samedi 28 juin 2014

Du caviar, Votre Grâce?

Au temps du roi Edouard
Vita Sackville-West

Le mois anglais

Livre de poche, 2012.

« Margaret prétend qu'elle veut épouser un peintre, dit Sylvia, en regardant sa fille avec compassion. — Quoi ! s'écria la duchesse, un peintre ? Quel peintre ? A-t-on jamais entendu chose pareille ? La fille de lady Roehampton épouser un peintre ? Mais non, mais non... Vous épouserez Tony Wexford, et nous verrons après ce qu'on pourra faire pour le peintre », ajouta-t-elle, en lançant à Sylvia un coup d'œil rapide. 
Dans cette chronique grinçante de l'aristocratie anglaise du début du XXe siècle, Vita Sackville-West fait craquer sous les passions le vernis des bonnes manières.

Rencontrée il y a quelques temps avec l'intéressant et troublant Paola, je poursuis ma découverte de la plume de Vita Sackville-West. Au temps du roi Edouard est un roman à la fois délicieux et cruel que j'ai adoré parcourir. On ne peut pas faire plus "british". On s'y coule avec bonheur, on savoure l'humour grinçant, on erre dans les salons mondains et on se délecte de l'écriture fine et précise. 
Au temps du roi Edouard est un subtil mélange entre petit roman douillet à l'intrigue savoureuse et roman intelligent, satirique, invitant à la réflexion. J'ai aimé m'y plonger ... comme lorsque je m'installe pour visionner Downton abbey (la comparaison est inévitable. On s'y croirait)J'ai aimé la vie de la haute aristocratie, suivre leurs habitudes, leurs idées, j'ai admiré leurs toilettes et leurs demeures. Mais j'ai également parcouru ce texte avec l’œil critique de Vita Sackville-West. Ce monde d'hypocrites n'est fait que de faux semblants et dirigé par des codes stupides, "Elle ne portait pas de diadème. Le fait que Lady Roehampton ne portait pas de diadème aux bals de la cour faisait dire aux autres femmes, avec un sourire moitié désapprobateur, moitié envieux, que lady Roehampton méprisait les usages. Une telle audace allait jusqu'à l'insolence." (p111). Je me suis rebellée, comme Lady Viola, j'ai dit non. Vita Sackville-West montre bien avec ce roman le déchirement que l'on ressent, on est pris entre fascination et rébellion. On admire ce monde tout en le méprisant. Tout comme la touchante et naïve Thérèse qui prend conscience de l'absurdité du monde qui pourtant la faisait rêver : "Pourtant, elle était forcée d'admettre qu'elles parlaient toutes pour ne rien dire." (p194). On dévore des yeux les belles dames de la noblesse, mais on n'envie pas leur snobisme et leur haute idée d'elles-mêmes. Nous avons beau être fascinés par les belles toilettes et les belles manières, qui serait capable de supporter ce monde guindé et étriqué? " Lucie aimait les fanfreluches et était incapable d'apprécier la simplicité de sa fille. Elle avait de beaux yeux, c'est vrai, et des sourcils bien arqués ; mais pourquoi était-elle pâle comme une sainte et coiffée comme une madone? " (p61). 
Au temps du roi Edouard est assez court et le désir de Vita Sackville-West n'est pas de nous faire aimer les personnages ou de s'y attacher. Là, n'est pas le sujet. On traverse leur vie, on les croise, partage leur existence, tout en ayant conscience que tout ça est assez superflu. J'ai préféré m'intéresser aux descriptions, à leurs habitudes, à leurs mœurs. J'ai aimé écouter leur cœur, mais d'une façon assez distante, je dois l'avouer. Toujours est-il que Sackville-West nous offre une galerie de personnages irrésistible. Toutes ces ladies sont hilarantes, pitoyables, grotesques. Tout ce petit monde enfermé sur lui-même est fascinant à observer. Viola et Sébastien sont des personnages très vivants. Ils sont l'avenir, le début d'un nouveau monde. Viola est sûre de ses choix, tandis que Sébastien lutte entre l'amour de son domaine, de son héritage et ses envies profondes, " S'ils étaient en bonne santé, ils devaient se révolter. " (p73).
On savoure Au temps du roi Edouard plus qu'on ne le lit. C'est une ambiance, un petit monde à part. On se tient un peu éloigné, on observe. Une jolie approche de l'époque edwardienne, de ses us et coutumes, mais également un roman à l'intrigue passionnante et aux personnages fascinants

"Mon cher enfant, votre vie a été tracée le jour de votre naissance. Vous êtes allé dans une école préparatoire, puis à Eton, puis à Oxford; maintenant, vous entrerez dans les Gardes. Vous aurez beaucoup d'histoires d'amour, la plupart avec des femmes du monde mariées; vous fréquenterez les maisons dont on parle; vous aurez un rôle à la cour; vous porterez un uniforme blanc et rouge, qui vous ira très bien; vous serez courtisé et persécuté par toutes les mères de Londres"
(Au temps du roi Edouard, V Sackville-West, Livre de poche, 2012, p77)

(Source image : Paxton, String of Pearls 1908)

mercredi 18 juin 2014

Savant fou, expériences et petits tracas ...

L'homme invisible
H G Wells

Le mois anglais

 Livre de poche, 1963.

C'est un drôle de client qui s'est installé à l'auberge de Mme Hall ! Vêtu d'un grand chapeau, de lunettes noires et recouvert de bandages tout autour de la tête, l'inconnu s'est enfermé dans sa chambre avec des dizaines de petites bouteilles remplies de poudres et de liquides divers... Que prépare-t-il ? Une chose est sûre, les villageois sont loin d'être rassurés !

L'homme invisible fait parti de cette littérature traitant des avancées scientifiques, de leurs risques et de toutes les interrogations qu'elles suscitent. Après le monstre crée par le docteur Frankenstein, ainsi que le terrible Mister Hyde, nous avons donc Griffin, homme de science qui teste sur lui-même une potion d'invisibilité afin d'échapper aux créanciers et de vivre plus librement. Malheureusement, rien n'est simple et Griffin, à la morale un brin douteuse, commence à voler et finit par tuer et devenir un personnage digne de film d'épouvante. 
J'imaginais un récit assez léger. Je ne pensais vraiment pas trouver une histoire de "monstre" et de meurtre. Si l'histoire commence de façon assez légère avec cet homme étrange débarquant dans l'hôtel de la curieuse Mme Hall, on dérive vite dans un récit proche de ceux de Shelley et Stevenson. J'ai eu du mal dans un premier temps à être captée. Mon esprit avait tendance à vadrouiller et je n'arrivais pas à embarquer dans cette histoire. J'ai réussi à rentrer dans le récit dès que l'homme invisible raconte son histoire et comment il en est arrivé là. J'ai trouvé ce Griffin assez effrayant et je me suis prise au jeu. Savoir que cet homme pouvait être partout, prêt à nous frapper sans pouvoir le voir m'a faite frissonner. Surtout que HG Wells est assez généreux sur les détails et que son roman possède des scènes assez violentes, je trouve. Le suspense n'est pas extrêmement haletant, j'ai trouvé le récit assez irrégulier, mais l'écriture est fluide et assez dynamique dans l'ensemble.
Un classique de la littérature fantastique assez sympa à lire dans la veine de Frankenstein ou de L'étrange cas du docteur Jekyll et mister Hyde. Une histoire assez sombre et violente qui commence pourtant de façon fraîche, presque comme un vaudeville. Un bon moment ... rien de bouleversant, mais agréable. Un texte à connaître. 

" Il saisit le gilet : le gilet se débattit; la chemise, s'en échappant, le laissa flasque et vide aux mains de l'agent.
" Tenez-le bien! criait à tue-tête Jaffers. Si jamais il sort de ses habits!...
- Tenez-le bien! " répétait chacun.
Et tout le monde de se précipiter sur cette chemise blanche qui s'agitait et qui était maintenant tout ce que l'on pouvait voir de l'étranger. "

(L'homme invisible, H G Wells, Livre de poche, 1963)

(Source : Invisible man (1933). horreur web)

dimanche 15 juin 2014

Du papier à la toile

Jude

Le mois anglais


Film britannique. Michael Winterbottom (1996) avec Kate Winslet et Christopher Eccleston.

Dans l'Angleterre de la fin du XIXe siècle, Jude Fawley, jeune homme intelligent et naïf, rêve d'entrer à l'université.



Le jour même où j'ai refermé le roman de Thomas Hardy, je me suis installée pour regarder cette adaptation. J'avais envie de retrouver Jude et Sue, de les voir vivre, s'aimer et rire. Je n'avais pas envie de les laisser. Même si mon désir était compréhensif, je crois que j'ai eu tort de la regarder si vite après ma lecture. 
J'ai aimé cette adaptation. Je l'ai trouvé assez réussie. Pourtant, j'ai souvent soupiré. Après avoir vécu plusieurs jours dans l'univers si particulier de Thomas Hardy, avoir été émue et bouleversée, j'ai trouvé le film bien trop bref. Mais je pense sincèrement que j'en suis responsable. J'aurai du laisser du temps. J'aurai du digérer l'histoire de Sue et Jude pour revenir dessus plus tard. Ma lecture était si fraîche, si vivante en moi, que le film de Michael Winterbottom m'a semblé trop rapide, trop résumé. Surtout vers la fin. Pourquoi avoir conclu ainsi? Rien n'est à jeter dans ce roman, tout est important, tout est fort et subtile. J'ai été gênée par certains raccourcis ... pourtant excusables lorsqu'on est condamné à un format court de 2h. 


Hormis cela, ce film est beau et rend un bel hommage à l'histoire écrite par Hardy. La campagne anglaise, puis les rues grises des grandes villes, nous replongent dans le roman. Les acteurs sont excellents aussi. Je ne connaissais pas Christopher Eccleston que j'ai trouvé convaincant dans le rôle de Jude (malgré parfois un sourire un peu bêta ... mais je lui pardonne). Kate Winslet, quant à elle, est merveilleuse comme toujours. Cette actrice ne cessera jamais de m'impressionner. Elle est jeune dans ce film et pourtant, elle est forte, passionnée, sublime. On voit déjà la future grande actrice dans cette jeune femme pleine de tempérament et toute en sensibilité. 


C'est un beau film, assez fidèle dans les grandes lignes à l'histoire de Thomas Hardy, avec des acteurs justes et un univers bien rendu. Mais Jude l'obscur reste pour moi tout simplement inadaptable. Comment rendre à l'écran la force de ce roman? La complexité des personnages? La nature de leurs relations? 
Je reverrai avec plaisir ce film ... mais dans plusieurs années. Lorsque j'aurai un peu oublié le texte original ... si cela est possible.

(Allocine.fr)

samedi 14 juin 2014

Tea time ...

Bread pudding 

Le mois anglais


Ne nous voilons pas la face, ce que l'on aime aussi dans notre chère Angleterre, c'est la pause thé. Scones, toasts, sandwiches, confitures, gelées et autres merveilles nous font tomber en pâmoison. Moment convivial, gourmand et chic, on en raffole. 
L'année dernière, je vous présentais ma version des fameux scones anglais. Cette année, je vous offre le bread pudding. Facile à faire et délicieux. 


Bon ... vu que le principe du pudding, c'est de faire un plat avec des restes, je n'ai pas vraiment de recette, c'est un peu du "pifomètre". 
Pour le bread pudding, il faut du pain rassi. Du coup, pour les doses, tout dépend de la quantité de pain que j'ai. 
Il me reste bien souvent l'équivalent d'une demi-baguette traditionnelle. Je rajoute trois œufs battus, un verre de lait et un de sucre roux. Je mélange bien, je laisse le tout reposer quelques minutes. En attendant, je remplis une petite tasse à café de raisins secs mélangés à une belle cuillère à soupe de rhum. Je laisse les raisins s'imbiber d'alcool. Je mélange le tout, je verse dans un moule à cake et je laisse cuire environ 15/20 mn. Lorsque je le déguste, je le saupoudre d'un peu de sucre roux. 

Bon appétit!


lundi 9 juin 2014

" Il aurait beau jeûner et prier /.../, l'humain était plus puissant en lui que le divin. "

Jude l'Obscur
Thomas Hardy

Le mois anglais

Le livre de poche, 1957.

Tout en exerçant son métier de maçon, Jude Fawley rêve d'une vie meilleure et s'acharne à acquérir le savoir et la culture. 
La passion qui naît en lui pour sa cousine Sue, mariée à un maître d'école, va lui faire entrevoir d'autres horizons de bonheur et les conduire tous deux à la perdition. (Babelio.com)


Il va être dur à écrire cet article tant ce roman est profond et soulève énormément de questions et de débats. Chaque thème et chaque personnage mériteraient des pages et des pages d'analyses. Et vu que je n'en ai ni les compétences, ni la prétention, cela s'annonce mal. Donc, d'avance ... pardon!

J'ai découvert la plume de Thomas Hardy il y a déjà de nombreuses années avec Tess d'Urberville. C'est une lecture qui m'a énormément marquée et j'y repense régulièrement.  Les paysages de la campagne anglaise, certaines scènes cultes et émouvantes, ... La vie de Tess n'est qu'une suite de malchances, de bonheurs manqués. Le ton et l'écriture de Hardy ne sont franchement pas gais ... autant le dire tout de suite. J'avais déjà remarqué cela avec Tess d'UrbervilleJude l'obscur me l'a confirmé. Jamais il ne permet à ses héros d'atteindre le bonheur. Parfois (et pendant une très courte période), on pense qu'ils vont pouvoir souffler. Et bien, non, le sort s'acharne. Pourtant, à aucun moment, je n'ai ressenti d'excès, de voyeurisme ou même de sadisme. Thomas Hardy a une très belle écriture, poétique et sensible. C'est un homme pessimiste et très dur dans sa vision de la vie, mais il aime ses personnages et désire sincèrement qu'ils s'en sortent. Malheureusement, le monde est, de son point de vue, trop cruel et impitoyable. Ce n'est pas que Thomas Hardy ne veut pas que Sue, Jude, Tess ou Angel connaissent le bonheur, c'est que pour lui, c'est tout simplement impossible. Si on a la mauvaise idée de sortir des rails, de ne pas tenir compte des conventions (pourtant mal faites) et de préférer écouter son cœur, nous sommes condamnés. Mais là où le pessimisme atteint son apogée, c'est que si à l'inverse, on préfère vivre selon les lois établies, c'est notre âme, nos sentiments les plus profonds que l'on foule aux pieds. Quoi que l'on décide, la paix et le bonheur n'existeront pas. Voilà ... prends ça dans la tête et passe une bonne journée. J'ai retrouvé un peu de la noirceur d'Edith Wharton dans la plume et les propos de Thomas Hardy. Il y a le même sentiment de fatalité quoi que l'on fasse, le même désir de bonheur jamais atteint et toujours cette société puritaine, pleine de faux semblants et d'apparences. 
Thomas Hardy a choqué en son temps et je comprends pourquoi. Il démolit absolument toutes les règles établies par la société. On ne peut pas dire que Jude l'obscur donne envie de se ranger et de se marier. La vision de Hardy sur le mariage est glaçante. Balzac l'appelait la "prostitution légale", Thomas Hardy en met lui aussi une couche : "J'ai regardé dans mon livre de prières ce qui concernait la cérémonie du mariage et il me paraît très humiliant de devoir être remise à un mari par quelqu'un. d'après le texte même du service, mon mari me choisit volontairement, de son plein gré, et je ne le choisit pas! Quelqu'un me remet à lui, comme une chèvre, une ânesse ou tout autre animal domestique! Bénie soit votre idée élevée de la femme, ô homme d'Eglise!" (p207) ; "Pourtant, Sue, ce n'est pas pire pour la femme que pour l'homme. C'est ce que certaines femmes ne veulent pas voir et, au lieu de protester contre les conditions du mariage, elles protestent contre l'homme, l'autre victime, comme si une femme dans la foule invectivait l'homme qui la pousse, alors qu'il ne fait que transmettre malgré lui la pression exercé par d'autres" (p348). 
J'avais tellement entendu dire que Jude l'obscur était très contraignant à lire, que les scènes difficiles se succédaient sans cesse, que j'ai été étonnée par la lenteur et la douce mélancolie de la première partie. Bien sûr, la critique sociale et religieuse est présente du début jusqu'à la fin, mais la première partie est assez calme dans la tristesse. Il y a de l'amertume, du malheur, de la désillusion, mais pas de grandes tragédies. L'intrigue s’accélère au milieu du roman avec une décision importante dans la vie de Sue et Jude, pour finir avec 100 pages bouleversantes, dramatiques, innommables. 
Jude est un personnage très attachant car profondément humain. Il a des faiblesses comme toute personne. Il aimerait atteindre un idéal intellectuel, une force morale sans failles, malheureusement (ou heureusement!), Jude est un homme. Il désire et il aime. Jude est passionné et instinctif. Il écoute ses émotions. Sue, quant à elle, est beaucoup plus difficile à comprendre. Je dirai même qu'elle est impossible à cerner. J'ai souvent été en colère contre elle, malgré tout l'amour que je lui portais. Elle est en lutte permanente entre les envies de son cœur et les exigences de la société. Elle aimerait être capable d'envoyer au diable les préjugés, mais il y a toujours quelque chose qui vient la chambouler, la condamner, parfois même de la manière la plus cruelle qui soit. J'aurai tellement aimé que Sue et Jude vivent sereinement. Ils sont tellement faits l'un pour l'autre, " Ils semblent n'être qu'une personne coupée en deux" (p 278). Lorsqu'ils ont quelques années de bonheur (d'ailleurs qui passent en quelques lignes seulement ... comme un rêve), on sait que ce n'est qu'une question de temps avant que tout s'effondre. Je dois avouer que je ne m'attendais pas à une telle épreuve, à un tel cauchemar. Thomas Hardy est dur avec son lecteur. J'ai dans le cœur un tel sentiment d'injustice, une telle envie d'hurler dans le fond de la gorge que ça en devient étouffant. J'ai tellement d'empathie pour Jude et Sue, ce couple qui ne demandait qu'à vivre tranquillement et simplement. Mais il a fallu que les autres s'en mêlent ... "Je ne puis supporter que ces gens - que tout le monde - trouvent les autres coupables, parce qu'ils ont choisi de vivre à leur manière! Ce sont vraiment ces jugements qui troublent les personnes les mieux intentionnées, jusqu'à les rendre immorales" (p 367) ; "Parce qu'un nuage s'est amassé sur nos têtes, bien que nous n'ayons fait de tort à personne, corrompu personne, trompé personne, bien que nous ayons fait ce qui nous semblait juste et honnête" (p 374). 
Il y a beaucoup de choses à dire mais c'est très difficile de trouver les mots, d'être juste. Avec un roman comme celui-là, on a toujours peur de ne pas être à la hauteur. Je devrais prendre le temps de parler d'Arabella, cette femme égoïste et fausse qui réussit pourtant à vivre la tête haute, et de Phillotson, un homme droit et juste que pourtant on n'arrive pas à aimer, ... mais je crains de ne pas avoir assez de clefs pour me lancer dans un travail comme celui-là. J'ai peur de me perdre.
C'est un grand et fort moment littéraire que je viens de vivre. Jude l'obscur est un sublime roman de l'âme humaine. Jude et Sue sont deux ombres qui me hanteront longtemps ... tout comme le fait Tess depuis des années. La plume de Thomas Hardy est extrêmement forte. Elle possède autant de délicatesse, de poésie que de cruauté et de pessimisme. Les deux romans que j'ai lu de cet auteur sont deux coups de cœur. C'est puissant, c'est grand, c'est inoubliable.

" C'était le ton de leurs conversation quotidienne à présent. Le loueur de chambre avait entendu dire qu'ils étaient un ménage bizarre. Ayant vu Arabella embrasser Jude un soir où elle avait pris un cordial, il s'était demandé s'ils étaient vraiment mariés, et se préparait à leur donner congé. Mais un jour, par hasard, il entendit harangué Jude en termes violents, puis lui jeter un soulier à la tête. Ayant reconnu la note habituelle des gens mariés, il en avait conclu qu'ils devaient être respectables et n'avait plus rien dit. "
(Jude l'obscur, Thomas Hardy, Livre de poche, 1957, p 467/468)

(Source image : Jude, 1996. IMDb.com)

mardi 3 juin 2014

Et on débute le mois anglais en douceur ...

Virginia Wolf
Kyo Maclear et Isabelle Arsenault

Le mois anglais 

Pamplemousse, Editions de la pastèque, 2012.

Virginia, la soeur de Vanessa, est d'humeur féroce - elle grogne, elle hurle à la lune et elle fait des choses très étranges. Elle est prise d'un cafard si intense que toute la maison semble sens dessus dessous. Vanessa fait tout ce qu'elle peut pour lui remonter le moral, mais rien n'y fait. Jusqu'à ce que Virginia parle à Vanessa d'un lieu imaginaire, un endroit merveilleux nommé Bloomsberry.

Voici un album jeunesse qui ravira tous les amoureux de la littérature anglaise et plus spécialement de Virginia Woolf. C'est une petite pépite pleine de douceur, dans le trait comme dans la plume. 
Virginia, un matin, se lève avec une humeur de loup féroce. Elle a vu un pays merveilleux en rêve, Bloomsberry. Mais craignant de ne jamais l'atteindre, elle s'enferme dans sa bulle et repousse tout le monde. Jusqu'au jour où sa sœur, grâce à la peinture, lui prouvera que l'on peut créer les mondes que l'on a imaginés. 
Cet album joue sur deux registres. Les adultes connaissant et aimant l'univers et la vie de Virginia Woolf s'amuseront à trouver les jeux de mots, les références, les clins d’œil. Les références à la littérature, à l'imaginaire sont très nombreuses et très belles. Mais ce livre ne s'adresse pas qu'à une catégorie bien précise et c'est cela qui le rend très intéressant. Le thème traité est extrêmement judicieux. Un enfant pourra se reconnaître dans la petite Virginia transformée, défigurée par sa colère et sa tristesse. C'est un album qui met des mots, des images sur les émotions de nos bouts de chou souvent submergés par des choses bien plus fortes qu'eux. L'idée d'utiliser l'imagination, la création, le merveilleux pour réconforter, apaiser, calmer est juste sublime. Ici, pas de jugement, de culpabilité, de frustration. Virginia vit sa colère pleinement et trouve avec de l'aide une façon, non de la refouler, mais de l'utiliser. 
Et tout le monde sera d'accord sur la beauté des illustrations, leur douceur et leur délicatesse.
Un album à posséder absolument, à lire et relire aux enfants ou juste à admirer si on aime la littérature anglaise et Virginia Woolf. 
Une bulle de douceur.