jeudi 1 janvier 2009

Sur les toits du Caire

L'immeuble Yacoubian
Alaa El Aswany
(Défi Au delà des mots 2008/2009)

Actes Sud, 2006.

Connaissez-vous Alaa El Aswany ?
C'est un véritable phénomène, avec cent mille exemplaires de L'Immeuble Yacoubian vendus en quelques mois, un film en cours de tournage avec une grande mobilisation de moyens et d'acteurs célèbres. Très vite,poussé par la rumeur, le livre s'est répandu dans le monde arabe, a été traduit en anglais, et le voici aujourd'hui en français. L'auteur est un vrai Egyptien, enraciné dans la terre noire du Nil, de la même veine que Naguib Mahfouz. Il pose un regard tendre, affectueux, plein de pitié et de compréhension sur ses personnages qui se débattent tous, riches et pauvres, bons et méchants, dans le même piège. Il ne juge pas, mais préfère nous montrer les espoirs puis la révolte de Taha, le jeune islamiste qui rêvait de devenir policier ; l'amertume et le mal de vivre de Hatem, homosexuel dans une société qui lui permet de jouir mais lui interdit le respect de l'amour ; il nous fait partager la nostalgie d'un passé révolu du vieil aristocrate Zaki ; l'affairisme louche mêlé de bigoterie et delubricité d'Azzam ; la dérive de la belle et pauvre Boussaïna, tout cela à l'ombre inquiétante du Grand Homme, de ses polices et de ses sbires de haut vol comme l'apparatchik El-Fawli, et à celle non moins inquiétante d'un islam de combat, qui semble être la seule issue pour une jeunesse à qui l'on n'a laissé aucun autre espoir.
Alaa El Aswany ne cherche pas le scandale. Il nous dit simplement que le roi est nu. Il nous montre ce que chacun peut voir autour de lui mais que seule la littérature rend vraiment visible. Nous comprenons un peu mieux comment va l'Egypte, certes, mais aussi comment va le monde et - peut-être également - pourquoi explosent les bombes...
...
La quatrième de couverture est magnifique (pour une fois) et dit tout ... que rajouter donc?
Je vais tout de même essayer de faire un effort et de vous commenter ce livre avec mes mots.
Ce roman se lit vite, d'une traite. On est englouti par ce style simple et fluide, ces mots durs mais vrais et bouleversants. La vie de cet immeuble est passionnante. On suit, tour à tour, chaque personnage, leurs envies, leurs peurs, leurs rêves. On s'attache à eux et on espère de tout notre coeur qu'ils réussissent à aller jusqu'au bout d'eux-mêmes. Et nous ne sommes pas les seuls. Alaa El Aswany aime ses personnages et il nous le montre. Même ceux qui péchent et blasphèment, même les fautifs et les égarés. Dans un pays où les libertés sont limitées, où le simple métier de vos parents peut vous fermer les portes de tous les emplois de la ville, où une femme est obligée de donner son corps pour espérer un maigre salaire, il est dur de lutter et de rêver.
C'est un roman dur contenant certains passages difficiles mais il n'y a ni voyeurisme, ni violence gratuite. Tout est pesé, chaque propos étudié ce qui rend cette oeuvre intime et personnelle.
Une très très belle surprise que ce beau roman. Une fin à la fois cruelle et douce qui m'a touchée le coeur ...
Je vous le conseille fortement!
...
" - Maintenant, je vais te faire écouter la plus belle voix du monde. Une chanteuse française qui s'appelle Edith Piaf. La plus grande chanteuse de l'histoire de France. Tu en as entendu parler?
- Mais d'abord, je ne comprends pas le français.
Zaki fit un signe pour indiquer que cela n'avait pas d'importance. Il appuya sur le bouton du magnétophone et il en jaillit un air de danse au piano. La voix de Piaf s'éleva chaude, forte et pure. Zaki se mit à remuer la tête en cadence et dit :
- Cette chanson me rappelle des jours heureux.
- Que veulent dire les paroles?
- Elles parlent d'une fille qui est debout au milieu de la foule. Les gens la poussent malgré elle vers quelqu'un qu'elle ne connaît pas et, dès qu'elle le voit, elle se sent attirée par lui. Elle voudrait rester à ses côtés toute sa vie mais, soudain, les gens la poussent loin de lui. A la fin, elle se retrouve seule et l'homme qu'elle a aimé est perdu pour toujours.
- La pauvre!
- Bien sûr, cette chanson est symbolique. Cela veut dire que quelqu'un peut passer toute sa vie à chercher la personne qui lui convient et, au moment où il la trouve, il la perd ... "
(L'immeuble Yacoubian, Actes Sud, 2006, p187)



(Source image : le film L'immeuble Yacoubian. Allocine.fr)

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Il est en effet très tentant, ce roman. Si en plus tu dis que ce n'est pas que violence et trucs pathétiques, ça me tente encore davantage.

Anonyme a dit…

Déjà en mode recherche pour moi afin de me procurer ce livre. Merci Romanza.

jelydragon a dit…

J'ai envie de le lire depuis quelques temps. Ton avis me conforte dans cette idée :)