vendredi 28 avril 2017

" Elle souffrait trop de cette lutte entre sa maternité et son amour "

Une page d'amour
Emile Zola

Livre de poche, 1970.

La passion soudaine qui jette aux bras l'un de l'autre la belle et sage Hélène et le docteur Deberle fait l'objet d'une analyse psychologique nuancée et minutieuse. 
Entracte dans une vie monotone et réglée, cette Page d'amour sera bientôt tournée et l'héroïne retrouvera à la fois son équilibre et sa solitude.


Onzième Rougon-Macquart et toujours un plaisir immense de lecture.
Une page d'amour est sublime. Ce roman m'a embarquée dès les premières pages. Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu un début de roman si prenant, si saisissant. A peine ouvert, j'étais déjà près d'Hélène, Pierre et Jeanne. Je ferme les yeux et revois Hélène, échevelée, courant désespérément à la recherche d'un médecin. 
Hélène a une existence paisible et sereine. Veuve depuis quelques mois, elle vit seule avec sa fille, Jeanne. Son existence ne tourne qu'autour de son enfant à la santé fragile. Sa passion (réciproque) pour le docteur Deberle viendra tout bouleverser. 
Zola analyse avec finesse chaque sentiment, chaque émotion. Ce roman, à première vue, semble moins cruel que d'autres Rougon-Macquart. Il n'y a pas de vils personnages ou de bas sentiments. Les personnages sont bons, certains un peu superficiels (comme Juliette), mais non mauvais. Leur faiblesse est d'être humains et de céder à leurs désirs. Zola restant Zola, l'histoire se terminera, malgré tout, cruellement. Les dernières pages ont réussi à me serrer douloureusement la gorge et à faire poindre une petite larme au coin de l’œil.
J'ai aimé la retenue de Zola, sa sensibilité dans la description des émotions. En quelques mots, il arrive à résumer la complexité des situations. Comme lorsque Hélène succombe à Pierre, il écrit une phrase terrible pour conclure le chapitre qui, à elle seule, décrit le cœur d'Hélène tout entier. 
Je n'ai pas vu passer ces 450 pages. L'écriture est magnifique et l'histoire passionnante. C'est cruel, c'est beau, c'est juste ... C'est Zola, quoi! 
" Dire qu'elle s'était crue heureuse d'aller ainsi trente années devant elle, le cœur muet, n'ayant pour combler le vide de son être que son orgueil de femme honnête ! Ah! quelle duperie, cette rigidité, ce scrupule du juste qui l'enfermaient dans les jouissances stériles des dévotes! Non, non, c'était assez, elle voulait vivre! Et une raillerie terrible lui venait contre sa raison. Sa raison! en vérité, elle lui faisait pitié, cette raison qui, dans une vie déjà longue, ne lui avait pas apporté une somme de joie comparable à la joie qu'elle goûtait depuis une heure. Elle avait nié la chute, elle avait eu l’imbécile vanterie de croire qu'elle marcherait ainsi jusqu'au bout , sans que son pied heurtât seulement une pierre. Et bien, aujourd'hui, elle réclamait la chute, elle l'aurait souhaitée immédiate et profonde. Toute sa révolte aboutissait à ce désir impérieux. Oh! disparaître dans une étreinte , vivre en une minute tout ce qu'elle n'avait pas vécu! "(Une page d'amour, Livre de poche, 1970, p162)


(Photos : Romanza2017)

lundi 17 avril 2017

Saké, haïkus et Cie

Les années douces
Hiromi Kawakami

Picquier poche, février 2005.

Tsukiko croise par hasard, dans le café où elle va boire un verre tous les soirs après son travail, son ancien professeur de japonais. Et c'est insensiblement, presque à leur cœur défendant, qu'au fil des rencontres les liens se resserrent entre eux. La cueillette des champignons. Les poussins achetés au marché. La fête des fleurs. Les vingt-deux étoiles d'une nuit d'automne... Ces histoires sont tellement simples qu'il est difficile de dire pourquoi on ne peut les quitter. Peut-être est-ce l'air du bonheur qu'on y respire, celui des choses non pas ordinaires, mais si ténues qu'elles se volatilisent quand on essaie de les toucher. Ce livre agit comme un charme, il capte en plein vol la douceur de la vie avant qu'elle ne s'enfuie

Les années douces est un joli roman. Cependant, j'en ressors un peu déçue. 
Il est vrai que l'écriture très simple est agréable et que le personnage du professeur est fascinant, mais je ne m'attendais pas à ça. Je pensais trouver un livre très poétique, sans intrigue, des moments de vie et des instants volés. "Ces histoires simples" vendues en quatrième de couverture sont en réalité peu nombreuses. J'ai été déçue en lisant ces éternelles pages où les deux protagonistes ne font que se saouler. Mon Dieu, mais comment font-ils pour boire autant? La quantité de saké bue dans ce roman doit se compter en plusieurs litres. Où sont les petits plaisirs que l'on m'a promis? Les premières pages ne m'ont vraiment pas convaincue et ça m'a fait beaucoup de peine. J'aime la retenue des romans asiatiques, le fait que l'on ne me dévoile pas tout, mais que l'on suggère plutôt. Étonnement, là, ça n'a pas marché. 
Puis, la dernière moitié du roman a réussi à m'emporter. Les personnages ont commencé à prendre de la profondeur et ont su me toucher. J'ai été émue par la fin du roman et par la relation qui unit le professeur et Tsukiko. 
Je pense que j'aurai aimé davantage ce livre si je n'avais pas autant été influencée par son si beau titre et par la quatrième de couverture promettant un roman sachant "capter la douceur de la vie". C'est une jolie et touchante histoire, mais j'y ai peu trouvé l'amour des instants simples que j'attendais
" Le 4 janvier, je suis rentrée chez moi et je n'ai fait que dormir pendant les deux jours qui me restaient jusqu'à la reprise du travail, fixée au 6. Un sommeil différent de celui que j'avais connu dans la maison de ma mère m'a enveloppée. C'est un sommeil peuplé à l'infini de rêves.Après deux jours de travail, je me suis une nouvelle fois trouvée en congé. Comme je n'avais plus sommeil, je me contentais de rester à traîner dans mon futon. J'avais placé à portée de main une bouilloire de thé avec une tasse, un livre et quelques revues, et allongée, je feuilletais les pages des magazines en sirotant mon thé. J'ai mangé une ou deux mandarines. L'intérieur du futon était un peu plus chaud que la température de mon corps. Je m'assoupissais très vite. Le sommeil ne durait pas longtemps, et je me remettais à feuilleter une revue. J'en avais oublié de manger. "Les années douces, H Kawakami, Picquier poche, 2005, p91-92
(Photos : Romanza2017)

samedi 1 avril 2017

Je rêvais d'un autre monde

Lettres des Isles Girafines et Le journal d'Emma
Albert Lemant

 Seuil Jeunesse, 2003 et 2007.

Lettres des Isles GirafinesAlbert Lemant nous présente une incroyable histoire. Celle de l'explorateur Lord Mamaduke Lovingstone qui, en 1912, monte une expédition et part à la recherche d’une terre imaginaire, les Isles Girafines.
Le journal d'EmmaLa suite des Lettres des Isles Girafines, mais du point de vue de Lady Emma Pawlett : après les lettres de Marmaduke à Emma témoignant des découvertes, voici le journal d’Emma. Un humour décapant et un ton faussement naïf pour exprimer la vision farfelue d’anglais à la découverte du monde.

En fin d'année dernière, j'ai visité une exposition étonnante : Les très riches heures de Kiki et Albert Lemant. Respectivement plasticienne et auteur jeunesse, ce couple crée des mondes farfelus. Certains dérangent, d'autres intriguent. J'ai, durant cette exposition, été attirée par le Girafawaland. Mais qu'est ce donc, me direz-vous? Il s'agit d'un monde entièrement inventé par Albert Lemant dans deux albums jeunesse Lettres des Isles Girafines et Le journal d'Emma et mis en scène par Kiki Lemant pour l'exposition. C'est l'univers des albums qu'elle a réussi à représenter en 3D. On finit par ne plus savoir si cette histoire est une fiction ou la réalité. Notre guide, lors de la visite, était passionnante, elle m'a totalement embarquée dans cette histoire d'expédition, de lords anglais, de découverte d'île inconnue, si bien que j'ai décidé de lire les albums. 
J'ai mis du temps avant de mettre la main dessus. Je les ai finalement empruntés à la médiathèque et je les ai dévorés. Les Lettres des Isles Girafines et surtout Le journal d'Emma sont de véritables coups de cœur. 
Sous leurs airs un peu loufoques (une histoire de girafes!!), ces deux albums soulèvent de nombreuses questions. Critique du colonialisme, de la domination blanche, défenseur du féminisme, ... ces histoires sont des pépites qui mériteraient de nombreuses heures de débats
Nous pouvons observer deux lectures différentes de ces textes. Une première assez comique, accessible aux enfants, parlant de la découverte d'un monde étrange peuplé de girafes. Une seconde plus adulte, satirique, engagée, bourrée de références en tout genre (Mervyn Peake, les Hauts de Hurlevent, Jonathan Livingston, ...). 
Dans les Lettres des Isles Girafines, nous assistons à l'expédition de Marmaduke Lovingston pour découvrir le Girafawaland. Nous apprenons en même temps que l'expéditeur à connaître ce peuple discret. Progressivement des choses étranges se passent, Lovingston change de comportement et nous assistons impuissants à la catastrophe. 
Le journal d'Emma est sublime. Emma est l'amie d'enfance de Marmaduke et c'est à elle que l'expéditeur écrit ses lettres dans le tome 1. Restée en Angleterre, elle assiste consternée à la chute des Girafawaras. Passionnée, engagée, Emma est un très beau personnage que j'aurai aimé suivre plus longtemps. A la fin de l'album, mon cœur s'est serré. 
Je ne sais pas si c'est le fait d'avoir vu l'exposition avant, mais je suis complètement rentrée dans le monde créé par Albert Lemant. 
Ces albums s'adressent aux amoureux de l'Angleterre, aux vieux romans d'aventure, à ceux qui aiment les écritures fines et intelligentes pleines d'implicites
Coup de cœur!

" Lorsque nous étions enfants, nos yeux brillaient comme si la caverne d'Ali Baba allait s'ouvrir devant nous. Aujourd'hui, le sésame a un goût amer, et mes anciens chevaliers servants ont troqué leurs rêves contre des armures bien réelles. Ce départ sonne comme un début de croisade. "
(Le journal d'Emma, A. Lemant, Seuil, 2007)

(Photos : Romanza2017)