mercredi 27 juillet 2011

Histoire de la vie ordinaire

Gatzby le magnifique
Francis Scott Fitzgerald

Les cahiers rouges, 1984.

Certains personnages de roman semblent plus vivants que les vivants parce qu'ils sont le double fraternel de l'auteur, qui les a pourvus de ce qu'il avait de plus secret, de plus désiré. Ainsi James Gatz, le héros de Gatsby le Magnifique. Ancien pauvre avant mystérieusement tait fortune, décoré de guerre, n'appartenant à aucun milieu, plus riche que les riches, l'outsider de Fitzgerald donne des fêtes fastueuses dans sa propriété de Long Island. Au bal des gouffres et des ambitions, son sourire cache une fêlure. Il aime une femme mariée, et l'aime depuis trop longtemps pour ne pas en mourir. Gatsby le Magnifique est un roman magique qui coupe le cœur en deux. Bienvenue dans les ors et les souffrances du dernier grand romantique.

J'ai passé un bon moment avec ce roman. Je découvre petit à petit la littérature classique américaine et je dois avouer que pour le moment, je n'ai que de bonnes surprises.
Pourtant, je n'ai pas trouvé que des qualités à ce texte. Les personnages ne sont pas attachants, on se sent détaché de cette histoire comme si on la vivait de très loin, alors qu'une de mes exigences en lecture est de réussir à m’immerger totalement dans le texte et de m’identifier aux personnages.
Mais ce roman a un je-ne-sais-quoi de réellement passionnant. Déjà, F.S Fitzgerald a une belle écriture. A certains moments, il laisse sa sensibilité, sa poésie resurgir. Durant ces merveilleux passages, Fitzgerald m'a fait pensé à mon chouchou d'amour : Zweig. J'ai trouvé l'histoire assez touchante malgré cette impression de mise à distance. En fait, c'est surtout Daisy qui m'a attendri. Cette femme condamnée à être malheureuse et trompée par un mari raciste est attendrissante. C'est vrai que je ne me suis pas vraiment attachée à elle mais j'ai lu son histoire avec émotion.
La critique de la haute société américaine est assez vive ici. Corruption, malheur, apparence, vice, hypocrisie, mensonge, Fitzgerald n'est pas tendre avec ses riches compatriotes. C'est un roman très pessimiste, très sombre. Le bonheur semble ne pas avoir sa place ou, en tout cas, n'être qu'un bref instant, une joie éphémère. C'est le thème qui m'a le plus interpellée et que j'ai le plus apprécié.
J'ai vraiment aimé la plume de Fitzgerald. J'ai trouvé ce roman passionnant, absolument pas ennuyeux, plutôt beau et sensible mais également intelligent et pertinent. J'ai aimé l'ambiance "année 20", mélange de fête et de dépression, les années d'après-guerre où une génération de désenchantés tente de trouver un bonheur qui semble inatteignable.
Un roman que je recommande chaudement.

"A mesure que la Terre se détache à regret du soleil, l'éclat des lumières s'amplifie. L'orchestre joue des arrangements de musique brillante et légère et le concert des voix monte vers l'aigu. Les rires se font plus francs de minute en minute et jaillissent au moindre jeu de mot avec plus d'abandon. Les groupes changent plus vite, se gonflent au passage de nouveaux arrivants, se désagrègent et se reforment, en une même respiration - et déjà se détachent les téméraires, les femmes sûres d'elles-mêmes, qui louvoient çà et là, entre les ilôts les plus stables et les mieux ancrés, y deviennent pour un temps très bref le centre d'une excitation joyeuse, puis, fières de leur triomphe, reprennent leur navigation, portées par le courant des voix, des couleurs, des visages, dans une lumière qui change sans cesse."
(Gatzby le magnifique, Fitzgerald, Cahiers rouges, 1984)

(Source image : Rognage de la couverture de Grand Hôtel de Vicky Baum édition Libretto)

dimanche 17 juillet 2011

J'ai trouvé ma vocation : chasseuse de fossiles.

Prodigieuses créatures
Tracy Chevalier

Folio, 2011.

« La foudre m'a frappée toute ma vie. Mais une seule fois pour de vrai ».
Dans les années 1810, à Lyme Regis, sur la côte du Dorset battue par les vents, Mary Anning découvre ses premiers fossiles et se passionne pour ces « prodigieuses créatures » qui remettent en question les théories sur la création du monde. Très vite, la jeune fille issue d'un milieu modeste se heurte à la communauté scientifique, exclusivement composée d'hommes. Elle trouve une alliée inattendue en Elizabeth Philpot, vieille fille intelligente et acerbe qui l'accompagne dans ses explorations. Si leur amitié se double de rivalité, elle reste, face à l’hostilité générale, leur meilleure arme.
Avec une finesse qui rappelle Jane Austen, Tracy Chevalier raconte, dans Prodigieuses Créatures, l'histoire d'une femme qui, bravant sa condition et sa classe sociale, fait l'une des plus grandes découvertes du XIXe siècle.

Prodigieuses créatures est un roman très agréable. Se situant à Lyme regis (où se déroule certaines scènes de Persuasion de Jane Austen), j'ai embarqué rapidement dans ce beau roman. Ayant pour décors les plages anglaises et les falaises battues par les vents, Prodigieuses créatures est un livre efficace et passionnant. Il m'a donnée envie de partir à la chasse aux fossiles et ça, ce n'est pas donné à tous les romans.
On ne s'ennuie pas auprès de Mary Annings et Elizabeth Philpot. J'ai retrouvé les ambiances anglaises qui me sont chères et l'histoire que nous compte Tracy Chevalier est touchante. Ces deux femmes que tout oppose vont se soutenir, s'aimer, s'aider. J'ai particulièrement aimé le personnage de Miss Philpot, cette vieille fille m'a vraiment séduite. J'ai aimé sa vie à Morley Cottage avec ses deux soeurs. Je devrais les plaindre d'être vieilles filles et pourtant j'ai adoré les pages narrant leur existence paisible rythmée par leurs diverses passions. Margaret et ses romans, Louise et ses fleurs et Elizabeth et ses fossiles. J'ai aimé l'idée que ses trois femmes, n'ayant ni mari ni enfants, se sauvaient grâce à leur passion : " ... j'avais vingt-cinq ans, peu de chances de me marier un jour, et besoin d'un passe-temps pour occuper mes journées. " (p33)
A côté de l'ambiance agréable de ce roman, on retrouve un vrai plaidoyer contre la condition féminine de l'époque. Mary ne sera reconnue que tardivement comme une véritable experte des fossiles. En tant que femme, elle sera une grande partie de sa vie totalement décrédibilisée. Tout comme Elizabeth qui doit en permanence s'accompagner de son frère ou de son neveu. Etre toujours sous tutelle devait être insupportable.
En quelques mots, je dirai que Prodigieuses créatures est un roman de détente à l'ambiance agréable et envoûtante mais que c'est également un roman intelligent et instructif. Il se lit d'une traite et donne envie d'aller sur la plage à la recherche de fossiles.

" Si Morley Cottage n'avait rien de remarquable, il offrait cependant une vue extraordinaire sur la baie de Lyme, et sur la chaîne de collines qui bordait la côte en direction de l'est. Dominée par Golden Cap, son plus haut sommet, elle aboutissait à l'île de Portland que l'on distinguait par temps clair, tapie au large tel un crocodile dont seule émergeait la longue tête plate. Souvent, le matin de bonne heure, je me postais à la fenêtre avec mon thé, regardant le soleil se lever et parer Golden Cap, le bien nommé, de ses reflets dorés. Ce spectacle adoucissait la douleur que je ressentais encore d'avoir dû m'installer dans ce malheureux trou perdu du sud-ouest de l'Angleterre, loin de l'univers fébrile et débordant de vie de la capitale. Quand le soleil inondait les collines, je me disais que je pouvais accepter notre exil, et même y trouver avantage. Mais quand il y avait des nuages, que le vent soufflait fort ou que le temps était simplement d'un gris monotone, l'espoir m'abandonnait. "
(Prodigieuses créatures, T.Chevalier, Folio, 2011, p 32/33)

(Source image : scientificamerican.com)

lundi 11 juillet 2011

L'horrible veuve!

Un conte de deux villes (ou Le marquis de Saint Evremont)
Charles Dickens

Edition Marabout

Dans A tale of two cities, paru en 1859, Dickens semble avoir voulu utiliser dans des personnages pleins de vie, dans une action allègre, dans une atmosphère authentique, toutes les impressions, tous les jugements qu'il s'est formés sur la France et sur la Révolution française.
Le pivot de l'intrigue est le marquis de Saint Evremont qui, sous ses trois visages, incarne tour à tour le despotisme, la liberté et le sacrifice héroïque. Dickens, en nous transportant par bonds de Paris à Londres, l'a entouré de nombreux personnages : la douce Lucie, l'émouvant Dr-Manette, l'impitoyable ménage Defarge, l'ombre tragique de Dame Guillotine ...

Je connais Dickens depuis bien longtemps. Pourtant, j'ai ouvert mon premier roman de cet auteur il n'y a que trois années environ. C'était Oliver Twist. Je me souviens que j'avais ressenti des choses bien différentes. J'avais aimé l'ambiance du roman, la plume de Dickens, l'histoire, les personnages, pourtant, j'avais eu une sensation de longueur. Ce roman m'avait paru bien trop lent. J'ai retenté l'expérience avec Un chant de Noël. Je l'avais dévoré et j'avais adoré.
Dickens m'évoque un monstre de la littérature qui m'attire autant qu'il m’impressionne. J'ai terriblement envie de lire Les grands espérances, David Copperfield et même de m'acheter les pléiades pour avoir ses romans introuvables. Mais chaque fois que je suis tentée d'en ouvrir un, la même boule au ventre me saisit. Intimidée? Effrayée? Je ne saurai pas trop expliquer ce qui se passe en moi. Toujours est-il que je n'ai pas pu résister à Fashion lorsqu'elle parle des ses torrents de larmes lorsqu'elle a terminé Un conte de deux villes. Même si par cet avis, Fashion révélait la fin du roman, j'ai voulu que Dickens me frappe en plein coeur moi aussi. Et oui. Il a réussi. Bien que je connaissais le dénouement, j'ai été happée par cette fin incroyable. Mais également par tout le reste du roman.
Le terme crescendo n'a jamais été aussi bien employé que pour qualifier Un conte de deux villes. On entre naïvement dans l'histoire, on ne comprend pas trop où veut nous emmener Dickens, on suit le mouvement, on est même parfois assez sceptique. Puis d'un coup, sans s'y attendre, on plonge dans un roman plein de fureur, passionnant et dramatique. Dès que Charles Darnay arrive en France, on ne respire plus jusqu'au mot "fin". Et quelle fin! Mon Dieu, j'en tremble encore. Quel homme ce Sydney Carton! Dickens a une plume d'une poésie rare. Ces dernières pages entre Carton et la jeune fille sont sublimes et ce saut final dans l'esprit de Carton, magnifique!
J'ai aimé les personnages de cette histoire. Tous si bien travaillés qu'ils prennent vie devant nos yeux. Les Defarge, surtout la femme, m'a terrifiée, symbole de l’extrémité dans laquelle est tombé le peuple miséreux de Paris. Les pages sur la folie des parisiens et sur l'ombre de la guillotine sont terribles. Je me suis vue, terrée et apeurée, croisant chaque jour des dizaines de condamnés et craignant d'être la suivante, partagée entre mon soutien au peuple et mon horreur de la Terreur. Les rues pleines de bruits et de haine prennent vie devant nous. On frissonne, on est terrifié, on craint que la lame de la guillotine vienne nous aussi nous raser de près.
Je ne remercierai jamais assez Fashion de m'avoir ainsi donné l'envie de lire Un conte de deux villes. Grâce à elle, plus qu'un moment de lecture, j'ai (re)découvert un auteur sublime et je suis bien décidée à retrouver rapidement ce génie de Dickens.

" Dans la lugubre prison de la Conciergerie, les condamnés du jour attendaient leur destin. Ils étaient cinquante-deux, qui, dans l'après-midi, allaient être emportés vers la mer sans rivage de l'éternité. Déjà, avant même qu'ils ne quittassent leurs cellules, d'autres locataires avaient été désignés pour les remplacer. Déjà avant même que leur sang ne se mêlât au sang répandu la veille, le sang qui, le lendemain, se mêlerait au leur s'apprêtait à couler.
Cinquante-deux êtres allaient mourir, cinquante-deux êtres de toute condition, depuis le fermier-général de soixante-dix ans, dont les richesses n'auraient pu racheter la vie, jusqu'à l'humble couturière de vingt ans que sa pauvreté était impuissante à sauver. Les maux physiques, provoqués par les vices et la négligence des hommes, frappent au hasard dans considération d'âge ni de caste ; il en est de même des terribles désordres moraux et sociaux qu'engendrent les souffrances indicibles, l'oppression intolérable et l'indifférence cruelle."
(Un conte de deux villes (Le marquis de saint Evremont), C. Dickens, Marabout, p297)

(Source image : ponderingsofallthings.blospot.com)