dimanche 4 décembre 2016

" Je veux bien être une dévergondée mais pas une putain."

Mademoiselle Else
Arthur Schnitzler

Stock, 2009.

Else doit trouver cinquante mille florins pour sauver sa famille de la ruine. Un vieux monsieur se propose de les lui fournir en échange de quoi il veut " voir " la jeune fille. Else commence par se révolter mais, traversée de désirs obscurs, troublée par des images qu'elle enfermait en elle, elle finit par s'y résoudre. Cela se fera publiquement, le soir, dans la salle de musique de l'hôtel.

C'est un vrai coup de cœur que j'ai ressenti pour ce court roman extrêmement fort et juste. 
D'une écriture très fine, Arthur  Schnitzler nous offre une oeuvre magistrale. Nous suivons la pauvre Else dans ses débats intérieurs, ses doutes et ses révoltes. L'esprit de l'héroïne est si bien retranscrit que ce roman en devient étouffant. Dans les dernières lignes, mon cœur battait fort, j'avais envie de crier.
Mademoiselle Else est un roman qui met en lumière le pouvoir des hommes sur les femmes. Else est la proie d'un vieil homme, mais également un outil de survie pour ses parents. Totalement esclave du bon vouloir de sa famille, elle sera pousser à commettre un acte indécent et provocateur. Arthur Schnitzler nous questionne : qu'aurait-on fait nous à la place d'Else? Comment se sortir d'un tel dilemme? En tout honnêteté, je n'ai pas la réponse. Le sort d'Else est tragique et bouleversant. Cette fin brutale nous hante plusieurs jours après avoir fermé le roman. Arthur Schnitzler a réussi à rendre son personnage principal si vivant que lorsque sa voix s'éteint, nous ressentons un grand vide. Pourtant, Else est très particulière. Ce n'est pas si simple de l'aimer. Mais c'est ce qui rend aussi ce roman fabuleux, Else est humaine. Elle a des failles et des défauts. 
Un roman sublime, parfaitement maîtrisé, à l'écriture puissante.

" - Vous me regardez, Else, comme si j'étais devenu subitement fou. Je le suis un peu, car il émane de vous un charme dont vous semblez inconsciente. Ne sentez-vous pas que ma prière n'a rien d'offensant pour vous ? Oui, c'est une prière même si elle ressemble à s'y méprendre à un chantage. Je ne suis pas un maître chanteur, un homme seulement, un être humain, qui connaît la vie, et qui sait par expérience que tout en ce monde a son prix et que celui qui donne son argent, quand il pourrait le troquer, n'est qu'un pauvre fou. Et ce que je veux acheter, cette fois, Else, quel qu'en soit le prix, vous ne serez pas appauvrie pour me l'avoir vendu. Et cela restera un secret entre vous et moi, je vous le jure, Else, de par tous les charmes que vous dévoilerez devant moi, pour me combler.(Mademoiselle Else, A.Schnitzler, Stock, 2009)

(Photos : Romanza2016)

" Du corps par le corps avec le corps depuis le corps et jusqu'au corps "

Syngué sabour - Pierre de patience
Atiq Rahimi

Folio, 2013.

" Cette pierre que tu poses devant toi... devant laquelle tu te lamentes sur tous tes malheurs, toutes tes misères... à qui tu confies tout ce que tu as sur le coeur et que tu n'oses pas révéler aux autres... Tu lui parles, tu lui parles. Et la pierre t'écoute, éponge tous tes mots, tes secrets, jusqu'à ce qu'un beau jour elle éclate. Elle tombe en miettes. Et ce jour-là, tu es délivré de toutes tes souffrances, de toutes tes peines... Comment appelle-t-on cette pierre ? " En Afghanistan peut-être ou ailleurs, une femme veille son mari blessé. Au fond, ils ne se connaissent pas. Les heures et les jours passent tandis que la guerre approche. Et la langue de la femme se délie, tisse le récit d'une vie d'humiliations, dans l'espoir d'une possible rédemption.

Syngué sabour est un roman qui ne peut laisser indifférent. L'histoire de cette femme sans prénom, symbole de toutes les femmes opprimées, interroge, bouscule, révolte. Je dois avouer que je ne m'attendais pas à une écriture si crue et directe. Syngué sabour m'évoquait quelque chose tout en retenue, très poétique. En réalité, c'est un texte sans concession, très dur ou rien ne nous est caché. Nous rentrons dans le cœur de cette femme n'ayant jamais connu la tendresse ou le respect. Tandis que son mari est plongé dans le coma, elle ose lui confier ses pensées, ses peines, sa colère. En tant que femme, on ne peut qu'être révoltées de la vie du personnage féminin. Aucun droit d'opinion, aucune liberté d'expression, ... Toujours taire ce que l'on ressent, avoir constamment tort, être par principe une "chose" faible, impure et immorale, ... Mon cœur s'est beaucoup serré à la lecture de ce texte. 
Syngué sabour est un témoignage puissant et violent de la condition féminine. L'écriture manque de douceur et de poésie pour ma part, mais je comprends qu'avec un tel sujet, une telle réalité, la douceur aurait été presque déplacée. Oui, c'est cru, dur et révoltant, mais il s'agit d'un fait qu'il est essentiel de dévoiler et de connaître.

" Je n'ai jamais compris pourquoi chez vous, les hommes, la fierté était tant liée au sang. Sa main se lève encore dans les airs. Ses doigts bougent. On dirait qu'elle fait signe à quelqu'un d'invisible de s'approcher. Mais tu te rappelles qu'un soir; c'était au début de notre vie commune, tu étais rentré tard. Ivre mort. Tu avais fumé. Je m'était endormie. Sans me dire un mot, tu as baissé ton pantalon. Je me suis réveillée. Mais j'ai fait semblant de dormir profondément. Tu m'as...pénétrée... Tu as eu tout le plaisir du monde... mais lorsque tu t'es levé pour te laver, tu as aperçu du sang sur ta queue! Furieux tu es revenu et tu m'as battue au beau milieu de la nuit, juste parce que je t'avais pas averti que j'avais mes règles. Je t'avais sali! ricana-t-elle. J'avais fait de toi un impur! "

(Syngué sabour, Atiq Rahimi, Folio, 2013)
(Photos : Romanza2016)