mardi 24 mars 2020

Si tu ne vas pas à Chabert, Chabert ira à toi!

Le colonel Chabert 
Honoré de Balzac
GF Flammarion 1994

L'histoire du colonel Chabert est une histoire comme il y en a depuis qu'il y a des guerres, une histoire aussi vieille que celle d'Agamemnon de retour de la guerre de Troie découvrant son épouse Clytemnestre dans les bras d'Egisthe, aussi vieille que celle d'Ulysse regagnant, après des années d'épreuves, son palais d'Ithaque pour le voir envahi par des prétendants, une histoire comme il en eut sans doute des milliers au cours de l'Empire et au début de la Restauration : le colonel Chabert, tenu pour mort à la bataille d'Eylau, revient chez lui un beau jour de juillet 1815, après des années d'errance et de souffrance, trouve sa femme, héritière de toute sa fortune, remariée et mère de deux enfants, sa maison démolie, la rue même où elle se trouvait débaptisée, et tente de recouvrer son identité dans un monde aux yeux duquel il n'existe plus. 

Un petit Balzac, ça ne peut pas faire de mal! Même si, comme moi, on lit cet auteur pour la 18ème fois. 
J'ai croisé Le colonel Chabert au collège. Il fallait choisir entre deux œuvres de Balzac : Le colonel Chabert et La duchesse de Langeais. J'avais choisi le second. Voilà pourquoi je n'avais toujours pas lu cette oeuvre de Balzac pourtant très connue. C'est chose faite! 
Le colonel Chabert est un roman extrêmement court. Je connaissais vaguement l'histoire. Même si je préfère lire Honoré dans des textes plus longs et fouillés, j'ai passé un agréable moment. Le lecteur suit le colonel Chabert présumé mort sur le champ de bataille dans sa quête pour retrouver son identité. On pourrait voir en Chabert une sorte d'Edmond Dantés, mais le vieux colonel n'a ni l'âge, ni la fougue, ni la rague du Comte de Monte Cristo. Au final, ce roman est assez doux et calme, alors qu'il s'agit d'une histoire d'honneur et de désespoir. C'est un texte qui se lit vite, avec lequel on passe un agréable moment, mais le nombre réduit de page ne m'a pas aidé à être totalement en empathie avec le héros.  
Je comprends que l'on fasse lire ce roman au collégien. Il me paraît être un texte percutant pour démarrer Balzac. Malheureusement, il ne montre pas assez le génie de cet écrivain. Il ne faut pas que lire Le colonel Chabert, mais se précipiter très vite vers ses autres textes.
" Colonel, votre affaire est excessivement compliquée, lui dit Derville en sortant de la chambre pour s'aller promener au soleil le long de la maison.
- Elle me parait, dit le soldat, parfaitement simple. L'on m'a cru mort, me voilà! Rendez-moi ma femme et ma fortune ; donnez-moi le grade de général auquel j'ai droit, car j'ai passé colonel dans la garde impériale, la veille de la bataille d'Eylau. "
Le colonel Chabert, Balzac.
(Photos : Romanza2020)

samedi 21 mars 2020

Face à face

Les Braises
Sandor Marai
Livre de poche, 2003.

Reconnu comme l’un des plus grands auteurs de la littérature hongroise et l’un des maîtres du roman européen, l’écrivain Sándor Márai (1900-1989) s’inscrit dans la lignée de Schnitzler, Zweig ou Musil. L’auteur des Révoltés, des Confessions d’un bourgeois ou de La Conversation de Bolzano n’a eu de cesse de témoigner d’un monde finissant, observant avec nostalgie une Europe mythique sur le point de s’éteindre. À travers la dramatique confrontation de deux hommes autrefois amis, Les Braises évoque cette inéluctable avancée du temps. Livre de l’amitié perdue et des amours impossibles, où les sentiments les plus violents couvent sous les cendres du passé, tableau de la monarchie austro-hongroise agonisante, ce superbe roman permet de redécouvrir un immense auteur dont l’œuvre fut interdite en Hongrie jusqu’en 1990.

Sandor est un homme qui prend de plus en plus de place dans ma vie et j'en suis bien heureuse. En 6 lectures, il s'est hissé en tête de mes auteurs favoris
Les braises fut un véritable coup de cœur et je suis déçue de l'avoir lu dans une période chargée ce qui ne m'a pas permise d'être totalement engloutie par le texte. Mais je suis certaine que je le relirai.
Les braises est un texte d'une puissance rare. Ceux qui aiment déjà Marai doivent impérativement se jeter sur ce roman. Quant aux autres, ouvrez Marai très rapidement! 
Comment parler de ce roman? Cela me paraît bien difficile. Ce huis-clos est un bijou de finesse et de psychologie si bien  qu'il me paraît difficile de le chroniquer en quelques lignes. Soit on écrit une thèse dessus, soit on se contente de dire : "Lisez-le!". Bon ... vu que je n'ai pas les compétences d'une thésarde, je vais vous dire tout simplement de le lire .... Mais je vais faire l'effort de rajouter deux ou trois bricoles tout de même.

L'ouverture du roman est déjà splendide. Un vieil homme, seul avec sa gouvernante totalement dévouée, apprend l'arrivée d'un homme. On sait qu'il ne l'a pas vu depuis des années. L'ambiance est posée. La langue de Marai est précise, pudique, toute en retenue. Le roman, dans les pages suivantes, revient en arrière et nous parle des jeunes années du vieil homme ainsi que de sa rencontre avec son "ami". Je me suis délectée des pages parlant de l'Empire Austro-hongrois. Prater, Impératrice, valse, .... je me suis complètement plongée dans cet univers envoûtant. Ces pages sont délicieuses et on lit avec émotion le récit de cette amitié. Marai nous ramène rapidement au salon où se tiennent les deux vieillards, plus de 40 ans après leur dernière rencontre. A partir de là, Marai nous fait la démonstration de son génie, l'art de tout dire ... sans rien dire. Tout y est : la jalousie, la rancœur, la douleur, l'amour. Pourtant, Marai ne dit presque rien. Il observe, raconte, transcrit les paroles des deux hommes. Ce face à face est d'une rare intensité et fait partie de ces grands moments de littérature à lire absolument. J'ai lu en apnée les dernières lignes. Il faut, comme souvent avec Marai, accepter de ne pas avoir toutes les réponses. C'est ce que j'ai fait ... et j'ai adoré!
Heureusement pour moi, Sandor Marai a écrit encore de nombreux livres et je vais pouvoir me saouler encore longtemps de sa prose. 
" Le château était un monde à soi, à la manière de ces grands et fastueux mausolées de pierre dans lesquels tombent en poussière des générations d’hommes et de femmes, enveloppés dans leurs linceuls de soie grise ou de toile noir. … Il conservait également le souvenir des morts. Des souvenirs qui se dissimulaient dans les recoins, comme se cachent les chauve-souris, les rats, les cloportes, dans l’humidité grise des très vieilles caves. "
Les braises, Sandor Marai.
(Photos : Romanza2020)

La mayonnaise ne prend pas toujours, c'est pas pour autant qu'elle ne se mange pas!

Lambeaux
Charles Juliet
Folio, 2012.

Dans cet ouvrage, l'auteur a voulu célébrer ses deux mères : l'esseulée et la vaillante, l'étouffée et la valeureuse, la jetée-dans-la-fosse et la toute-donnée.

La première, celle qui lui a donné le jour, une paysanne, à la suite d'un amour malheureux, d'un mariage qui l'a déçue, puis quatre maternités rapprochées, a sombré dans une profonde dépression. Hospitalisée un mois après la naissance de son dernier enfant, elle est morte huit ans plus tard dans d'atroces conditions.
La seconde, mère d'une famille nombreuse, elle aussi paysanne, a recueilli cet enfant et l'a élevé comme s'il avait été son fils.
Après avoir évoqué ces deux émouvantes figures, l'auteur relate succinctement son parcours. Ce faisant, il nous raconte la naissance à soi-même d'un homme qui est parvenu à triompher de la «détresse impensable» dont il était prisonnier. Voilà pourquoi Lambeaux est avant tout un livre d'espoir.


Lambeaux est un beau texte ... que j'aurais aimé apprécier davantage. Je ne sais pas trop pourquoi mais je n'ai pas été aussi touchée que ce que j'aurais voulu. Il est vrai que l'histoire est touchante, voire déchirante à certains moments. C'est vrai que les mots sont beaux et justes. Mais, je ne saurais expliquer réellement pourquoi, j'ai trouvé un manque de simplicité, d'authenticité. Étrangement, ce "tu" utilisé par l'auteur m'a agacée. Je l'ai trouvé lourd et surfait. Je me rends bien compte que je suis un peu dure avec ce roman fin et bien écrit, mais c'est ainsi, ça n'a pas réellement pris. 
Lambeaux est un roman qui rend hommage aux femmes. Pour cela, je l'en remercie. Il donne la parole (mais la donne-t-il vraiment en utilisant le "tu"?) aux oubliées. A ces femmes qui n'étaient pas faites pour être épouses et mères, mais à qui on a refusé un autre destin. Il rend hommage aux femmes courageuses, généreuses, qui donnent tout sans rien recevoir ... mais qui n'avaient pas réellement le choix. Je ne peux qu'être touchée par un texte dont l'histoire est si émouvante, le sujet si féminin et féministe. Mais bizarrement, j'ai trouvé un quelque chose de trop "masculin" à ce texte. En s'adressant à elles, ses deux mères, on ne l'entend que lui, l'Homme. C'est dommage. J'aurais aimé entendre leur voix, à elles. 
Un roman à lire. J'en attendais davantage en ce qui me concerne, mais il mérite amplement d'être lu. L'écriture est délicate et poétique. Merci à mon amie UnlivreUnthé de me l'avoir fait découvrir. 
" Tes yeux. Immenses. Ton regard doux et patient où brûle ce feu qui te consume. Où sans relâche la nuit meurtrit ta lumière. Dans l’âtre, le feu qui ronfle, et toi, appuyée de l’épaule contre le manteau de la cheminée. A tes pieds, ce chien au regard vif et si souvent levé vers toi. Dehors, la neige et la brume. Le cauchemar des hivers. De leur nuit interminable. La route impraticable, et fréquemment, tu songes à un départ à une vie autre, à l’infini des chemins. Ta morne existence dans ce village. Ta solitude. Ces secondes indéfiniment distendues quand tu vacilles à la limite du supportable. Tes mots noués dans ta gorge. A chaque printemps, cet appel, cet élan, ta force enfin revenue. La route neuve et qui brille. Ce point si souvent scruté où elle coupe l’horizon. Mais à quoi bon partir. Toute fuite est vaine et tu le sais. "
Lambeaux, Charles Juliet.
(Photos : Romanza2020)