lundi 21 mai 2007

Ancienne lecture : Près du feu où je m'enfouis ...

Lettres portugaises
Guilleragues


Folio, Paris, 1990

Une femme délaissée par son amant lui écrit du fond de son couvent.


Les lettres se lisent bien. C'est agréable. Les mots touchent, les mots bouleversent. Plus qu'une histoire de maîtresse délaissée, on assiste à un concert de rhétorique. Les phrases sont sublimes, le style parfait.Ce livre est, comme l'a été La nouvelle Héloïse ou La princesse de Clèves, l'un des premiers Bestsellers français. De nombreuses dames du 17ème siècles ont pleuré sur ces lettres au coin du feu. Un texte court, facile à lire et agréable, faisant parti de l'histoire de la littérature française ... je ne vous conseille que de le lire

" Considère mon amour, jusqu'à quel excès tu as manqué de prévoyance. Ah ! malheureux, tu as été trahi, et tu m'as trahie par des espérances trompeuses. Une passion sur laquelle tu avais fait tant de projets de plaisirs ne te cause présentement qu'un mortel désespoir, qui ne peut être comparé qu'à la cruauté de l'absence qui le cause. Quoi! cette absence, à laquelle ma douleur, toute ingénieuse qu'elle est, ne peut donner un nom assez funeste, me privera donc pour toujours de regarder ces yeux dans lesquels je voyais tant d'amour, et qui me faisaient connaître des mouvements qui me comblaient de joie, qui me tenaient lieu de toutes choses, et qui enfin me suffisaient? Hélas! les miens sont privés de la seule lumière qui les animait, il ne leur reste que des larmes, et je ne les ai employés à aucun usage qu'à pleurer sans cesse, depuis que j'appris que vous étiez enfin résolu à un éloignement qui m'est si insupportable, qu'il me fera mourir en peu de temps. Cependant il me semble que j'ai quelque attachement pour des malheurs dont vous êtes la seule cause: je vous ai destiné ma vie aussitôt que je vous ai vu, et je sens quelque plaisir en vous la sacrifiant. J'envoie mille fois le jour mes soupirs vers vous, ils vous cherchent en tous lieux, et ils ne me rapportent, pour toute récompense de tant d'inquiétudes, qu'un avertissement trop sincère que me donne ma mauvaise fortune, qui a la cruauté de ne souffrir pas que je me flatte, et qui me dit à tous moments: cesse, cesse, Mariane infortunée, de te consumer vainement, et de chercher un amant que tu ne verras jamais; qui a passé les mers pour te fuir, qui est en France au milieu des plaisirs, qui ne pense pas un seul moment à tes douleurs, et qui te dispense de tous ces transports, desquels il ne te sait aucun gré. "

(Lettres portugaises, Extrait - Début de la lettre 1, Folio)


(Source de l'image : teleramaradio.fr)

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