mardi 13 octobre 2009

On sent parfois arriver de loin les coups de foudre littéraires ...

Bonheur d'occasion
Gabrielle Roy
(Défi Blog o trésors 2009)


Boreal Compact, 2007.

Dans le quartier montréalais de St-Henri, un peuple d'ouvriers et de petits employés canadiens-français est désespérément en quête de bonheur. Florentine croit trouver le sien dans l'amour ; Rose-Anna le cherche dans le bien-être de la famille ; Azarius fuit dans le rêve ; Emmanuel s'enrôle ; Jean entreprend son ascension sociale. Chacun, à sa manière, invente sa propre voie de salut et chacun, à sa manière, échoue. Mais leur sort est en même temps celui de millions d'autres, non seulement à Montréal, mais partout ailleurs dans le monde en proie à la guerre.


Une belle histoire d'amour vient de commencer. Gabrielle Roy et moi allons continuer encore longtemps à tisser ce lien magique qui vient de se créer. Je viens de découvrir une plume infiniment humaine, délicate et sensible, une plume à la Pearl Buck qui prend aux tripes. Je viens de parcourir un roman poétique, où des mots d'une beauté incroyable m'ont chamboulée l'esprit.
Bonheur d'occasion est un texte d'une extrême mélancolie. D'une ambiance, dans les premières pages, doucement monotone et terriblement simple va naître, dans la seconde et dernière partie, un roman bouleversant, poignant, d'une infinie tristesse. Les premiers mots peuvent dérouter. Il ne se passe pas grand chose. Gabrielle Roy prend son temps, installe l'ambiance, nous laisse le temps de s'imprégner des lieux, des personnages, des sensations. Puis, le récit s'emballe. Le lecteur est pris dans un tourbillon d'émotions, on est à genou devant le talent de Madame Roy qui décrit d'une façon bouleversante l'âme humaine, ses doutes, ses profondeurs, ses espoirs. Ce roman va crescendo, nous prend presque par surprise.
Florentine, Azarius, Rose-Anna, Emmanuel, le petit Daniel, Yvonne, Jean .... Tous ces noms représentent des personnages inoubliables et infiniment humains. On ne les idolâtre pas, on ne les déteste pas non plus. Pas de méchants, pas de gentils. Juste des hommes et des femmes qui tentent de survivre malgré la faim, le froid, la misère, les questionnements, les rêves, les désillusions. On condamnerait bien Jean de son égoïsme, mais comment le faire lorsque l'on apprend son passé et comprend la coquille qu'il s'est crée? Florentine nous énerverait bien par sa naïveté, sa superficialité, mais elle est aussi une jeune femme courageuse qui nourrit sa famille bien qu'elle ne soit âgée que de 19 ans. On croise ces personnages, on apprend à les aimer tels qu'ils sont. Ils sont le reflet de miliers de personnes : "Elle [Florentine] était la vie elle-même, avec son expérience de la pauvreté, et sa révolte contre la pauvreté, avec ses longs cheveux flottants et son petit nez déterminé, et ses mots bizarres, durs parfois, ses mots de vérité. " (p317).
Les descriptions de Gabrielle Roy sont à elles seules une raison d'ouvrir ce roman. Des descriptions des rues, son atmosphère, sa lourdeur, sa fatalité, dignes d'un Zola. Mais aussi une beauté, une poésie, mille sensations, mille odeurs, mille sons : " Il y aurait bientôt des feuilles dans la clarté des lampadaires ; les petites gens mettraient des chaises sur le trottoir en face de leur maison ; il y aurait dans la nuit le crissement des berçantes sur le ciment ; de tout petits enfants respireraient l'air du dehors pour la première fois de leur vie ; d'autres traceraient des signes à la craie sur le pavé des rues et y pousseraient une rondelle en sautant sur un pied d'un carré à l'autre ; et, dans les cours intérieures, sous la faible lueur des carreaux, les familles réunies causeraient ou joueraient aux cartes." (p219).
Les dernières scènes m'ont émue au point de sentir la naissance d'une timide larme au coin de l'oeil. Aaah! La preuve d'amour d'Azarius à sa femme ... Une merveille! Ces scènes resteront longtemps imprimées dans mon petit coeur tout bouleversé.
Un roman triste, c'est vrai, un roman qui doit se digérer, qui chamboule, mais un roman qu'il faut absolument lire. C'est un belle histoire, l'histoire de la vie, l'histoire des hommes et des femmes.
Quant à moi, vous pouvez être sûre que ma découverte de l'oeuvre de Gabrielle Roy ne s'arrêtera pas là. Je savais que j'aimerai cet écrivain. J'aimais ses couvertures, ses titres, sa photographie, ses résumés, la simplicité de sa vie ... Je suis heureuse de voir que je ne m'étais pas trompée.
Bonheur d'occasion est le premier roman de Gabrielle Roy et est considéré comme un classique de la littérature québécoise. Mais les amateurs de ses romans préférent généralement ses oeuvres postérieures à Bonheur d'occasion car on y trouve une douceur et un amour de la vie qui est un peu absent dans ce premier roman assez sombre et pessimiste. Je suis pressée de découvrir ses autres romans.
L'avis de Cuné ; Suzan ; ...

" Oh, qu'elle l'entendait bien la voix qui n'avait pas su la calmer dans la peine, la rassurer dans l'inquiétude, mais qui, conq fois, dix fois peut-être dans sa vie, à des moments fulgurants, avait su la soulever jusqu'aux sommets les plus hauts de la félicité! Par lui, elle avait eu froid et faim, par lui elle avait vécu dans de misérables abris, éprouvé la peur du lendemain la rongeant jour après jour ; mais par lui aussi elle avait bien entendu les oiseaux à l'aube ... "
(Bonheur d'occasion, G. Roy, Boreal, 2007, p177)

(Source image : blog.ebookers.ch ; Robert Doisneau)

8 commentaires:

Sylvie a dit…

Quel joli billet... Gabrielle Roy est effectivement un auteur à coup de foudre, je confirme ! :)

Dominique a dit…

Ce billet est du genre à faire précipiter sur ce livre
je n'ai lu qu'un texte de cette auteure dont je garde un souvenir ému j'ai beaucoup aimé sa simplicité et son humanité c'était " la petite poule d'eau "
j'ai bien envie de poursuivre ma connaissance de cette dame

Romanza a dit…

Cuné : Merci pour le compliment et pour la confirmation belle Cuné!!

Dominique : Je compte bien lire "La petite poule d'eau" ... Merci de ton message!

Suzanne a dit…

Ah quel bonheur ce billet et qui confirme que les mots de cette grande dame sont à découvrir.
Merci et belle journée.

Romanza a dit…

Pssst Cuné, je viens de voir que tu mettais un lien vers mon billet en blog-it sur ton blog ... Merci beaucoup!!!!

Romanza a dit…

Suzanne : Merci à toi de m'avoir fait découvrir cette géniallissime auteure!

Lou a dit…

J'ai peu de temps à passer sur Internet en ce moment mais en voyant tous tes derniers billets je regrette de ne pas pouvoir te lire plus régulièrement. Malice m'a prêté "Ces enfants de ma vie", je suis très curieuse de découvrir Gabrielle Roy (par contre j'espère qu'elle me plaira plus que Jacques Poulin qui ne m'a tout de même pas enthousiasmée - je dis ça parce qu'il y a une certaine filiation entre eux d'après ce que je comprends)

Karine:) a dit…

Je me rappelle avoir beaucoup aimé la plume mais j'ai lu ça au secondaire (13 ans... l'année du prof de français qui nous prenait pour un peu plus mature qu'on ne l'était) et le côté "malheurs" m'avait un peu agacée... J'avais beaucoup aimé "ces enfants de ma vie, ", par contre. Il faudra que je réessaie un jour... Du moins, ton billet m'en donne le goût!