dimanche 25 octobre 2015

Des portes qui grincent et autres tracas de la vie de château

 Le roi fantôme
Pearl Buck
Challenge Petit bac 2015

Le livre de poche, 1965.

Conserver Staborough Cassie est devenu un luxe que Sir Richard. et Lady Mary ne peuvent plus se permettre. Ils se voient dans l'obligation de. vendre. Un acheteur s'est présenté, un Américain qui se propose de transformer le château en musée. La solution est digne du passé de cette demeure qui accueillit pendant cinq siècles les rois d'Angleterre avant d'être cinq autres siècles durant la résidence des Sedgeley.

Ce que n'avaient compris ai Sir Richard ni Lady Mary, c'est que John Blayne veut transporter leur château pierre par pierre aux Etats-Unis. Rompre les pourparlers en criant au sacrilège -est leur première réaction, mais comment trouver l'argent si nécessaire ? A moins de dénicher un trésor par quelque miracle - un miracle que Lady Mary va implora des hôtes invisibles de ta maison. Est-elle folle ou les fantômes existent-ils ? De curieux incidents se produisent à la suite desquels john Blayne a bonne envie de laisser tomber l'affaire.
Seulement - il y a Kate, la mystérieuse jeune fille au statut mal défini, si aimée des sedgeley, si attachée à les défendre. A cause du mystère Kate, John restera pour, affronter les fantômes et les secrets de la vieille demeure.


Octobre oblige, j'ai ouvert une histoire de revenants, de couloirs sombres et glacés et de secrets de famille.
Le roi fantôme est mon douzième roman de Pearl Buck et le premier qui ne traite pas de l'Asie. Dans l'ensemble, la sensation a été assez étrange et je n'ai pas tout à fait reconnu la douce plume de ma chère Pearl Buck. Ce roman est un peu à part dans son oeuvre. Je ne conseillerai pas aux lecteurs de découvrir Pearl Buck avec ce roman. J'ai aimé ma lecture, mais c'est avant tout un "roman-détente". Je n'ai pas retrouvé la philosophie de vie de Pearl Buck, sa poésie et sa finesse d'analyse. En préface, l'auteure explique que ce roman a été écrit pour en faire un scénario de film. Ceci explique peut-être cela.
Le roi fantôme est, malgré tout, plaisant à lire. J'ai énormément aimé les premières pages. J'ai retrouvé cette ambiance anglaise que j'aime tant. On se croirait presque dans un épisode de Downton abbey. Le lord et la lady du château de Staborough n'ont plus les moyen d'entretenir leur domaine et leurs terres. Nous plongeons dans un monde ancien fait d'étiquettes et de bienséances. Nous voyons en parallèle la vie des maîtres et celles des domestiques. Nous retrouvons le thème cher à Pearl Buck du conflit entre passé et modernité. Dans chacun de ses romans, l'importance de concilier les valeurs de l'ancien temps avec les idées nouvelles est essentielle. Malheureusement, au fil des pages, le charme d'épuise un peu. L'ambiance un peu gothique est toujours agréable, mais l'histoire regorge de clichés et de rebondissements très peu crédibles. Les personnages s’essoufflent et l'intrigue avec eux
Le roi fantôme ne montre pas la profondeur et la sensibilité de la plume de Pearl Buck. Il faut lire ce texte par curiosité et amusement. J'ai aimé le découvrir, mais nous sommes loin des sublimes La mère ou Pavillon de femmes. 
" Sir Richard arrêta son cheval et contempla ses champs. Après le déjeuner, une brume légère avait presque obscurci l'atmosphère, mais les jours allongeaient et le soleil avait eu raison de cette brume. Le spectacle était beau : les blés commençaient à verdoyer dans les champs et ses bonnes vaches de Guernesey paissaient dans les prairies aux formes ondulantes. Au loin, un groupe de toits indiquait l'emplacement du village et ça et là un bouquet d'arbres abritait un cottage et une famille de fermier. "
(Le roi fantôme, Pearl Buck, Le livre de poche, 1965, p 101)
(Source image : fougeret.com. Gustave Doré)

samedi 24 octobre 2015

Swap annuel entre copines!

Comme chaque année depuis 4 ans, mon amie Unlivre Unthé et moi nous sommes confortablement installées chacune chez soi pour ouvrir notre colis. Moment égoïste et réconfortant.

L'année dernière, nous avions choisi le thème Pluri'elles, un hommage aux écrivains et aux héroïnes féminines. Cette année, notre choix s'est porté sur les Intrigues policières

A 15h ce samedi (jour et heure choisis avec mon amie), je me suis préparée un thé et me suis installée sur mon lit ... seule au calme.


J'ai d'abord trouvé une jolie carte fabriquée main, puis plein de petits paquets décorés chacun d'empreintes de pas. Tout de suite plongée dans le thème des intrigues policières, j'ai pris le temps d'avaler une gorgée de thé pour enfin tout déballer.


La carte m'indiquait que je devais d'abord ouvrir les paquets numérotés de 1 à 5, il s'agissait des cadeaux littéraires. Cinq romans que je rêvais de lire depuis bien longtemps. Des choix parfaits ... 

  • Un cadavre dans la bibliothèque d'Agatha Christie. Lire un de ses romans est toujours un régal et ce titre enchanteur est très prometteur.
  • Le secret de Lady Audley de Mary Elizabeth Braddon. Noté depuis une décennie, je suis ravie de découvrir bientôt cette dame de la littérature anglaise. 
  • Les apparences de Gillian Flynn. Je lis peu de policier contemporain, mais j'avais repéré celui-là depuis longtemps. J'ai hâte de me plonger dans ce pavé et d'y laisser mes nuits. 
  • Un intérêt particulier pour les morts d'Ann Granger. L'ambiance, la couverture, l'héroïne, les nombreux avis positifs, ... une série que je rêve de découvrir. 
  • Rêves de garçons de Laura Kasischke. Auteure découverte récemment avec Esprit d'hiver, je suis pressée de la retrouver et qu'elle joue de nouveau avec mes émotions. 
J'ai ensuite eu à ouvrir les autres paquets. Plusieurs surprises, gourmandises et petits plaisirs ... 
  • Deux paires de chaussettes au design mystérieux et hivernal. Mes pieds ont hâte de s'y lover.
  • Des amandes enrobées de chocolat. Je confesse en avoir goûté une immédiatement après avoir déballé le paquet ... Un délice.
  • Un jeu de déduction Oudordodo. Je suis une grande fan des jeux Djeco et je suis aux anges de posséder celui-là. Je suis pressée de le tester avec mon Romanzino. Une superbe idée!
  • Un carnet de notes magnifique. Je suis sous le charme de son design simple et élégant. 
  • Deux sublimes tampons pour ma correspondance. 



Je ne remercierai jamais assez ma tendre amie pour ce sublime moment et tous ces beaux présents. J'ai été bien trop gâtée. 
Ce swap annuel est toujours un régal qui met du baume au cœur, chasse les tracas du quotidien, nous enveloppe comme un bain chaud durant quelques minutes de pur bonheur. Et de savoir qu'à 800 km de moi ma chère amie ouvre, elle aussi, son colis préparé avec soin rend ma joie encore plus grande. 

Merci mille fois pour ce colis délicat et original! 


Pour voir le colis reçu par Unlivre Unthé c'est ici!

mercredi 14 octobre 2015

Dans la fumée des usines

La colline aux cyprès
Louis Bromfield
Challenge Myself - Automne

Livre de poche, 1966 (édition récente, La table ronde, 2003)

Un parc de fleurs, d'arbres et de statues baignant dans une atmosphère de fumées, de suie, dans le bruit infernal des hauts-fourneaux. Planté au milieu des glycines, des pivoines et de la lavande, le château de Shane, une grande maison carrée, mi-géorgienne, mi-gothique, avec sa façade de pierres blanches et ses pignons. Voilà, quelque part entre Cleveland, Chicago et Detroit, la Colline aux Cyprès, au début du XIXe siècle. Il n'y a pas de cyprès, seulement des cèdres. Mais John Shane les avait appelés cyprès et il en fut ainsi car John Shane était le chef de famille. Il était mort vers 1890 ; il resta alors sa femme Julia, ses filles Irène et Lily, leur tante Hattie Tolliver, une famille disséminée entre Paris, Londres et l'Amérique. L'histoire de la Colline aux Cyprès, celle du château de Shane, se confond avec les secrets, les rêves, les drames de Lily et d'Irène ... 

Il y a quelques temps, j'avais été transportée par le sublime Précoce automne de Louis Bromfield. Un roman qui m'avait envoûté par sa justesse et sa sensibilité. La colline aux cyprès marque ma seconde rencontre avec cet auteur américain un peu oublié. Je dois reconnaître, malgré moi, que je n'ai pas eu le coup de cœur de Précoce automne. La colline aux cyprès se veut plus ambitieux et perd cette simplicité et cette vérité qui m'avait tant touchée lors de ma première rencontre avec l'auteur. Pourtant, bien que je reconnaisse des faiblesses et une certaine irrégularité à La colline aux cyprès, j'ai aimé ma lecture. J'ai passé de doux moments plongée dans son univers. 
La colline aux cyprès, c'est d'abord une ambiance. Celle d'un vieux château dominant une ville. Cette dernière bâtie par les premiers côlons est devenue une ville industrielle, sale et bruyante. Seule preuve du passé, le château des Shane. Je n'ai pu m'empêcher de penser aux descriptions d'Elizabeth Gaskell dans Nord et Sud. L’aciérie est vue par les Shane comme Margaret Hale voit la fabrique de coton de Milton. Mais là où l'opinion de Margaret change et évolue, celle des Shane reste noire et pessimiste. 
Même la Vénus de Cnide et l'Apollon du Belvédère, fendus et souillés dans les niches de la haie morte, étaient complétement enfouis sous les munitions. Parce que quelque part dans le monde des hommes étaient tués, les aciéries faisaient d'énormes affaires. La Villese développa comme jamais. Les prix étaient exorbitants. Tout endroit empestait la prospérité et le progrès. (p475)
J'ai été emportée par cet univers mêlant modernisme et tradition. Louis Bromfield décrit à merveille les lieux, les parcs, les paysages, les salons. J'ai très bien vu chaque espace comme si j'y étais. 
C'est vrai que les personnages ne sont pas attachants. Lily m'est devenue sympathique qu'à la fin du livre lorsqu'elle commence à moins se regarder le nombril. J'ai été touchée par Irène, l'incomprise. Elle m'a émue car ses choix de vie ne sont pas respectés. Mais on ne peut pas dire qu'elle soit sympathique. Mrs Shane, quant à elle, est sévère et froide. Autour d'eux, beaucoup de personnages gravitent. Nous les rencontrons, ils disparaissent, puis on les recroise pour les voir s'enfuir à nouveau. Durant toute la lecture, on ne sait pas où nous mène Louis Bromfield. Il faut accepter de se laisser aller. Non pas que la lecture soit difficile ou complexe. Le style est fluide, l'histoire dans sa forme est simple et classique. Je dirai que c'est dans le fond que Bromfield nous perd. La colline aux cyprès est un lieu plein de secret, l'homme qui l'a bâti aussi, on s'attend à des secrets de famille, des révélations, ... Finalement, il n'y a rien de cela. Louis Bromfield ne dévoile rien. Attendez-vous à être frustré en fermant ce roman. Nous n'avons aucune réponse. Ni sur ce qui s'est passé, ni sur l'attitude des personnages, leurs décisions, leurs sentiments, leurs secrets. La colline aux cyprès est le roman des non-dits. Les personnages ne sont pas attachants parce que l'auteur ne les excuse pas, il ne nous explique pas leurs réactions ou leurs émotions. Il écrit ce qui se passe et se dit. Voilà tout. Il se passe mille choses, on passe de Paris aux Etats-Unis en quelques chapitres, on parle d'amour, de guerre, de socialisme, de religion ... Pourtant, Louis Bromfield ne dit rien, il sous-entend
" - Je croyais, dit-elle, que j'avais fini de pleurer. je devais avoir beaucoup de larmes." 
Lily qui ne pleurait jamais. (p430) 
Et puis, l'écriture de Louis Bromfield est belle. Il y a ces petites phrases si justes, si sensibles qui arrivent droit au cœur. 
Au final, La colline aux cyprès est une lecture assez étrange, mais que j'ai beaucoup aimé. J'ai apprécié ses faiblesses et ses étrangetés. C'est un roman prenant et envoûtant, facile à lire mais en réalité très complexe. C'est un texte assez particulier. 
J'ai hésité souvent durant ma lecture. Je n'arrivais pas à savoir si j'aimais ou non. Mais plusieurs signes sont venus m'aider. J'ouvrais La colline aux cyprès toujours avec plaisir et intérêt et depuis que je l'ai fini, j'y pense beaucoup et mon attachement pour ce texte devient plus fort de jour en jour. 

Louis Bromfield a écrit un roman, Emprise, où l'on retrouve un des personnages secondaires de La colline aux cyprès, Ellen. J'ai été très tentée d'enchaîner et d'attaquer immédiatement Emprise. Mais encore perturbée par ma lecture de La colline aux cyprès, j'ai préféré laisser un peu de temps. 
" Chacun de nous est différent des autres. Il n'est pas deux êtres qui se ressemblent. Et personne ne connaît vraiment personne d'autre. Un domaine reste toujours caché et secret, au plus profond de notre âme. Aucun mari ne connaît sa femme, Hattie, et aucune femme ne connaît vraiment son mari. Quelque chose reste toujours à l'écart, intact et mystérieux, impossible à découvrir, car nous-mêmes ne savons pas exactement ce que c'est. Parfois c'est scandaleux. Parfois c'est trop beau, trop précieux pour être jamais révélé. Cela dépassé la révélation, même si nous décidons de révéler ... " 
(La colline aux cyprès, Louis Bromfield, Livre de poche, 1966, p211)

La femme en blanc, Alfred Roll.

vendredi 9 octobre 2015

Tea time tag

Tea time tag



Je reprends ce joli tag, mêlant thé et littérature, trouvé chez ma chère Eliza.
Comment ne pas être tentée lorsque j'entends parler de deux de mes plus grandes passions?



English breakfast tea – Un livre que tout le monde t’as recommandé et que tu as donc fini par lire … Le petit prince de Saint-Exupéry. Je l'ai découvert à l'âge adulte. C'est un roman nécessaire qui remet les choses essentielles de la vie à leur juste place.

Earl Grey – Un livre sombre qui t’as laissé une forte impression même après l’avoir terminé … Rebecca de Daphné du Maurier. Un roman addictif, écrit d'une main de maître, parfait d'un bout à l'autre.

Rooibos – Un livre qui t’as fait découvrir un autre pays que le tien … La mère de Pearl Buck. Ce roman fut mon premier de cette grande dame. Sa simplicité m'a éblouie. La Chine, ses rizières, ses paysages, ses coutumes si éloignées des nôtres. 

Chaï – Un livre de ta PAL, que tu es sûre d’aimer avant même de l’avoir lu … Vingt ans après d'Alexandre Dumas, parce que cet écrivain est un génie.

Darjeeling – Une pépite que tu aimes tellement que tu la recommandes à tout le monde … Il y en a beaucoup et principalement des classiques. Mais j'ai tendance à conseiller un court roman contemporain sublime qui peut plaire même aux gens qui n'aiment pas lire : La petite cloche au son grêle de Paul Vacca. Un bijou!

Oolong – Le genre livresque que tu considères comme ton péché mignon … Ce n'est pas un genre, mais je dirai les romans dits "classiques" (et j'entends mon prof de littérarité à la fac' me dire "Ah oui! Mais qu'est ce qu'un classique???"). Je reviens souvent vers ses œuvres majeures. Classiques mondialement connus ou oubliés, de France ou d'ailleurs, anciens ou plus récents, ... Mes lectures sont principalement classiques. J'aime leur beau langage, leur maîtrise, leur vérité qui traverse les âges. 

Ginseng – Un livre qui t’as fait sortir d’une panne livresque … Je n'ai jamais réellement connu de panne de lecture. Quand j'ouvre un livre, je le lis jusqu'au bout. Je n'ai jamais eu de journée dans ma vie sans un livre en cours. Mais parfois, j'enchaîne les lectures médiocres. Il y a quelques temps, c'est le très beau Ecoute la pluie de Michèle Lesbre qui m'a réconforté après 3 romans décevants.

Camomille – Un livre qui t’as endormi et que tu n’as pas pu finir … Je finis tous les romans que je commence (ça m'agace d'ailleurs d'être comme ça). Il y a peu de temps Salammbô de Flaubert m'a endormie comme rarement. 

Thé au jasmin – Un livre qui t’as chamboulé mais que tu n’as pas pu reposer avant de l’avoir fini ... Je dirai Precious de Sapphire. Un des romans les plus durs que j'ai lu, mais une fois commencé, je n'arrivais pas à le lâcher. 

Thé vert Matcha – Le livre que tu considères comme le joyau de ta bibliothèque …  Tout comme Eliza, il s'agit de la seule édition de La pléiade que je possède, La maison d’Âpre Vent de Charles Dickens. Non lu encore. 




jeudi 1 octobre 2015

" Elle respectait les lys dans les champs ..."

Toute passion abolie
Vita sackville-West

Le livre de poche, Editions Autrement, 2011.

Le jour même de la mort de son mari Henry Holland, comte de Slane, lady Slane décide de vivre enfin sa vie. Elle a quatre-vingt-huit ans. Lady Slane surprend alors son entourage en se retirant à Hampstead. Dans sa nouvelle demeure, toute passion abolie par l'âge et le choix du détachement, lady Slane se sent libre enfin de se souvenir et de rêver.

Même si l'on ne recherche que la simplicité, comment échapper à la complexité de la vie? " (p68)
J'ai déjà lu Vita Sackville-West à deux reprises. J'ai aimé chacune de mes lectures, pourtant il aura fallu attendre Toute passion abolie pour que je ressente un réel coup de cœur. Cette troisième rencontre m'a totalement bouleversée.  
J'ai été prise par surprise, je ne m'y attendais pas. L'histoire de Lady Slane m'a conquise et envoûtée. Dès les premiers mots, je me suis sentie enveloppée ... comme dans un bain de mousse. Toute passion abolie est d'une délicatesse rare. Chaque phrase, chaque mot est juste. Sans fioritures, avec naturel, Vita Sackville-West offre un texte sublime. 
J'ai aimé la simplicité de ce roman. Toute passion abolie est un hymne aux instants précieux. Paysages, pensées et souvenirs se mêlent pour nous offrir d'inoubliables pages de Littérature. 
Les réflexions de cette vieille héroïne attachante ont résonné en moi. J'ai compris ses mots et ses pensées. Entre ironie et gravité, Lady Slane revient sur sa vie et ses erreurs. 
" Écoutant Genoux, qui imperturbablement racontait son passé, elle se demanda quelles blessures étaient les plus profondes : celles, véritables et physiques, de la réalité ou les meurtrissures invisibles et mentales de l'imagination. " (p203). 
Ce qui fait la richesse de ce roman, c'est l'héroïne et son état d'esprit d'acceptation, de paix et de sérénité. Elle a des regrets, mais elle trouve enfin à quatre-vingt-huit ans, la tranquillité qu'elle a toujours recherché. 
" Pour ce qui est de la beauté, il suffisait de la regarder, si raffinée, si âgée, tellement charmante, authentique sculpture d'ivoire, fluide silhouette blottie dans son fauteuil, menue, souple, le reflet des flammes seul ajoutant un éclat de lumière sur ses joues et sa chevelure neigeuse. La jeunesse ne peut rivaliser avec la beauté qui émane d'une telle personne, songea t-il encore. Chez une jeune femme, le visage n'est rien d'autre qu'une page encore vierge. Il n'y a qu'à nos âges qu'il est possible de s'installer aussi paisiblement, dans un calme absolu, comme si toute hâte, tout mouvement étaient désormais abolis, et qu'il ne reste rien que l'attente et l'acceptation. " (p156). 
J'ai eu envie moi aussi de connaître ce sentiment de paix, de revenir avec calme et clarté sur ma vie. J'ai aimé les pages où elle prend son indépendance, visite sa nouvelle maison, crée des liens d'amitié avec de touchants et loufoques personnages. Même si Toute passion abolie est parfait de bout en bout, j'aurai aimé plus de pages, j'aurai aimé vivre un peu plus longtemps près de Lady Slane.  

Toute passion abolie est également très engagé. Texte féministe, il met en lumière le peu de liberté des femmes et leur soumission perpétuelle. Sous un masque de gentillesse et de galanterie, les hommes prennent le destin de leur épouse et de leurs filles en main. Certes Lady Slane n'a pas été malheureuse, elle reconnaît elle-même qu'elle a aimé son mari et vécu une existence riche. Mais ce n'est pas cette vie là qu'elle désirait. Elle a du se contenter de ce qu'on lui offrait, sans jamais avoir la possibilité de faire ses choix.
" Comme les femmes font du tapage autour du mariage! pensait-elle, mais qui les blâmerait, puisqu'il est la seule et unique histoire de leur vie? n'est-ce pas pour ce rôle qu'elles ont été façonnées, habillées, déguisées, éduquées - si tant est qu'on puisse appeler cet apprentissage une éducation - , protégées, gardées à l'abri, couvées, parquées, réprimées, et tout cela pour que, le moment venu, on puisse les livrer, ou qu'elles puissent livrer leurs filles, au service de l'Homme? " (p119)
Mon avis est extrêmement décevant. Je n'arrive pas à écrire ce qui m'a tant émue dans les mots de Vita Sackville-West. Ce fut un moment intense de lecture, une immersion totale. J'avais parfois envie de revenir en arrière, d'entendre de nouveau certaines phrases, certaines pensées si justes de Lady Slane. 
"Simplicité" est le mot le plus juste pour parler de Toute passion abolie. Simplicité des mots et de l'histoire. Mais de cette simplicité ressort une force incroyable. Tout passion abolie est un texte que je relirai. Pour l'instant, je n'arrive pas à le reposer dans ma bibliothèque car je continue à grignoter quelques passages. Cette oeuvre ne m'a pas encore tout révélé. 
C'est le livre d'une vie. Celui que l'on ressort, que l'on redécouvre à tout âge.
Un livre rare.
" Elle avait parfois éprouvé la sensation de vivre dans une humanité plongée dans un monde d'illusions, embarquée dans des rêves à la fois dérisoires et dangereux. Ce système lui semblait être basé sur des conceptions fausses. Le hasard seul avait fait que les hommes avaient pris l'or et non la pierre comme symbole de la réussite, qu'ils bâtissaient leur vie sur l'esprit de compétition et non sur la tendresse. Mais pourquoi n'était-il pas venu à l'esprit des habitants de la planète qu'elle tournerait beaucoup mieux tout simplement avec des pierres et de la tendresse? "
(Toute passion abolie, Vita Sackville-West, Livre de poche, 2011, p97) 

(Source image : Lady in white, Théo Van Rysselberghe)