dimanche 24 mars 2019

" Comme il est vrai que la beauté réside dans le regard de qui la contemple ".

Jane Eyre
Charlotte Brontë
Le livre de poche, 1967.

Jane Eyre est une orpheline recueillie par sa tante qui ne l'aime pas. Trop franche, trop intelligente, elle subit les humiliations et les violences de son tyrannique cousin. Un jour, à 10 ans, elle est emmenée au pensionnat de Lowood. La vie est dure, mais elle y rencontre sa première amie et se forge une éducation solide, seul moyen de gagner son indépendance. 

Après Anna Karenine l'année dernière, je poursuis la relecture des œuvres qui me sont chères. J'ai donc ouvert Jane Eyre que j'avais lu il y a de ça environ 15 ans. Jane Eyre est, avec Anna Karenine, le roman que je cite le plus souvent lorsque l'on me demande le titre d'un de mes coups de cœur littéraires. J'ai découvert cette histoire à l'adolescence en visionnant une adaptation avec ma mère (celle avec Charlotte Gainsbourg). Je tombai immédiatement amoureuse de cette histoire. La vie de Jane, cette femme sans attraits apparents, son intelligence, ses malheurs et ses joies m'avaient éblouie. Le lendemain, je tombai par hasard sur une version abrégée pour enfant au supermarché. Je la dévorai à peine rentrée à la maison tant j'avais hâte de retrouver cette héroïne. Bien sûr, cette version lue en à peine 2h me laissa sur ma faim.  C'est plus tard que j'ai enfin découvert le texte d'origine. Je lus avidement. Depuis, j'ai vu toutes les adaptations possibles, des plus anciennes au plus récentes. Je me replonge une fois l'an dans celle de 2006 qui est fabuleuse. Je savais bien qu'un jour, je relirais ce roman que j'avais tant aimé. 
Ce que j'aime dans Jane Eyre réside vraiment dans l'histoire. Je n'avais pas remarqué à l'époque que l'écriture du roman était si simple. Je reconnais que la plume de Brontë n'est pas transcendante (chose que je n'aurais pas admise avant ma relecture). L'écriture est fluide, belle, efficace. Mais nous sommes loin d'un Tolstoï ou d'un Balzac. Je n'avais pas pensé à cet aspect là à l'époque tant j'étais prise par l'histoire. Cette fois-ci, j'ai remarqué à quel point j'aimais l'histoire passionnément, sans jamais pour autant rester à genou face au style. Ce qui n'enlève rien à l'amour que je porte pour ce roman. 
Je ne saurais dire à quel point cette histoire me touche. J'aime ces destins d'héroïnes délaissées, celles que les personnages n'admirent pas au premier regard, celles qui sont discrètes, intelligentes, qu'il faut apprendre à connaître pour les aimer (comme Anne Elliot de Persuasion ou encore la narratrice de Rebecca). L'indifférence avec laquelle Jane est traitée m'émeut. J'aime que cette héroïne ne brille pas par sa beauté, mais éclipse avec son tempérament et sa force de caractère les plus belles femmes de la littérature. Que dire également de Mr Rochester? L'un des plus beaux personnages masculins de la littérature. Je me suis régalée des joutes verbales entre Jane et lui. J'aime ce sombre personnage, bourru et mystérieux. J'avais oublié certains aspects de son caractère et de son passé. Cela m'a surprise. J'avais oublié le côté sensuel de cette histoire. 
Dès les premières pages, j'ai été embarquée : la terrible chambre rouge, Lowood, Helen Burns, l'arrivée à Thornfield, la chute de Mr Rochester, l'arrogance de Blanche Ingram, la folie de Bertha, l'errance de Jane, le presbytère. Je connais cette histoire par cœur et ne m'en lasse pas. Ouvrir ce roman chaque soir sous ma couette, c'était comme rentrer chez moi après une dure journée de travail et glisser mes pieds dans mes pantoufles. J'ai aimé chaque page, chaque intrigue, chaque événement de ce roman. J'y suis bien. Je m'y sens comme chez moi. Ça se lit tout seul, c'est passionnant, beau, touchant. J'aime écouter Jane me murmurer son histoire au creux de l'oreille. J'ai lu chaque scène clef avec délectation. Un vrai régal de lecture! Bien sûr, à peine le roman fermé, j'ai voulu faire durer cette ambiance si envoûtante et particulière en visionnant une des adaptations. Quant au texte, je le relirai encore de nombreuses fois dans ma vie de lectrice (mais j'achèterai une autre édition. Mon roman tombe littéralement en lambeaux).
Merci mille fois Charlotte Brontë pour cette histoire si parfaite. 
"Il n'y a rien de si triste que la vue d'un méchant enfant, reprit-il, surtout d'une méchante petite fille. Savez-vous où vont les réprouvés après leur mort?"
Ma réponse fut rapide et orthodoxe.
"En enfer, m'écriai-je.
-- Et qu'est-ce que l'enfer? pouvez-vous me le dire?
-- C'est un gouffre de flammes.
-- Aimeriez-vous à être précipitée dans ce gouffre et à y brûler pendant l'éternité?
-- Non, monsieur.
-- Et que devez-vous donc faire pour éviter une telle destinée?"
Je réfléchis un moment, et cette fois il fut facile de m'attaquer sur ce que je répondis.
"Je dois me maintenir en bonne santé et ne pas mourir."
(Jane Eyre, C. Brontë)
(Photos : Romanza2019)

mercredi 6 mars 2019

Une huître peut cacher une perle

En un monde parfait
Laura Kasischke
Le livre de poche, 2011.

Jiselle, la trentaine et toujours célibataire, croit vivre un véritable conte de fées lorsque Mark Dorn, un superbe pilote, veuf et père de trois enfants, la demande en mariage. Sa proposition paraît tellement inespérée qu'elle accepte aussitôt, abandonnant sa vie d'hôtesse de l'air pour celle, plus paisible croit-elle, de femme au foyer. C'est compter sans les absences répétées de Mark, les perpétuelles récriminations des enfants et la mystérieuse épidémie qui frappe les États-Unis, leur donnant des allures de pays en guerre. L'existence de Jiselle prend alors un tour dramatique...

Voici mon quatrième roman de Laura Kasischke et j'en ressors de nouveau très enthousiaste. N'arrivant pas à la hauteur d'Esprit d'hiver qui reste indétrônable, En un monde parfait m'a cependant extrêmement surprise et j'ai beaucoup aimé cette lecture. Prendre un roman de Kasischke, pour moi, c'est être sûre d'ouvrir un "page-turner" intelligent, percutant et marquant. Moi qui suis une grande amoureuse des classiques et qui ne lit presque que ça, je suis surprise d'aimer beaucoup cette autrice américaine écrivant des histoires actuelles assez sombres, satiriques, parfois violentes. Mais Laura Kasischke a une vision intéressante de la société et j'aime retrouver cet univers typiquement américain qui se fissure et ces personnages qui s'étiolent
En un monde parfait m'a surprise car je m'attendais, tout comme dans Esprit d'hiver, Rêve de garçons et A moi pour toujours, à une montée en puissance pour finir par une révélation finale glaçante. Il n'en est rien ici ... et c'est cela qui m'a énormément séduite. En un monde parfait est un huis clos extrêmement émouvant. Dans ce roman, on revient aux bases de ce que devraient être les rapports humains. Isolée de force avec ses trois beaux-enfants, la fragile Jiselle va se découvrir à elle-même, mûrir, prendre confiance. Les liens qui se tissent entre chaque personnage sont sublimes et d'une grande émotion.  Je me suis peu attardée sur l'épidémie qui oblige Jiselle à se retrancher, bien que ce sujet soit très bien traité. Même si le lecteur se pose automatiquement la question de ce qu'il ferait dans pareil cas, je dois admettre ne pas être totalement rentrée dans cet aspect là du roman. J'ai surtout été fascinée par la psychologie des personnages, les émotions de chacun, leurs faiblesses, leurs blessures. Je me suis vraiment attachée à cette famille isolée, à leur rythme de vie bouleversé, leurs joies simples et leurs partages. Comme dans tous les romans de Kasishke, les petits riens du quotidien sont très importants. Certains lecteurs risquent de s'y ennuyer. En ce qui me concerne, je m'y love avec bonheur à chaque lecture. Comme toujours également, il a fallu accepter de terminer le livre où Kasischke avait décidé de le finir, accepter de ne pas tout savoir, de laisser les secrets et les non-dits là où ils étaient. 
Un roman à lire et surtout, une autrice à découvrir. 

" Sa mère lui avait demandé : "Quel genre de femme consent à épouser un homme qu'elle connaît depuis trois mois ? Un homme qui a trois enfants? Un homme dont elle n'a pas rencontré les enfants ? "Si Jiselle avait été un type différent de fille ou de femme, elle aurait pu répondre : "Le genre de femme que je suis maman" ; mais même au temps de son adolescence, alors que sa meilleure amie lançait communément à la tête de sa propre mère "Salope, je te déteste!" Jiselle présentait des excuses à la sienne pour n'avoir pas dit "s'il te plaît" en redemandant de la salade.Au lieu de cela, elle répondit : "Je l'aime, maman". Sa mère eut un reniflement dégoûté. "(En un monde parfait, L. Kasischke)

(Photos : Romanza2019)