent les chapitres, les révélations, toujours plus vite, toujours plus et plus, j'ai aimé cette sensation de lenteur, ces longues pages décrivant les paysages, les sentiments des héros, la vie quotidienne dans la campagne du Mesnil. Je dois reconnaître que dans les toutes premières pages, je me suis dit "Arrête Anne-Marie, tu fais trop de blabla, là!". Je trouvais les longues envolées poétiques et lyriques de l'auteur très surfaites et manquant de naturel. Puis, je me suis faite à l'écriture que j'ai finalement trouvé belle et agréable. Je crois que le gros défaut de ce roman est de vouloir être trop parfait : parfaitement poétique, une héroïne parfaite, une intrigue parfaite, du romantisme paaaaarfaaiiitt!! .... Tout doit être parfaitement parfait!! Alors certes, cela donne un texte passionnant, bouleversant, enivrant, Dans la main du diable chamboule le coeur (et le corps) ... Mais hélas, parfois, on a envie d'hurler "du naturel, que diable!".
Mais après vous avoir dévoilé le défaut principal de ce roman, je ne peux que vous conseillez mille fois de le lire. Vous allez découvrir un roman intelligent, fouillé, palpitant. Certes, il faut avoir un minimum le coeur romantique, mais ce n'est pas un roman à l'eau de rose pour autant (sinon, il ne m'aurait pas plu). On plonge dans une époque, l'avant premier guerre mondiale, la montée de l'industrie, les débuts des guerres modernes et de leurs horreurs, on plonge dans un secret d'état, dans le monde de la presse, de la médecine, du cinéma, ... Un voyage passionnant, enrichissant, fabuleux. Gabrielle est parfois (comme je le disais plus haut) bien trop parfaite, mais elle reste un personnage de roman magnifique, que j'ai aimé de tout coeur. J'ai ressenti ses joies comme ses peines ... Elle m'a labourée l'âme. Anne-Marie Garat nous offre une galerie de personnages inoubliable : le mystérieux et séduisant Pierre, l'émouvante Sophie, l'antipathique Blanche, la terrible Mme Mathilde, l'horrible Michel Terrier, tous les habitants du Mesnil, la petite Millie, Mme Victor, Sassette, Mauranne, ... Les pages parlant du Mesnil sont sans hésitation mes préférées. La vie à la campagne, l'éducation de Millie, la rencontre de Gabrielle et Pierre.
En ouvrant ce roman, on plonge dans un roman policier, un roman classique, un roman d'amour ... On découvre plusieurs romans en un. On ne s'ennuie pas en lisant les 1300 pages de ce texte! Parsemé d'alinéas, il se lit facilement, doucement, en dégustant.
Je pense que Dans la main du diable est un texte que l'on adore ou que l'on déteste ... et je comprends l'un comme l'autre. L'adorer car il est tout simplement passionnant et le détester car il peut paraître long et parfois trop poétique.
En tout cas, ne vous arrêtez pas sur le nombre de pages, ni sur la quatrième de couverture bien trop mièvre, ouvrez Dans la main du diable et faites la connaissance de Gabrielle. Je ne peux que vous conseillez mille fois de lire ce texte envoûtant. J'ai la tête encore imprégnée du Mesnil, de Gabrielle, de Millie, du cahier hongrois, de Venise, .... De beaux instant vous attendent!
La suite (car c'est une trilogie) est déjà sortie (L'enfant des ténèbres, suivi de Pense à demain), je compte bien dévorer les deux autres romans un jour. Je veux savoir ce que devient Gabrielle ... et les autres!

« Insensible, désertée de sentiments et de pensées, elle dut se regarder dans le miroir pour vérifier qu’elle n’était pas disparue, effacée, en cendres, et elle se vit seule. Une qu’elle ne reconnaissait pas, mais qui la connaissait. Assez bien pour la haïr dans un hérissement de toute sa peau, des cheveux horripilés. Sa figure de jeune fille convenable, coiffée et vêtue de dentelles, comme un épouvantail de théâtre, masquée et fardée, barbouillée d’apparences. Sauvagement, elle arracha ses vêtements, se mit nue. Se serait arraché la peau pour être plus nue encore, mais nue elle n’était pas nue. Dans les dédales de son corps, il y avait une nudité plus grande, une capacité plus grande de dépouillement que son corps n’avouait pas, où elle était seule, désaimée et seule.
Elle se regardait comme de longtemps elle ne l’avait fait. Peut-être depuis un de ces matins, […] où elle avait admiré et convoité dans le miroir la chrysalide de son corps, ses seins menus et ses hanches de garçonne, sa peau mate, fluide et soyeuse à la lumière du matin, sa grâce juvénile en majesté […] ! Fière et amoureuse d’elle-même, sans crainte, sans pudeur ! Ce soir, comme celle-là était loin ! Son corps avait grandi et mûri, les courbes plus pleines, ses seins plus lourds à l’attache fine des clavicules, son ventre mince évasé des hanches à l’aine, un peu renflé en son centre, que le nombril creusait étrangement. De sa toison brune aux mamelons de café, cela semblait un visage au triangle étiré, mystérieuse expression pleine d’étonnement. Elle toucha avec crainte l’intérieur de ses cuisses, la longue plage de peau douce jusqu’au creux du genou, remonta à ses épaules, son cou, sa bouche qu’elle palpait sans la sentir sous ses doigts. Elle était femme, mais en vain […] Elle enfila vite sa chemise de nuit et se coucha, ivre de nostalgie pour la jeune fille perdue […]. »
(Dans la main du diable, Anne-Marie Garat, Babel)

(Source image : John_Singer_Sargent_-_Lady_Diana_Manners.en.academic.ru)

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