dimanche 27 août 2017

" La vie était terrible et la mère était aussi terrible que la vie."

Un barrage contre le Pacifique
Marguerite Duras

Folio, 2016.

L'action se situe en Indochine française, elle met en place une mère et ses deux enfants Joseph et Suzanne vivant dans une plantation peu rentable et tentant de survivre de trafic divers. Ce roman raconte la difficulté de la vie de ce que l'on a appelé "les petits blancs" par rapport aux "grands", riches planteurs, chasseurs citadins, membres de la bourgeoisie coloniale, commerçante ou financière. Et, enfin, au-dessus de tout ce monde, omnipotents et prévaricateurs au détriment des plus pauvres des blancs, les fonctionnaires de l’administration coloniale qui ne vivent que de prébendes et d’extorsions de fonds.La mère et ses enfants ne peuvent vivre qu’aux limites de la société coloniale et aux abords immédiats des villages où vivent les indochinois dans un dénuement absolu et à la merci de toutes les maladies, de la cruauté des tigres et de la force aveugle et meurtrière des marées de l’océan. Marguerite-duras.com

Voici ma 4ème lecture de Marguerite Duras. Après Yann Andréa Steiner dont je me souviens très peu, les très beaux Cahiers de la guerre et le troublant L'amant de la Chine du Nord, j'ai retrouvé cette grande plume française avec Un barrage contre le Pacifique. Ce fut une véritable lecture immersion. J'ai senti la moiteur de l'Indochine, ses odeurs, j'ai vu ses paysages, sa poussière, sa beauté, sa pauvreté aussi. Je me suis totalement glissée entre ces pages et ce fut un véritable coup de cœur. 
Je ne m'y attendais pas. Ce fut lent et subtil. Sans m'en rendre compte, je plongeais dans le roman et y pensais toute la journée. Pourtant comme ce texte est cruel!! Les personnages sont durs, antipathiques, égoïstes. Certaines scènes me hantent encore par leur violence verbale ... et parfois physique. L'écriture est juste, vraie, magnifique, pourtant l'histoire est terrible. Le texte entier est rongé par les mêmes maux qui rongent Joseph, Suzanne et la mère. J'ai eu beaucoup d'empathie pour ces trois personnages s'enfermant dans leur désespoir, dans leurs névroses. Pourtant, leurs attitudes, leurs mots, leurs cruautés aussi, sont très durs à lire. La lecture est dérangeante, prenante, addictive. 
Une superbe lecture.
" De temps en temps elle sortait de l’eau, s’asseyait sur la berge et regardait la piste qui donnait d’un côté vers Ram, de l’autre vers Kam et, beaucoup plus loin vers la ville, la plus grande ville de la colonie, la capitale, qui se trouvait à huit-cent kilomètres de là. Le jour viendrait où une automobile s’arrêterait devant le bungalow. Un homme ou une femme en descendrait pour demander un renseignement ou une aide quelconque, à Joseph ou à elle. Elle ne voyait pas très bien quel genre de renseignements on pourrait leur demander : il n’y avait dans la plaine qu’une seule piste qui allait de Ram à la ville en passant par Kam. On ne pouvait donc pas se tromper de chemin. Quand même, on ne pouvait pas tout prévoir et Suzanne espérait.
Un jour un homme s’arrêterait, peut-être, pourquoi pas ? parce qu’il l’aurait aperçue près du pont. Il se pourrait qu’elle lui plaise et qu’il lui propose de l’emmener à la ville. "
(Photos Romanza2017)

mardi 22 août 2017

La gourmandise est un vilain défaut

Charlie and the chocolate factory
Roald Dahl

Puffin books, 2007.

Charlie Bucket loves chocolate. And Mr Willy Wonka, the most wondrous inventor in the world, is opening the gates of his amazing chocolate factory to five luck children. It's the prize of a lifetime! Gobstoppers, wriggle sweets and a river of melted chocolate delight await - Charlie needs just one Golden ticket and these delicious treats could all be his.

J'ai déjà lu quelques nouvelles en anglais, mais c'est la première fois que je lis intégralement un roman (certes de jeunesse, mais un roman quand même). Même si l'immersion n'a pas été totale, car cette lecture a exigé beaucoup d'attention, j'ai énormément aimé lire un texte en version originale.
Bien que Charlie and the chocolate factory soit assez facile d'accès, je reconnais avoir apprécié de déjà connaître l'histoire (grâce au film de Tim Burton). J'ai pu ainsi lire le roman sans dictionnaire, me laisser (par moment) aller et déguster certaines scènes particulièrement savoureuses. 
Je ne pourrai pas réellement vous parler de la plume de Roald Dahl car je ne me sens pas assez à l'aise en anglais pour parler d'un style, comprendre les jeux de mots ou les traits d'humour. Je peux juste affirmer que l'univers loufoque et décalé de cet auteur est un pur bonheur. J'ai aimé cette histoire farfelue, j'ai ri et j'ai été émue. Même si je reconnais avoir préféré Matilda, Charlie and the chocolate factory est une touchante histoire où la bonté et la générosité sont, avec justesse, récompensées. 
J'ai été surprise de trouver un Willy Wonka assez différent de celui de Tim Burton. Moins torturé, plus joyeux, il semble plus humain que ne le présente le réalisateur. Quant à Charlie, si le film lui donne un côté Cosette larmoyant, le roman de Roald Dahl nous le montre plutôt taquin, gourmand et touchant. 
Roald Dahl ne fait pas parti de ces auteurs découverts dans mes jeunes années, je ne l'ai découvert qu'adulte. Je ne peux que constater son talent de conteur, sa magie inépuisable, son univers toujours si étonnant et passionnant.
A mettre entre toutes les mains ... jeunes et moins jeunes.
" Charlie burst through the front door, shouting, "Mother! Mother! Mother!"Mrs Bucket was in the old grandparents' room, serving them their evening soup."Mother!" yelled Charlie, rushing in on them like a hurricane. "Look! I've got it! Look, Mother, look! The last Golden Ticket! It's mine! I found some money in the street and I bought two bars of chocolate and the second one had the Golden Ticket and there were crowds of people all around me wanting to see it and the shopkeeper rescued me and I ran all the way home and here I am! IT'S THE FIFTH GOLDEN TICKET, MOTHER, AND I'VE FOUND IT " 
Charlie and the chocolate factory, Roald Dahl, Puffin books, 2007, p67

(Source photos : Romanza2017)

jeudi 10 août 2017

" Jamais il ne faut vouloir mettre de point final "

Itinéraire d'enfance
Duong Thu Huong

Le livre de poche, 2009.

Fin des années 1950 au Viêtnam. Bê a douze ans, sa vie dans le bourg de Rêu s’organise entre sa mère, ses amis et ses professeurs. Son père, soldat, est en garnison à la frontière nord. Pour avoir pris la défense d’une de ses camarades abusée par un professeur, elle se voit brutalement exclue de l’école. Révoltée, elle s’enfuit de chez elle, avec sa meilleure amie, pour rejoindre son père.

Commence alors un étonnant périple: les deux adolescentes, livrées à elles-mêmes, sans un sou en poche, finiront par arriver à destination, après des aventures palpitantes et souvent cocasses: Bê la meneuse, non contente d’avoir tué le cochon et participé à la chasse au tigre, va également confondre un sorcier charlatan et jouer les infirmières de fortune.
Roman d’apprentissage, ce livre limpide et captivant dépeint magnifiquement, dans un festival de sons, d’odeurs, de couleurs et de paysages, la réalité du Viêtnam après la guerre d’Indochine


Quelle douceur que ce joli roman! J'y ai trouvé tout ce que j'aime : petits plaisirs simples, beauté des paysages, amitié. Ce roman initiatique est un petit bijou à savourer.
Bê et Loan sont deux amies de 12 ans, très différentes mais très proches. Bê est courageuse, intelligente et déterminée. Loan est gentille, sensible et un brin peureuse. Quand Bê est subitement virée de son école et interdite de scolarité dans tout le département, elle décide de traverser le pays pour retrouver son père. Sa meilleure amie choisit de la suivre, fuyant un beau-père odieux. Comme j'ai aimé suivre les péripéties de Bê et Loan! Sur leur chemin, elles rencontrent certaines personnes peu sympathiques, mais beaucoup de gens généreux, de personnalités inoubliables. Tout au long du roman, on sourit, on tremble, on se met en colère, on pleure d'émotions. 
J'ai aimé l'amour que Bê porte au savoir, à l'étude, à l'école. Lire de tels témoignages fait toujours du bien et c'est important de rappeler à nos écoliers français que l'instruction n'est pas évidente partout, que certains enfants n'ont pas leur chance*.
Ce que j'ai préféré reste la description des instants simples : des beignets de haricots sucrés partagés autour d'un feu, des patates douces cuites dans les cendres, un sourire, une main tendue, ... 
Un joli voyage qui donne une envie folle de découvrir le Vietnam. Une histoire toute simple, émouvante qui m'a totalement engloutie.

 *(A ce sujet, je vous invite fortement à regarder les excellents reportages Chemins d'école que vous pouvez trouver sur Arte. Mon garçon de 6 ans et moi-même les regardons régulièrement. Ils sont courts, justes et passionnants. Je suis ébahie par la volonté de ses enfants qui sont prêts à tout pour apprendre)
" Un dernier rayon de soleil s'accroche encore aux pointes des plus hautes branches de bambous et des mangousiers qui s'agitent à la moindre brise. De vieux crapauds, dissimulés dans les coins des murs, entonnent leurs croassements grinçants. Des sauterelles, arrivant des champs, se cognent contre ma tête, me chatouillent l'oreille. Je redoute qu'une grenouille ou un kaloula me saute dans le bol de soja ou de plat de poisson. Par bonheur rien de tout cela n'arrive. Mes hôtes, habitués à manger dans la nature, ne semblent pas se poser de telles questions. Plus tard, je trouverai que manger dehors est un vrai bonheur. L'air vivifiant du soir donne plus d'appétit, sans compter que le paysage ne fait qu'augmenter le plaisir d'un repas frugal. "
 Itinéraire d'enfance, Duong thu Huong, Le livre de poche, 2009
(Photos : Romanza2017)

mardi 1 août 2017

Du sang dans la neige

A la grâce des hommes
Hannah Kent

Pocket, 2016.

Islande, 13 mars 1828. Agnes Magnúsdóttir est reconnue coupable de l’assassinat de Natan Ketilsson, son amant, et condamnée à mort. En attendant son exécution, la prisonnière est placée comme servante dans une ferme reculée. Horrifiés à l’idée d’héberger une meurtrière, le fermier, sa femme et leurs deux filles évitent tout contact avec Agnes, qui leur inspire autant de peur que de dégoût. Au fil des mois, elle devra apprendre à vivre au sein de cette famille hostile. Malgré les peurs réciproques, la violence, les préjugés, les colères et la mort annoncée.
Et la vérité qu’Agnes voudrait pouvoir faire entendre alors que personne ne semble prêt à l’écouter.


A la grâce des hommes prend son lecteur par la main et l'emmène loin. Dans cette Islande glaciale, rude, mais aux foyers chaleureux. 
A la grâce des hommes nous conte l'histoire d'Agnes, la dernière femme condamnée à mort en Islande. Sans tomber dans le pathos, le roman revient sur les derniers mois de cette femme secrète et tourmentée. Bien que l'écriture ne soit pas transcendante, je lui reconnais beaucoup de justesse. Le texte est agréable à lire, le style est fluide et rigoureux
Je suis totalement plongée dans cette ambiance alternant huis clos étouffant, confidences à la lueur d'une bougie et étendue nue, froide, soufflée par les vents. Le point fort de ce texte est vraiment l'évocation de l'Islande et de ses habitants. J'ai beaucoup appris à la lecture de ce roman qui me donne, encore plus qu'avant, envie de découvrir cette île.  
L'histoire est émouvante. On s'attache à Agnes et c'est en frissonnant que l'on voit venir le dénouement. Si certains aspects sont un peu trop romanesques, A la grâce des hommes est dans l'ensemble un roman intelligent, très fin et bouleversant. Certaines scènes sont très bien écrites et j'ai de nombreuses images en tête.
On plonge dans ce roman et il est assez dur de s'en sortir. 
Un texte à découvrir. 
" Ils disent que je dois mourir. Ils disent que j'ai volé à ces hommes leur dernier souffle et qu'ils doivent voler le mien.Comme si nous étions des bougies - je vois palpiter leurs flammes graisseuses dans l'obscurité et le mugissement du vent. Et je crois entendre des pas déchirer le silence. D'horribles pas qui viennent à moi, qui viennent pour éteindre et emporter ma pauvre vie dans un ruban de fumée grise. Je me disperserai dans l'air nocturne. Ils nous éteindront tous, un à un, jusqu'à ce qu'ils ne s'éclairent plus qu'à la lueur de leurs propres bougies. Où serai-je alors ? "
A la grâce des hommes, Hannah Kent. 

(Photos : Romanza2017)

" Il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser. "

La peste
Albert Camus

Folio, 2002.

Albert Camus publie La Peste en 1947 au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il y relate une épidémie de peste qui aurait sévi en 1940 à Oran. Au fil des pages, on assiste à l'extension progressive de la maladie et on observe la réaction de chacun face à l'épidémie : certains fuient, d'autres restent pour lutter. À travers ce roman, l'écrivain invite à réfléchir sur les valeurs de solidarité et d'engagement.

J'avais totalement été éblouie par L'étranger, ma première lecture de Camus. La peste ne m'a pas autant engloutie. Bien évidemment, je reste toujours aussi fascinée par l'écriture si particulière et envoûtante de Camus. Il nous offre des passages de pure beauté et une connaissance très fine de la nature humaine. Cependant, son ton si détaché et "journalistique" a eu, pour cette fois, raison de moi. Je suis restée observatrice, distante. Je n'ai pas réussi à rentrer dans le texte comme j'ai pu le faire avec L'étranger. Peut-être que mon esprit n'était pas disponible. 
L'histoire est assez angoissante. La peste envahit la ville, les hommes meurent les uns après les autres. L'ambiance est bien rendue et le génie de Camus crée une ambiance particulièrement étouffante. Rieux est un personnage tout aussi froid que Mersault. Du moins, en apparence. 
" Vous n’avez pas de cœur », lui avait-on dit un jour. Mais si, il en avait un. Il lui servait à supporter les vingt heures par jour où il voyait mourir des hommes qui étaient faits pour vivre. Il lui servait à recommencer tous les jours. Désormais, il avait juste assez de cœur pour ça."
J'aime m'identifier aux personnages des romans que je lis et Camus a une fâcheuse tendance à les rendre peu chaleureux et avenants. Si cela ne m'a pas empêchée d'adorer L'étranger, pour La peste il en fut autrement. Camus ne nous dit pas tout. J'aime cette finesse. Cependant, là, j'avoue, je suis restée un peu en-dehors. 

Même si ce ne fut pas une lecture "immersion", la plume de Camus est exceptionnelle et c'est un auteur à découvrir absolument. 
Je le retrouverai sans l'ombre d'un doute.
" Vous n'avez jamais vu fusiller un homme? Non, bien sûr, cela se fait généralement sur invitation et le public est choisi d'avance. Le résultat est que vous en êtes resté aux estampes et aux livres. Un bandeau, un poteau, et au loin quelques soldats. Eh bien, non! Savez-vous que le peloton des fusilleurs se place au contraire à un mètre cinquante du condamné? Savez-vous que si le condamné faisait deux pas en avant, il heurterait les fusils avec sa poitrine? Savez-vous qu'à cette courte distance, les fusilleurs concentrent leur tir sur la région du cœur et qu'à eux tous, avec leurs grosses balles, ils y font un trou où l'on pourrait mettre le poing? Non, vous ne le savez pas parce que ce sont là des détails dont on ne parle pas. Le sommeil des hommes est plus sacré que la vie pour les pestiférés. On ne doit pas empêcher les braves gens de dormir. Il y faudrait du mauvais goût, et le goût consiste à ne pas insister, tout le monde sait ça. Mais moi je n'ai pas bien dormi depuis ce temps là. Le mauvais goût m'est resté dans la bouche et je n'ai pas cessé d'insister, c'est-à-dire d'y penser. "
La peste, Albert Camus. 
(Photos : Romanza2017)