jeudi 31 octobre 2019

Petit roman, grandes émotions.

Le voyage d'Anna
Henri Gougaud

Points, Grands romans, 2015.

Novembre 1620 : Prague la protestante est mise à sac par les troupes catholiques. Anna, une servante, recueille l'enfant de son maître, massacré sous ses yeux. Elle ne sait pas encore que sa vie vient de prendre un cours radicalement nouveau.
Fuyant Prague avec le petit miraculé, elle rencontrera, dans la tourmente de la guerre, la rage et la beauté de vivre. 
Voici un petit roman peu connu qu'il faut absolument sortir des librairies et dévorer. J'ai entendu parler du Voyage d'Anna lors d'une spéciale "Valise idéale" de La grande librairie. Je l'avais noté en entendant une libraire parler de ce court texte passionnant. Noté depuis dans mon petit répertoire "Envies livresques", je l'ai enfin acheté récemment très heureuse de voir la sublime couverture qu'avait choisi Points
Le voyage d'Anna est une belle histoire susurrée au creux de l'oreille, tel un conte. J'ai aimé ce doux roman. L'histoire aurait pu servir à écrire un best-seller romanesque et larmoyant. Henri Gougaud s'est saisi de l'histoire d'Anna et en a fait un roman tout en finesse et en délicatesse. Je me suis plongée dans les aventures d'Anna avec délectation. Tout commence à Prague. Anna est servante. Son maître se fait assassiner par des troupes protestantes. Sa maîtresse fuit en abandonnant son bébé, Jan. Anna, incapable d'abandonner l'enfant, le prend et quitte la ville. A partir de là, une belle histoire d'amour entre Anna et Jan va se créer. Autour d'eux, plusieurs personnages vont graviter. Certains aidants, d'autres perturbateurs. Aucun manichéisme dans ce texte où chaque personne peut être parfois bonne et parfois violente. Bien sûr, l'un des personnages les plus attachants du roman est Simon. Mais ... je n'en dis pas plus! Lisez Le voyage d'Anna pour rencontrer "l'ours".
Je reconnais que Gougaud aurait pu apporter un côté plus historique à son texte, plus de détails sur Prague, son contexte, ses tensions, son ambiance. Mais je confesse avoir eu un vrai coup de cœur pour la tendre simplicité de ce roman. Gougaud veut seulement nous conter une histoire, un brin de vie, semée d’embûches et de souffrances, mais aussi pleine d'amour et d'entraide. Cela m'a suffit. L'absence d'Histoire était comblée par la beauté et la délicatesse de l'histoire elle-même. Le fait que le contexte historique soit au final peu présent participe à l'ambiance du roman qui glisse doucement vers le conte.
Un coup de cœur en cette fin d'octobre. Une lecture qui m'a ravie et que je vous invite à lire absolument. 
"On ne peut imaginer son propre destin. Il demeure invisible même à la lumière des songes. Anna Marten le rencontra dans cette demeure cossue des bords de la Vltava au lendemain de la bataille de la Montagne Blanche, que remportèrent les troupes catholiques de Maximilien de Bavière".
Le voyage d'Anna, H. Gougaud. 
(Photos : Romanza2019)

" Certains livres vivent bel et bien, dit-elle, l'air songeur. Ils sont jeunes et vieillissent en même temps que nous ".

Nuit et jour
Virginia Woolf
Signatures, Points, 2011.


Vouée à une vie de femme au foyer, Katherine est fiancée à l'écrivain William et la perspective de ce mariage fait le bonheur de ses parents. Elle n'arrive cependant pas à nier ses sentiments pour Ralph, modeste avocat, qui la courtise bien qu'il s'intéresse aussi de près à Mary la suffragette... qui elle-même n'a d'yeux que pour William ! Virginia Woolf décrit avec beaucoup d'humour les mœurs de la haute société londonienne pour mieux défendre le droit des femmes à travailler et à épouser qui bon leur semble.


Alors que ce roman de Woolf possède une trame plus classique et accessible que d'autres de ses célèbres romans, j'ai moins adhéré à Nuit et jour qu'à d'autres romans plus complexes de Woolf. 
Nuit et jour est un beau roman. La plume de Woolf, encore un peu timide, reste magnifique. On aperçoit les prémices des Vagues ou de La promenade au phare, cette façon qu'elle a de figer l'instant et de nous faire entrer dans l'esprit de ses personnages. Cependant, il ne s'agit que de son deuxième roman et la maîtrise de la langue woolfienne n'est pas encore totalement là. On la perçoit, mais c'est tout. 
L'histoire est, aux premiers abords, très simple. Katherine se fiance à William, sans être sûre de l'aimer. Ralph tombe malgré lui amoureux de Katherine. Mary aime Ralph. Durant 400 pages, le lecteur assiste à un "je t'aime-moi non plus" permanent. Si l'écriture m'a ravie, je me suis lassée (je l'avoue) de ce chassé-croisé amoureux. Bien sûr, Virginia Woolf montre toute la complexité de l'amour dans ce livre, la contradiction des sentiments mais également le carcan social où vivent les femmes, mais c'est long ... c'est très long! J'ai aimé observer cette opposition nuit/jour dont chacun de nous est composé. Ce que l'on révèle, ce que l'on cache, fait qui nous sommes. C'est beau, c'est bien écrit, mais mon attention est parfois partie en vadrouille. Là où Jane Austen nous tient en haleine dans ses histoires de mariage avec des revirements permanents, Woolf reste Woolf, elle cherche les silences, les complexités, la contradiction. J'ai aimé, mais mon intérêt s'est relâché parfois.
Plus facile que d'autres romans de Woolf, je dirais bien à des novices de commencer par celui-là, mais au final, c'est le contraire que je conseille. Lisez Nuit et jour si vous aimez Woolf, que vous la connaissez et saurez apprécier ce roman malgré ses défauts. Une belle lecture, mais bien trop longue à mon goût. 
" Je crois que je suis amoureux. En tout cas, j'ai perdu la tête. Je ne peux plus réfléchir. Je ne peux plus travailler. Tout m'est indifférent. Mon dieu, Mary ! Je suis au supplice ! Je suis heureux et malheureux tour à tour. Je la hais une demi-heure et ensuite je donnerais ma vie entière pour être avec elle dix minutes ; je ne sais plus ce que je sens ni pourquoi; c'est de la folie pure et pourtant c'est parfaitement raisonnable. Pouvez-vous y comprendre quelque chose ?comprenez-vous ce qui m'arrive? Oui je délire; ne m'écoutez pas, Marie. "
Nuit et jour, V. Woolf 
(Photos : Romanza2019)

lundi 21 octobre 2019

" Voilà peut-être pourquoi je suis perpétuellement déçu : j'attends du monde qu'il soit bon ".

Le fils 
Philipp Meyer
Le livre de poche, 2016.

Eli McCullough, le Colonel, marqué à vie par trois années de séquestration chez les Comanches, prend part à la conquête de l'Ouest avant de s'engager dans la guerre de Sécession et de bâtir un empire. Peter, son fils, révolté par l'ambition dévastatrice du père, ce tyran autoritaire et cynique, profite de la révolution mexicaine pour faire un choix qui bouleverse son destin et celui des siens.
Jeanne-Anne, petite-fille de Peter, ambitieuse et sans scrupules, se retrouve à la tête d'une des plus grosses fortunes du pays, prête à parachever l'œuvre de son arrière-grand-père.
De 1850 à nos jours, une réflexion sur la condition humaine et le sens de l'Histoire à travers les voix de trois générations d’une famille texane.



Voici déjà plusieurs semaines que j'ai fini ce roman ... et je dois avouer ne pas encore trop savoir ce que je vais vous dire. Globalement, je n'ai pas été emballée par ce livre, je dois le confesser. Je lui reconnais des qualités, mais je crois que je suis passée à côté. Ce qui m'a principalement gênée, c'est le ton très dur de l'oeuvre. Je ne suis pas dérangée par les romans difficiles et sombres. J'aime beaucoup d'auteurs (Zola, Hardy, Zweig, Kasischke, ...) pessimistes et noirs, mais chez eux il y a toujours quelque chose de beau qui ressort, quelque chose d'honnête et de sincère ... malgré tout. Un sentiment, une émotion, un rayon de soleil. Chez Philipp Meyer, j'ai eu la sensation d'étouffer. J'ai lu des scènes bien pires que celles écrites dans Le fils, mais ici plus que les scènes dures c'est le ton général froid et désabusé qui est gênant. Il n'y a pas de belles émotions, pas d'amour pur. 
Je me rends compte que je ne suis pas très juste avec le texte. Je repense notamment à Peter et je me dis que lui sauve un peu le reste. Pourtant, en refermant ce texte, on n'a plus envie de croire en l'être humain, on est persuadé de sa violence, son égoïsme, sa cupidité. Je ne suis pas ressortie de ce roman avec un état d'esprit positif. Je ne me sens pas grandie après la lecture de ce texte. Je n'ai pas la sensation non plus d'avoir passé de beaux moments de détente, des moments riches, dépaysants, enrichissants ... 
Bref, ce fut une lecture trop dure pour moi, trop pessimiste, trop sombre. Moi qui aime l'ambiance des états-unis du XXème siècle, je me tournerai vers d'autres auteurs que Philipp Meyer. 
" Un être humain, une vie — ça méritait à peine qu’on s’y arrête. Les Wisigoths avaient détruit les Romains avant d’être détruits par les musulmans, eux-même détruits par les Espagnols et les Portugais. Pas besoin d’Hitler pour comprendre qu’on n’était pas dans une jolie petite histoire. Et pourtant, elle était là. À respirer, à penser tout cela. Le sang qui coulait à travers les siècles pouvait bien remplir toutes les rivières et tous les océans, en dépit de l’immense boucherie, la vie demeurait. "
Philipp Meyer, le fils. 
(Photos : Romanza2019)